: Témoignages Ils se battent depuis des mois contre les symptômes d'un Covid long "qui dicte leur vie"
Contaminés en mars 2020 ou lors de la deuxième vague, ils sont des milliers à souffrir aujourd'hui d'un Covid long que la médecine peine à reconnaître et à soigner.
"On vit avec des douleurs inhumaines." Nora, 44 ans, souffre depuis treize mois d'un "Covid long", comme le nomment eux-mêmes les patients. "Nous sommes abandonnés de tous les côtés, médecins, santé publique… C'est comme si nous n'existions pas !" s'exclame cette aide médico-psychologique, contaminée en août 2020 lors de la deuxième vague de Covid-19.
Actuellement, il n'existe aucun chiffre officiel en France qui recense les personnes comme Nora. Invisibles dans les tableaux de bord Covid de Santé publique France, "entre 10% et 15%" des personnes ayant contracté le Covid-19 présentent "des troubles persistants trois mois après", détaille le professeur Eric Guedj à franceinfo, ajoutant que ces malades, "en majorité" des femmes, sont "tous âgés en moyenne autour de 45 ans". Ce chef de service à l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) suit des centaines de patients souffrant de cette pathologie. Comme Nora, ces malades endurent quotidiennement de multiples symptômes souvent invalidants et bataillent pour la reconnaissance de leur maladie.
Un état qui se dégrade "lentement mais sûrement"
"Si je force trop en marchant mes deux kilomètres, c'est la perte de connaissance totale", commente, le souffle court, Matthieu, 43 ans, affaibli par un Covid long depuis onze mois. Au téléphone, il s'excuse sans cesse quand une toux sèche l'interrompt. Il a dû adapter les activités de son quotidien à ses phases de 45 minutes d'autonomie. "Si je transgresse, je décroche", assure le quadragénaire, qui sort de trois semaines de rechute d'une fatigue écrasante. Cet ancien instructeur de l'armée au physique "réglé comme une machine" n'a plus le contrôle de son corps : "C'est le Covid qui dicte ma vie", constate-t-il.
Aujourd'hui, Matthieu est le porte-parole de l'association Après J20, qui regroupe "1 123 adhérents" qui n'ont pu guérir du Covid-19 en 20 jours. Avec son comité scientifique, présidé par l'infectiologue Dominique Salmon, l'association, qui est en lien avec le ministère de la Santé, a un rôle de soutien et défend quatre objectifs.
"Nous demandons la reconnaissance du Covid long, la prise en charge pluridisciplinaire des soins, une meilleure communication auprès du grand public et du corps médical et le financement de la recherche sur cette maladie."
Matthieu, porte-parole de l'association Après J20à franceinfo
Cœur qui palpite, douleurs dans les jambes ou les bras, démangeaisons, acouphènes, hallucinations visuelles, insomnies, difficultés à marcher, à respirer, à se concentrer… Plus de 200 symptômes ont été recensés par une étude internationale, publiée en juillet 2021 dans The Lancet (article en anglais). Les plus courants sont la fatigue, le malaise post-effort, comme pour Matthieu, et le brouillard cérébral dans lequel erre Nathalie.
Depuis mars 2020, date à laquelle le virus est entré dans sa vie, l'état de cette mère de famille "se dégrade lentement mais sûrement". Cette femme de 55 ans ne compte plus ses symptômes. Mais celui qui l'angoisse le plus sont ses pertes de la mémoire immédiate. Incapable de faire deux choses à la fois, elle peut rester des heures sur une chaise, ne sachant plus pourquoi elle doit se lever. Souvent, ses trois fils terminent ses phrases restées en suspens ou la taquinent parce qu'elle propose de revoir le film vu la veille. "C'est comme si j'étais devenue idiote", résume Nathalie, qui parle vite pour ne pas perdre le fil de son propos.
"Maltraitée depuis seize mois"
Ni Matthieu, ni Nathalie, ni Nora ne savent quand se termineront leurs symptômes ni quand le ou les prochains apparaîtront. Cette maladie est "une souffrance physique et psychologique", insiste Nora.
"Comment pouvons-nous arriver à tenir ? J'ai 20 à 30 symptômes en phase aiguë, d'autres jusqu'à 50, et on laisse les gens comme ça, sans réponse ni traitement."
Nora, malade du Covid-19 depuis treize moisà franceinfo
Car si le Covid-19 est une maladie que la médecine cerne de mieux en mieux, ses conséquences à long terme commencent seulement à être documentées et la prise en charge des symptômes n'est pas encore systématique. Pour le professeur Eric Guedj, l'absence de consensus autour de la définition du Covid long complique son diagnostic. "Le plus simple est de s'appuyer sur la définition de la Haute Autorité de santé (HAS), qui parle de symptômes persistants ou récurrents au moins quatre semaines après une infection démontrée avec une preuve biologique (test PCR ou sérologie) ou suspectée", précise le chef de service.
Il reconnaît également que "la très grande désorganisation du système de santé" empêche l'information sur l'identification du Covid long de passer "clairement" sur le terrain.
"Il y a une errance dans la prise en charge de cette maladie. Nous avons pris du retard faute d'études financées sur le sujet."
