Utilisation de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19 : "17 000 morts, c'est une estimation basse", juge le chef du service pharmacologie du CHU de Bordeaux
"Promouvoir l'hydroxychloroquine avec ses dangers potentiels était irresponsable et indigne de nos personnalités politiques", fustige Mathieu Molimard jeudi 4 janvier sur franceinfo. Le chef du service de pharmacologie du CHU de Bordeaux s'est exprimé au sujet d'une étude, parue dans la revue scientifique Biomedecine & Pharmacotherapy, qui montre que l'hydroxychloroquine est liée à près de 17 000 morts dans six pays au printemps 2020, en pleine épidémie de Covid-19.
franceinfo : Cette étude confirme-t-elle ce qu'on savait déjà mais que beaucoup n'ont pas voulu entendre à l'époque ?
Mathieu Molimard : Depuis mars 2020, on dit que ce traitement ne peut pas être efficace et qu'il est dangereux, mais on était inaudibles. En mars 2020, les centres de pharmacovigilance ont alerté sur l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans le cadre spécifiquement du Covid, parce que les atteintes cardiaques, les baisses du potassium, en plus de l'azithromycine peuvent aggraver la toxicité de l'hydrochloroquine.
Au bout d'un mois d'utilisation en France, on a eu huit déclarations d'arrêt cardiaque en pharmacovigilance, qui a valu que ce médicament ne soit plus prescriptible en ville à partir de fin mars et qu'à partir du mois de mai on n'ait plus pu le prescrire en dehors des essais cliniques. Malgré cela, l'IHU de Marseille [dirigé par le professeur Didier Raoult] a continué à la prescrire jusqu'en décembre 2021, sans les autorisations des essais cliniques nécessaires. Donc c'était attendu, on sait depuis 2021 qu'il y avait 11% de morts à l'hôpital.
"Cette étude sous-estime massivement le nombre de morts puisqu'elle ne tient pas compte des morts à la maison ou en Ehpad. Elle ne tient pas compte du Brésil ou de l'Inde, qui ont suivi cette recommandation issue de l'IHU, en disant qu'ils avaient un remède miracle".
Mathieu Molimard, chef du service de pharmacologie du CHU de Bordeaux,à franceinfo
Le chiffre de 17 000, c'est une estimation basse. Si on ajoute l'Inde, qui compte un milliard de personnes, si on rajoute le Brésil, si on ajoute toutes les vagues épidémiques, on dépasse largement les 100 000 morts.
La France compte 200 morts. Le traitement n'a pas été si utilisé que ça chez nous ?
On a eu de la chance du fait que les médecins n'y aient pas trop adhéré. On a beaucoup entendu les pro-hydroxychloroquine mais ils ne représentaient qu'une infime minorité de médecins et heureusement. Les médecins ont testé naturellement pendant quelques jours ou quelques semaines pour s'apercevoir que ça ne marchait pas et cela a été arrêté fin mars, grâce aux autorités qui ont pris conscience du risque. Il n'y a eu que 15% de prescriptions en France, quand c'est 60% aux Etats-Unis. On a été relativement protégés grâce à la qualité de nos médecins et aussi des interventions des pouvoirs publics, qui ont freiné cette utilisation malgré une surpression médiatique.
Ces données mettent-elles en évidence les dangers d'une utilisation précipitée, sans preuves cliniques, de vieux médicaments ?
Le risque du médicament est lié à l'indication et aux personnes à qui on le donne. Il n'est pas lié à un risque absolu. Si on le donne à quelqu'un qui est plus à risque, on a plus de risques et plus de morts. C'est une règle de base : il ne faut pas donner de médicaments lorsqu'on n'a pas la preuve formelle de son efficacité, car on fait prendre un risque à 100% des patients pour un bénéfice hypothétique.
De nombreuses personnalités politiques à l'époque ont fait la promotion de l'hydroxychloroquine. Le président Emmanuel Macron s'est même rendu à Marseille pour rencontrer Didier Raoult. Devrait-on en tirer des leçons aujourd'hui ?
J'aimerais qu'on en tire des leçons mais je ne suis absolument pas convaincu qu'elles vont être comprises. On va probablement avoir exactement les mêmes phénomènes lors d'une prochaine épidémie. Des gens ont transformé un problème de santé publique, de pharmacologie, en un problème politique. Promouvoir l'hydroxychloroquine avec ses dangers potentiels était irresponsable et indigne de nos personnalités politiques. Dénigrer la vaccination, comme certains l'ont fait, est aussi irresponsable et ne tient pas compte de la santé de nos concitoyens.
Ce scandale politico-sanitaire risque de se reproduire : les leçons ne sont pas tirées, l'éducation de la population est insuffisante en notion de bénéfice et de risque. A l'école, personne n'apprend que les médicaments sont dangereux, tout le monde considère que ce sont des bonbons. Il n'y a pas de formation suffisante des médecins et il n'y a pas de site d'information fiable sur lequel tout le monde peut se reposer. Je crains qu'on ne soit pas vaccinés contre l'anxiété, les gourous et les charlatans.
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