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Témoignages Atteints de Covid long, ils peinent à retourner au travail : "J'ai du mal à comprendre ce que les clients me disent"

Plus d'un an après la flambée de l'épidémie en France, de nombreux Français continuent à subir les conséquences de leur contamination au Covid-19 dans leur vie quotidienne. Parmi elles, un retour au travail en pointillés à cause de la fatigue et de troubles cognitifs ou moteurs.

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De nombreux Français continuent à subir les conséquences de leur contamination au Covid-19, à cause de la fatigue et de troubles cognitifs ou moteurs. (ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Rabah se remémore les souvenirs de sa vie d'avant. Cet agent de sûreté de 55 ans de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle était un habitué de la salle de sport. Mais depuis qu'il a contracté le Covid-19 en février 2020, tout a changé. Admis en réanimation à l'hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine), il a passé 77 jours dans le coma, avec un pronostic vital engagé, et a entrepris une longue rééducation une fois sorti de l'hôpital. Plus d'un an après, les effets du virus se font encore sentir. "Je ne vois pas le bout du tunnel, déplore-t-il. La fatigue est toujours là, j'ai des douleurs neurologiques intenses partout qui m'empêchent de me lever si je ne prends pas mes médicaments." Il est en arrêt maladie depuis le 14 février 2020 et il ne peut toujours pas envisager une reprise du travail.

Rabah souffre d'un Covid long, une forme prolongée et méconnue de la maladie, aux multiples symptômes. Les statistiques sur le nombre de personnes concernées en France sont difficiles à obtenir. Selon l'Office national des statistiques du Royaume-Uni (article en anglais), une personne sur dix atteinte du Covid-19 continue d'avoir des symptômes douze semaines après le début de son infection. En France, cela pourrait donc concerner 1,4 million d'adultes de plus de 20 ans, si l'on s'appuie sur les chiffres de l'Institut Pasteur. De son côté, l'AP-HP a mené la première étude dans l'Hexagone sur les conséquences de cette forme de la maladie auprès de 1 022 patients. Parmi eux, 48% déclaraient "ne plus être capables de réaliser certaines activités chez eux ou dans le cadre de leur travail", plus de douze semaines après leur contamination.

Travailler pour "aider à la rémission"

Ce n'est pas faute d'avoir hâte de retrouver son emploi, comme c'est le cas de Thierry, directeur de service dans une grande banque française. Contaminé à 54 ans en mars 2020, il a passé deux mois dans le coma et a subi l'ablation d'un rein, de la rate et des glandes surrénales en raison de complications. Après onze mois d'hospitalisation, et alors qu'il a perdu 70% de son audition à une oreille et 40% à l'autre, Thierry a bataillé pour retrouver le chemin du travail. Une reprise anticipée, effectuée en mars, qui a ses conséquences. "J'ai des difficultés à comprendre tout ce que les clients me disent au téléphone, ce qui peut provoquer quelques quiproquos", explique celui qui s'apprête à faire une demande de reconnaissance du statut de travailleur handicapé. Même s'il n'est pas "remis à 100%", Thierry ne regrette pas sa décision : "Je pense que ça aide à la rémission, on évite de penser à sa maladie."

Encore faut-il que l'employeur joue le jeu. Ainsi, Eléonore*, aide-soignante de 41 ans, contaminée en octobre 2020, souligne que son entreprise, "bienveillante", lui a permis de reprendre le travail en janvier en tant qu'auxiliaire de vie, un métier plus adapté à sa situation puisqu'il nécessite moins de manipulation physique et de travail sur écran. "Mon emploi du temps a été allégé et je peux choisir mes horaires. Avec un autre patron, je n'aurais pas pu reprendre le travail", assure celle qui souffre toujours de fatigue, de perte de mémoire, ainsi que de troubles de la concentration. 

Une chance dont Caroline* n'a pas pu bénéficier. Cette fonctionnaire en Ile-de-France de 55 ans n'a pas pu obtenir l'aménagement de poste qu'elle espérait. Elle a même été chargée par son supérieur hiérarchique de suivre les dossiers Covid, alors qu'elle s'en estimait psychologiquement incapable. "Quand vous faites une visioconférence, vous êtes habillée et maquillée... Mais ça ne veut pas dire que ça va mieux, explique-t-elle. Tant que les gens n'ont pas été touchés par le Covid-19, ils ne vous croient pas. Vous pouvez avoir un coup de fatigue, des pertes de mémoire, mais (...) il ne vous manque pas un bras, vous n'êtes pas sur un fauteuil roulant. Vous revenez et vous avez l'air normal."

"Peur de me retrouver de nouveau en arrêt"

Certains ont pourtant dû renoncer à leur activité, en raison de la persistance de troubles cognitifs, moteurs ou psychologiques trop importants. "Les patients expriment une souffrance que l'on ne voit pas lors des examens", confirme le docteur Viet-Thi Tran, qui a coordonné l'étude ComPaRe de l'AP-HP sur le Covid long"Au-delà de 12 semaines, les séquelles d’organes touchés par le Covid ne peuvent expliquer tous les symptômes et d'autres causes sont peut-être en jeu, tels qu’un syndrome de fatigue post-viral ou un syndrome de stress post-traumatique", poursuit-il. 