Eric Guedj, chef du service de médecine nucléaire à l'AP-HMà franceinfo
Infectiologue, pneumologue, neurologue… Stéphanie, 42 ans, n'a jamais vu autant de médecins que depuis le 30 mai 2020, où une importante douleur thoracique et une difficulté à respirer l'ont amenée aux urgences. A l'époque, le médecin de garde lui explique que c'est dû "au stress". Depuis, cette architecte enchaîne les déconvenues. Lors de son deuxième passage aux urgences pour de violents maux de ventre, on lui répond que le Covid long n'existe pas. Quand elle reste 48 heures sans pouvoir bouger le haut du corps, le médecin de garde lui prescrit du Doliprane. En visualisant ses radios des poumons, le pneumologue lui "crie dessus" car elle a omis de lui dire qu'elle était fumeuse. Or Stéphanie n'a jamais fumé.
Après des mois de bataille avec le corps médical, elle n'a plus confiance, s'estimant "maltraitée depuis seize mois". Pourtant, en février 2021, la HAS a publié un guide sur le Covid long dans lequel elle invite "les médecins à faire preuve d'écoute et d'empathie envers leurs patients souffrant de symptômes prolongés, et à les rassurer quant aux possibilités de prise en charge et au caractère temporaire et réversible de leur situation".
"Je vis avec 600 euros par mois"
Une autre difficulté complique le parcours de prise en charge des malades contaminés lors de la première vague : l'absence de preuve irréfutable de leur infection. A l'époque, il y a eu peu ou pas de tests PCR effectués. Or, sans test ou sérologie positive, l'accès à un service spécialisé dans la rééducation d'un Covid long devient quasi impossible. A l'instar de Paule*, 44 ans, contaminée sur son lieu de travail le 30 mars 2020. Bien qu'elle occupe un poste haut placé dans le milieu hospitalier, elle n'arrive pas à décrocher une place dans l'unité Covid de l'Hôtel-Dieu ou dans celui de l'hôpital Foch, à Suresnes. "Les places sont très, très chères", assure-t-elle. En attendant, elle multiplie les mails aux directeurs d'établissements de santé qu'elle connaît afin de décrocher le Graal.
Les démarches sont aussi compliquées pour faire reconnaître le Covid long comme maladie professionnelle. C'est pourtant ce que souhaite Nadia, aide-soignante de 53 ans, en arrêt maladie depuis sa contamination en octobre 2020. "Je vis avec 600 euros, je n'ai plus de prime d'activité, je n'ai droit à aucune aide", se désole cette mère qui élève seule sa fille de 12 ans. "C'est mon fils de 27 ans qui m'aide financièrement mais ce n'est pas normal, s'insurge-t-elle. On me renvoie de service en service sous prétexte qu'il manque à chaque fois un document. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas."
De son côté, l'Assurance maladie ne reconnaît pas les symptômes persistants du Covid-19 comme une affection de longue durée (ALD), sauf à de rares exceptions. Quant au gouvernement, depuis l'adoption à l'unanimité d'un texte sur la reconnaissance et la prise en charge du Covid long à l'Assemblée nationale le 17 février 2021, c'est silence radio.
"Nous sommes obligés de chercher nous-mêmes des solutions"
"On prend cette pathologie pour un état dépressif, constate Nadia. Mais on finit par le devenir face à toute cette incompréhension et ces démarches interminables." Car à la méconnaissance du corps médical s'ajoute bien souvent le scepticisme des familles des malades. Contaminée le 16 mars 2020, Maureen, 67 ans, a perdu 28 kilos et enchaîne les examens. C'est son fils qui l'accompagne le plus souvent. Mais, au départ, il ne l'a pas du tout soutenue. "Il croyait que j'en rajoutais, se désole la retraitée. Maintenant que l'on commence à parler un peu plus du Covid long, il se rend bien compte que je ne fais pas semblant. Ce qui nous arrive, ce n'est pas dans la tête, comme se plaît à nous dire notre entourage." Un fait incontestable pour le professeur Eric Guedj, qui a démontré l'origine cérébrale des troubles dont souffrent les patients.
"Le Covid long est une vraie maladie multi-organes. Ce n'est pas une pathologie psychiatrique, il y a une explication biologique aux nombreux symptômes identifiés."
Eric Guedj, chef du service de médecine nucléaire à l'AP-HMà franceinfo
Isolés, incompris, perclus de douleurs, de plus en plus de malades se tournent vers les réseaux sociaux comme Facebook, où les groupes sur le Covid-19 fleurissent. Ils viennent y chercher des réponses, une écoute et du soutien. "Quand je lis les mêmes parcours que moi, ça me fait peur et ça me rassure en même temps", confie Laurence, 46 ans, contaminée en mars 2020 et qui a récemment découvert ces groupes. Cette professeure des écoles écluse toutes les publications scientifiques dans l'espoir d'alléger ses symptômes. "Nous sommes obligés de chercher nous-mêmes des solutions. Mais quand on en parle aux médecins, ils ne nous écoutent pas", déplore celle qui vient de partager dans un groupe une trouvaille à base de collagène marin. Une automédication déconseillée par l'Assurance maladie, qui invite plutôt les patients à adapter leur quotidien (alimentation, sommeil, activité physique et repos) et à s'armer de patience pour leur guérison.
Aujourd'hui, personne ne peut dire quand la rémission arrivera. Mais pour le professeur Eric Guedj, ce dysfonctionnement cérébral est "sans lésion". "Avec le temps et une rééducation physique encadrée et contrôlée, la majorité des patients devraient récupérer, assure-t-il. Malheureusement, certains patients, au bout de dix-huit mois, peuvent développer des formes chroniques et garder un handicap." Ce qui fait craindre le pire à Matthieu. "Nous allons vers une triste réalité qui est le suicide", s'inquiète-t-il devant la recrudescence des appels "très alarmants" au service psy de l'association Après J20.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressée.
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