"Un état de stress permanent" : des jeunes racontent comment leurs années lycée ont été chamboulées par la crise du Covid-19
Plus de deux ans après le début de la pandémie, ces anciens lycéens ressentent encore les séquelles de l'isolement et des confinements successifs qui ont marqué la fin de leur scolarité dans le secondaire.
Quand Mathilde découvre qu'elle a décroché la mention bien au baccalauréat, le 5 juillet dernier, elle ne ressent bizarrement aucun soulagement. Si d'ordinaire l'obtention du précieux sésame marque le point d'orgue de quinze années de scolarité et l'entrée dans la cour des grands de l'enseignement supérieur, cette année, c'est plutôt un "goût amer" qui habite de nombreux lycéens. Pour la jeune bachelière, qui s'apprête à intégrer une LAS en biologie à Toulouse (Haute-Garonne) dès la rentrée, l'appréhension domine : "C'est un chapitre qui se clôt, mais je commence déjà à avoir peur pour l'année prochaine."
Malgré le déferlement de la septième vague de Covid-19 cet été, la rentrée sur les bancs du lycée, le 1er septembre, se fera en présentiel. Il y a encore deux ans, pourtant, une génération de lycéens s'est retrouvée coincée chez elle, loin des copains et des salles de classe. "Quand nos parents nous parlaient du lycée, ce n'est pas du tout ce qu'on avait en tête", regrette Colyne, étudiante à l'université de Talence (Gironde). "On s'attendait aux meilleures années de notre vie", abonde Angelin, étudiant en éco-gestion à Pessac, près de Bordeaux (Gironde). "Quand on se dit qu'on en a passé la moitié dans notre chambre, c'est triste". Isolement, perte de repères, stress permanent… A la veille du retour en classe, des bacheliers et des anciens élèves de terminale nous ont raconté comment ils ont vécu cette période charnière.
"Les profs faisaient un peu ce qu'ils voulaient"
Jeudi 12 mars 2020, 20 heures. Le président Emmanuel Macron annonce lors d'une allocution télévisée le confinement de la population et la fermeture des établissements scolaires "jusqu'à nouvel ordre". N'ayant aucune idée de ce qui les attend, certains exultent. "Nous étions simplement contents de ne pas avoir cours", résume Céleste, ancienne élève du lycée en Forêt de Montargis (Loiret). Mais à mesure que les semaines passent et que le confinement s'installe, l'angoisse commence à monter.
Les élèves découvrent alors l'enseignement à distance, comme leurs professeurs. Du jour au lendemain, ils doivent prendre en main les outils numériques et se retrouvent inégalement armés pour travailler dans des conditions inédites. "Les profs faisaient un peu ce qu'ils voulaient", se souvient Colyne, ancienne élève du lycée Pape-Clément de Pessac. Des cours en visioconférence réguliers d'un côté, l'envoi massif de pages de polycopiés de l'autre... Pour de nombreux lycéens, cette désorganisation et cet isolement imposé sont sources de stress.
En ces temps perturbés, qu'allait-il advenir des examens de fin d'année ? Pour Céleste, qui devait passer le bac français en juin 2020, les questions fusent. "A quinze jours des épreuves, nous n'avions pas du tout fini le programme et il nous manquait pas mal de textes à travailler, raconte-t-elle. Nous étions tous très inquiets."
La chambre a remplacé la classe
La chambre a soudainement remplacé la classe et l'ordinateur est devenu l'outil principal pour suivre les cours. Les habitudes de travail changent, le rythme aussi. "Pas toujours simple de marquer une coupure", relate Maël, bachelier de Gironde qui se remémore des journées entières passées entre son bureau et son lit. Submergé par la charge de devoirs que demandaient les professeurs dans chaque discipline, il raconte avoir souffert d'un manque de sommeil pendant toute son année de seconde.
"J'allumais mon ordinateur dès 7 heures du matin, au réveil, pour travailler. Et je ne l'éteignais qu'à minuit, lorsque j'allais me coucher."
Maël, bachelier de Girondeà franceinfo
L'exercice est d'autant plus compliqué qu'à la maison, il n'est pas toujours simple de cohabiter. Pauline, ancienne camarade de classe de Céleste à Montargis, se souvient d'un "temps d'adaptation" les premières semaines du confinement. "J'assistais à la fois aux cours en visio, puis je devais aider mes frères et sœurs sur leurs devoirs, ce qui fait que je devais reporter mon propre travail à plus tard." Il faut aussi apprendre à composer avec de nouvelles contraintes : le manque d'espace et le bruit. "Nous avons dû repenser l'aménagement de certaines pièces de la maison pour pouvoir travailler pendant que d'autres dormaient."
Le lien social fracturé
Bloqués chez eux, les lycéens doivent faire une croix sur toutes les "sorties entre potes". A la place, il faut se contenter de relations "à distance", "par message" et sur les réseaux. "Nous étions tout le temps ensemble : pendant nos heures de trou, à la récré... Avec le confinement, du jour au lendemain, nous avons perdu cette interaction avec nos amis proches", se rappelle Pauline.
