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Covid-19 : face aux variants, quelles sont les options pour avoir des vaccins toujours à jour ?

Plusieurs mutations clés des nouveaux variants suscitent des inquiétudes sur une potentielle perte d'efficacité des vaccins déjà disponibles. Des études plus poussées sont attendues, mais une chose est sûre : les fabricants doivent anticiper l'émergence de nouveaux variants.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des doses du vaccin russe Spoutnik V et du vaccin chinois de Sinopharm, dans un centre de vaccination de Belgrade (Serbie), le 1er février 2021. (OLIVER BUNIC / AFP)

La course à la vaccination bat son plein dans de nombreux pays, mais de premiers nuages semblent poindre à l'horizon. Les nouveaux variants du virus, en effet, mettent à l'épreuve les vaccins déjà disponibles et ceux toujours en développement. Plusieurs études sont en cours pour évaluer l'éventuelle perte d'efficacité des vaccins en lien avec la mutation E484K, commune aux variants découverts en Afrique du Sud et au Brésil (B.1.351 et B.1.1.248) et récemment identifiée dans certains génomes du variant apparu en Angleterre (B.1.1.7). Mêmes efforts avec la mutation N501Y, commune aux trois variants.

Des dizaines de milliers de mutations ont déjà été observées dans les génomes en circulation du Sars-CoV-2, mais seules quelques-unes posent réellement problème. Si les mutations E484K et N501Y intéressent particulièrement les chercheurs, c'est parce qu'elles pourraient limiter la capacité des anticorps "classiques" (induits lors d'une infection à la souche de Wuhan) à se fixer sur la protéine Spike (ou protéine S) des variants, et donc à empêcher le virus d'entrer dans les cellules pour se répliquer. Ce qui pourrait poser problème si les variants prenaient le pas sur la souche initiale.

La question n'a pas encore été tranchée. Pfizer et Moderna ont affirmé (ici et ), et sans doute un peu tôt, que leurs vaccins à ARNm restaient efficaces contre les variants porteurs de ces mutations, à partir d'études in vitro sur de faibles échantillons (20 et 8 sérums de participants vaccinés). A l'inverse, l'efficacité du vaccin d'AstraZeneca a fait une chute libre (22%) lors d'un essai en Afrique du Sud, et Novavax s'est également cassé les dents dans ce pays (50%). En attendant d'en avoir le cœur net, la communauté scientifique planche donc sur différents scénarios pour maintenir la pression vaccinale sur le virus.

L'hypothèse d'une troisième dose de rappel

Les mutations concernées modifient quelque peu la forme de la protéine S du virus, et les anticorps peinent davantage à la détecter et à mener l'assaut. Il fallait une concentration d'anticorps décuplée pour neutraliser le virus porteur de la mutation E484K, selon des travaux préliminaires (en anglais) de l'université de Cambridge menés in vitro (sur les sérums de 26 personnes après une dose du vaccin Comirnaty de Pfizer-BioNTech). Pour autant, "ces variants ne sont pas totalement insensibles aux anticorps" actuels, explique à franceinfo la professeure Brigitte Autran, du comité scientifique sur les vaccins Covid-19. L'hypothèse est qu'un niveau suffisant d'anticorps permette de garantir une protection, y compris contre les variants.

Les vaccins à ARN induisent vraisemblablement des taux d'anticorps supérieurs aux vaccins à vecteur viral. Le cas échéant, "une injection de rappel pourrait permettre de remonter le taux d'anticorps et passer au-dessus d'un seuil permettant de combattre les variants, sans avoir à changer le vaccin", explique Brigitte Autran. Reste à connaître le seuil critique d'anticorps qui permettrait de remporter la surenchère entraînée par les variants, et de compenser la perte d'efficacité.

D'importantes recherches sont donc en cours pour tenter d'évaluer ce que l'on nomme le "corrélat de protection", cette courbe qui met en relation la concentration d'anticorps et le niveau de protection. Pour réaliser cette estimation, encore faut-il disposer d'effectifs gigantesques et de données harmonisées sur les différents essais cliniques. Si les chercheurs parvenaient à définir ce corrélat pour le Sars-CoV-2, il pourrait être possible de déterminer si une dose de rappel est nécessaire ou non, en observant le niveau d'anticorps chez une personne déjà vaccinée.

"Il est possible que des vaccins actuels arrivent à prévenir les formes sévères, même liées à des mutants. Si c'est le cas, on est tranquille. Mais Pfizer et Moderna s'avancent un peu car ils n'ont pas ce corrélat de protection."

Brigitte Autran, immunologue

à franceinfo

Le laboratoire Moderna recrute actuellement des participants pour des essais avec une troisième dose, à distance des deux premières, dans le cadre d'essais menés avec les instituts de santé américains (NIH). L'objectif est essentiellement de mesurer une éventuelle prolongation de l'immunité acquise après la vaccination, mais cet essai pourrait fournir quelques données sur la résistance aux variants.

De nouvelles versions des vaccins

Les mutations concernées entraînent une meilleure adhésion du virus aux récepteurs des cellules, raison pour laquelle les variants seraient plus contagieux. Et puisque "les anticorps les reconnaissent mal", comme le résume Brigitte Autran, la stratégie la plus intuitive semble encore de développer de nouveaux vaccins adaptés aux variants. D'ailleurs, tous les principaux fabricants de vaccins contre le Covid-19 planchent déjà sur de nouvelles versions. Ces mises à jour sont bien connues dans le cas de la grippe saisonnière – à ceci près que les corrélats de protection sont "à peu près" cernés pour cette maladie.