Ainsi, Thibaud* n'a pas réussi à reprendre son poste de directeur d'un club omnisports dans l'Isère depuis sa contamination en octobre. Les douleurs persistantes aux mollets et au thorax, doublées d'un essoufflement chronique, sont trop fortes pour le lui permettre. "C'est seulement depuis la fin mars que je sais que j'ai un Covid long, détaille-t-il. Le médecin m'a fait faire le questionnaire de la HAS, et mes résultats révélaient que j'étais anxieux et dépressif." Des symptômes parmi d'autres de cette forme prolongée de la maladie. Depuis avril, Thibaud* est suivi par une psychologue. 

"D'un côté, j'ai envie de reprendre, de pouvoir de nouveau courir et de retrouver un mode de vie que j'ai pu avoir. Mais de l'autre, j'ai peur de me retrouver de nouveau en arrêt maladie..."

Thibaud

à franceinfo

Pour la psychothérapeute Sylvaine Perragin, spécialisée dans la souffrance au travail, "les patients touchés par le Covid long se disent qu'ils ne vont pas être à la hauteur au moment de retourner au travail". Cette inquiétude suscite une grande angoisse "par rapport à l'avenir". Or, pour le moment, "personne n'a d'expérience là-dessus" : les troubles cognitifs liés au Covid long, comme la perte de mémoire ou la difficulté à trouver ses mots, handicapent les patients pour une durée indéterminée. Et la psychologue d'évoquer des cas sévères de burn-out où "on sait que les patients ne retrouveront pas la totale fluidité de leur cerveau". 

Outre ces difficultés cognitives, certains patients souffrent de troubles moteurs rendant leur reprise impossible. Elodie, clerc de notaire de 48 ans, n'a pas pu revenir à son cabinet depuis octobre 2020, le mois où ses symptômes sont apparus. "On m'a diagnostiqué le syndrome de Guillain Barré [maladie neurologique qui attaque les nerfs] à la suite de mon infection, retrace-t-elle, en précisant se déplacer en béquilles. Tous les matins, il faut que je me mette quatre mots dans la tête et que je les retienne toute la journée, vous vous rendez compte ? Je suis dans un brouillard cérébral." En attendant de retrouver le chemin de son office, Elodie bénéficie d'une caisse de cotisation spéciale qui prend en charge la majeure partie de son salaire, mais pas toute sa rééducation.

Un coût financier qui s'alourdit

C'est là où le bât blesse. Pouvoir bénéficier d'une prise en charge des soins médicaux est essentiel pour ne pas cumuler les difficultés financières avec la maladie. Or, le Covid long n'est pas reconnu comme une affection longue durée (ALD), statut qui permet, dans certains pathologies bien précises, une prise en charge à 100% des soins. "On attend cette reconnaissance du Covid long en ALD, réclame Amélie Guénolé-Perrier, de l'association Après J20, qui revendique 1 000 membres atteints par cette forme de la maladie. On ne sait pas nous soigner, nous prendre en charge, nous suivre. Il ne faut pas qu'on laisse des gens dans la misère sociale." Selon elle, "des adhérents ont passé volontairement un séjour en psychiatrie pour obtenir des ALD".

Quand Virginie, 46 ans, a cessé son activité de thérapeute, contrainte par la persistance de certains symptômes neurologiques et cardiaques, elle s'est ainsi résolue à retourner vivre chez son père, faute de ressources. L'activité de son cabinet, tout juste rentable, ne lui permettait pas de bénéficier du fonds de solidarité mis en place par le gouvernement pour les entreprises dont l'activité est réduite pendant la crise sanitaire. Et elle n'avait pas assez cotisé pour bénéficier d'indemnités journalières lui permettant de subvenir à ses besoins.

"Depuis un an, j'ai 5 000 euros de frais médicaux non remboursés, soit parce que je n'ai pas de test prouvant que j'ai le Covid-19, soit parce que ce sont des examens très spécifiques qui ne sont pas entièrement remboursés", se désole cette mère de deux enfants, pour qui renoncer à sa vie professionnelle est un déchirement. Etre thérapeute "c'est ma passion, ça n'est pas un emploi métro-boulot-dodo", explique la quadragénaire, qui continue de réfléchir à des aménagements lui permettant d'exercer. Mais "mes symptômes évoluent tellement au jour le jour qu'il est difficile de se projeter".

Face aux lacunes entourant les connaissances liées au Covid long, l'Assemblée nationale a voté en février une résolution pour mieux accompagner ces patients. Cette résolution invite le gouvernement à "proposer un parcours de soins adapté", à "faciliter la reconnaissance en tant que maladie professionnelle" dans certains cas, mais aussi à "renforcer la recherche et la connaissance des différents types de complications au long cours". Dans ce sens, le projet ComPaRe renouvelle son appel à participation aux projets de recherche sur le Covid long. Thibaud, le directeur d'un club omnisports, habitué aux courses de longue distance, s'arme de patience. "Je pensais que le Covid-19 allait être un sprint et finalement, c'est une course de fond..."

* A la demande des intéressés ou pour des raisons pratiques de compréhension, ces prénoms ont été modifiés

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