Résultat : de nombreux jeunes ont le sentiment d'être passés à côté d'une partie de l'expérience du lycée. "L'année et l'été de seconde nous ont été volés. On a l'impression d'être passés à la trappe", regrette Mathilde, qui rappelle qu'en 2020, les cours se sont étalés jusqu'à fin juillet. Même regret pour Milo, qui a obtenu son bac cette année : "La seconde, c'est la liberté du lycée sans les examens. Là, je regrette de ne pas avoir pu en profiter." De manière générale, explique Orane, jeune bachelière, "il a été compliqué d'apprécier nos années lycée parce que nous étions dans un état de stress permanent".
Ces épisodes d'éloignement de la salle de classe amènent aussi les lycéens à vivre tous les jours auprès de leur famille et de leurs parents, "dans une période où ils auraient au contraire besoin de s'en détacher", explique Rachel Bocher, cheffe du service de psychiatrie 5 du CHU de Nantes.
"Cet isolement peut avoir des conséquences significatives sur la sociabilité des jeunes, qui sont en pleine construction. Cela peut notamment les pousser à aller moins vers les autres."
Rachel Bocher, psychiatre au CHU de Nantesà franceinfo
Anna*, qui a passé le bac cette année au lycée Acajou 2 de Martinique, se souvient avoir eu du mal à renouer socialement avec ses camarades lors de sa rentrée de première, en présentiel. "Interagir avec tout le monde, prendre la parole, aller au tableau... On avait perdu l'habitude", explique-t-elle. Même sentiment pour Célia, étudiante en première année de licence de sciences sociales à l'Institut catholique de Paris, qui admet aujourd'hui "aller moins facilement vers les autres à la fac".
Dans certains cas, l'angoisse engendrée par la crise du Covid-19, et plus largement la situation mondiale actuelle, peut entraîner un mal-être plus profond. C'est le cas de la jeune étudiante francilienne. En terminale, elle a dû se soigner pour faire face à un épisode dépressif. "Sans ça, je n'aurais pas eu la force de passer le bac", explique-t-elle. Comme Célia, de nombreux jeunes ont été ressortis fragilisés psychologiquement par la pandémie. Un rapport du Défenseur des droits publié en novembre 2021 relève que le confinement a abouti à une "hausse générale" des syndrômes dépressifs, qui ont même doublé chez les 15-24 ans. L'étude précise que "10% d'entre eux présentaient un syndrome dépressif en 2019 contre plus de 20% en 2020".
L'enseignement hybride "a coupé la classe en deux"
Rentrée de septembre 2020. Après le confinement strict et un été de relâchement des restrictions sanitaires, les lycéens retournent sur les bancs du lycée, masqués. "C'était bizarre de ne même pas voir le visage des profs", se souvient Colyne. "Déjà que le retour en classe était brutal, le fait de devoir porter le masque de 8 heures à 18 heures, c'était compliqué", ajoute Pauline.
Mais le 100% présentiel ne dure pas bien longtemps. Dès novembre, la résurgence des cas entraîne de nouvelles mesures gouvernementales et l'enseignement hybride fait son apparition, éloignant une nouvelle fois les élèves des classes. "D'un point de vue social, ça a coupé la classe en deux", se rappelle Milo. Une semaine sur deux à distance, un jour sur deux en présence... Selon les établissements, les formules varient. Pour les élèves, cette alternance impose des changements de rythme de travail pas toujours simples à assimiler.
"Le fait d'enchaîner des semaines en classe et à la maison nous faisait accumuler beaucoup de fatigue. Encore une fois, on avait l'impression d'être des objets qu'on baladait pour apprendre des choses."
Pauline, étudianteà franceinfo
Après le bac, l'appréhension
Pendant deux ans de mise en place de la réforme du bac, le manque de clarté et d'informations sur la tenue des examens, conditionnée à la situation sanitaire, a ajouté un facteur de stress et d'anxiété pour les lycéens qui voyaient les échéances se rapprocher "sans savoir concrétement comment les épreuves allaient se dérouler". Ayant également le sentiment d'avoir été "délaissés" pour définir leurs envies et choisir leur orientation post-bac, nombre d'entre eux appréhendent aujourd'hui les études supérieures. "Avec le Covid, les salons étudiants se faisaient en visio, ce n'était pas idéal pour poser des questions et interagir avec les étudiants", regrette Colyne. Résultat, "l'avenir leur fait peur", explique la psychiatre Rachel Bocher.
Une fois le bac passé, l'appréhension continue de les suivre jusqu'aux bancs de l'université. En première année, de nombreux jeunes racontent "découvrir" le concept de "périodes de révision sur plusieurs semaines" avec les partiels. "C'est déjà stressant pour les L1, mais pour nous, ça l'est encore plus parce qu'on n'a jamais connu ça, explique Célia. Ce sont les vrais premiers examens qu'on fait."
Alors que certains ont déjà entamé leur cursus universitaire, quels souvenirs ces jeunes conserveront-ils de leurs années lycée ? Lorsque nous leur posons la question, beaucoup peinent à répondre. "La galerie photos de mon téléphone ne contient presque aucun souvenir de seconde. Juste des captures d'écran de cours", réalise Angelin. Avec du recul, il y a bien des images qui reviennent : celle des "visages masqués" ou du temps passé "derrière l'ordi", symboles d'un bout de jeunesse tronqué et du regret de ne pas avoir pu vivre cette période pleinement.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé(e)
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