"Concernant la grippe, quand on voit que l'efficacité des anticorps baisse d'un facteur 5, on sait qu'il faut changer de vaccin. Mais on ne peut pas copier-coller ce modèle à d'autres vaccins."

Brigitte Autran, immunologue

à franceinfo

"Maintenant qu'on a su faire des vaccins pour la première souche, il sera facile d'en faire pour les nouveaux variants", estime Brigitte Autran. Dans le cas des vaccins à ARNm, il suffit de remplacer l'ARN codant la protéine S (de la souche de Wuhan) par l'ARN codant la protéine du variant ciblé. Après séquençage, ces codes génétiques pourront être produits en laboratoire, par génie génétique, puis encapsulés dans des nanoparticules lipidiques. Le fondateur de BioNTech, Ugur Sahin, estimait fin décembre que son laboratoire aurait simplement besoin de six semaines de développement pour mettre à jour le vaccin Comirnaty. Même chose pour les vaccins à vecteur viral, "en insérant l'acide nucléique [codant la protéine S] des variants dans le vecteur".

Potentiellement, il est même possible d'imaginer une formule vaccinale composée des différentes conformations de l'ARN codant la protéine S, afin de disposer d'un effet groupé du vaccin contre les variants. C'est en tout cas la promesse de CureVac, dont le vaccin à ARN de première génération, pourtant, n'a pas encore été mis sur le marché. Le laboratoire a dévoilé (en anglais) un partenariat avec GSK en vue de développer, dès l'an prochain, des vaccins multivalents contre les différents variants.

"Une option pourrait être de développer un nouveau vaccin qui répondrait exclusivement aux nouveaux variants – il faudrait alors combiner l'ancien et le nouveau" avec une troisième dose "booster", confirme le ministère de la Santé, qui aborde régulièrement ces questions avec les fabricants. "Une autre option serait de développer un nouveau vaccin qui intègre la souche de Wuhan pour développer un vaccin bivalent ou polyvalent", à condition de régler les questions liées à la tolérance avec ces nouvelles formules.

Des autorisations simplifiées à l'avenir

Avec ces vaccins de deuxième génération, les questions réglementaires devraient rapidement revenir sur la table. En effet, lorsque la substance active d'un produit est modifiée, il faut obtenir une nouvelle autorisation de mise sur le marché (AMM). Ces nouvelles versions devraient donc reprendre le parcours intégral de validation scientifique des données par les autorités compétentes – un rôle dévolu au CHMP, un comité sous tutelle de l'Agence européenne des médicaments (EMA). Une telle procédure, même accélérée, prend du temps. Quatre mois se sont écoulés entre le début de la procédure de révision en continu du vaccin d'AstraZeneca et le feu vert européen (près de deux mois pour Moderna et 90 jours pour Pfizer).

En coulisses, l'Agence européenne des médicaments a donc déjà débuté des discussions avec d'autres autorités sanitaires, comme la FDA américaine, afin d'élaborer avec les fabricants la réponse réglementaire la plus adaptée. Les experts de l'EMA pourraient ainsi définir des ensembles de données bénéficiant de dérogations, afin de concentrer leur examen sur les données spécifiques aux nouvelles versions des vaccins. Ce qui permettrait de gagner un temps précieux dans un contexte de forte pression épidémique.

De telles règles sont déjà en vigueur avec les vaccins contre la grippe, avec ce que l'on nomme des "variations d'AMM". Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament (ANSM), semble d'ailleurs évoquer cette piste dans un entretien au Monde.

"Des discussions sont en cours pour savoir si de tels vaccins modifiés devront refaire tout le processus d'AMM, mais on devrait pouvoir éviter de repartir de zéro."

Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l'ANSM

au "Monde"

Cependant, "il faudra quand même un minimum d'éléments qui montrent l'efficacité du vaccin, estime Brigitte Autran. Et tant qu'on n'a pas de corrélat de protection, il est difficile de dire quels éléments seront requis par les agences."

Une palette limitée de mutations ?

Les fabricants et les différentes équipes de recherche pourraient également reprendre le dessus en raison de la dynamique propre du virus. "Nous avons deux modèles de virus qui mutent infiniment : le VIH et le virus de la grippe, selon des mécanismes différents dans les deux cas, explique Brigitte Autran. Les coronavirus mutent, mais ne semblent pas avoir l'un de ces deux mécanismes. Si les capacités de mutation du virus étaient restreintes, ce serait plutôt une bonne nouvelle." Les chercheurs envisagent donc une hypothèse optimiste, dans laquelle les mutations acquises par le virus, nécessaires à sa survie, finiraient par le pousser à la faute avec une perte de virulence et de contagiosité.

A ce stade, les mutations semblent se cantonner à un petit nombre de positions sur la zone qui permet au virus de se lier aux cellules. Comme par convergence, la mutation E484K observée sur les variants sud-africain et brésilien, par exemple, est ensuite apparue sur le variant britannique. "Avec le temps, nous allons construire des anticorps contre ces mutations" et le virus n'aura "plus tellement de possibilités d'agir et de s'échapper", poursuit Brigitte Autran.

Il pourrait alors se trouver dans une impasse, dans ce contexte de fuite en avant contrariée par la vaccination et l'immunité naturelle des populations. "D'un point de vue vaccinal, ce sera par conséquent beaucoup plus simple que pour la grippe ou le VIH. Il ne faut donc pas dire qu'on va entrer dans la même problématique que pour la grippe, conclut Brigitte Autran. Peut-être faudra-t-il passer par une phase de quelques années où il faudra s'adapter et se revacciner, mais ce ne sera pas ad vitam æternam." Enfin un motif d'espoir, alors que notre quotidien ressemble depuis des mois au film Un jour sans fin.

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