Docteur et cobaye, Manuel Schibler a la lutte contre Ebola dans le sang
Après avoir soigné un médecin touché par la maladie et s'être porté volontaire pour tester un vaccin, ce Suisse s'apprête à partir en mission en Sierra Leone où l'épidémie fait rage.
Le lendemain, il s'est senti "un peu raplapla", légèrement fiévreux. Avec une douleur dans le bras. Et des millions de virus dans le corps, déguisés en Ebola. Le 10 novembre, Manuel Schibler a fait croire à son organisme qu'il venait d'être infecté par la maladie qui ravage une partie de l'Afrique de l'Ouest. Et pour laquelle il n'existe encore aucun traitement ni vaccin reconnu. Il a reçu une dose de VSV-ZEBOV, l'un des deux vaccins anti-Ebola actuellement testés dans le monde.
Manuel Schibler, 37 ans, s'est fait injecter un virus (d'origine animale, sans lien avec Ebola et quasi-inoffensif chez l'homme) dont l'enveloppe avait été remplacée par celle d'Ebola. Une bestiole camouflée en monstre, qui a commencé à se propager, causant une petite fièvre et forçant le corps du cobaye à fabriquer des anticorps pour se défendre contre toute particule présentant cette "enveloppe Ebola". Si tout fonctionne, Manuel Schibler sera peut-être vacciné contre la maladie.
Personne ne sait encore si la dose qu'il a reçue a eu l'effet escompté. Pas question de lui injecter Ebola pour en avoir le cœur net. Il faut attendre, comme pour les 333 autres volontaires suisses, gabonais, kényans, canadiens, américains ou allemands à s'être portés volontaires pour tester le VSV-ZEBOV, fabriqué outre-Atlantique. Dans le mois qui a suivi l'injection, lors de cinq visites de suivi, Manuel Schibler a dû se soumettre à des prélèvements salivaires, sanguins et urinaires. Les premiers résultats de l'essai seront connus dans les prochains jours, avant une phase de test à grande échelle, dès janvier, dans les pays touchés.
Assis autour d'une table en bois ronde, dans son petit bureau 5-846 des Hôpitaux universitaires de Genève, le docteur Schibler, en blouse blanche, tend le bras et attrape un bonbon dans une coupelle en plastique. "J'ai un degré d'angoisse zéro" concernant d'éventuels effets secondaires liés au vaccin, déjà testé avec succès sur des singes, explique-t-il à francetv info. "C'était un geste naturel de ma part, sachant que cela peut encore avoir un impact pour stopper l'épidémie actuelle, ou sinon la prochaine."
"Être utile concrètement"
Ce virologue suisse côtoie Ebola depuis le mois d'avril, quand il a intégré l'équipe chargée de préparer l'hôpital à accueillir et soigner d'éventuels patients contaminés. Pour mettre au point une chambre dédiée, il s'est beaucoup documenté, un travail "stimulant, mais parfois frustrant", hypothétique. "Au bout d'un moment, on a envie de voir la chose en vrai et d'être utile concrètement", reconnaît-il. Il a été servi, le 20 novembre, avec l'arrivée à Genève du médecin cubain Felix Baez, infecté en Sierra Leone.
Les yeux bleus de Manuel Schibler s'illuminent, un sourire presque gêné se dessine. "Je faisais partie du comité d'accueil du patient, raconte-t-il. C'était une chance, pour moi, de tester tout ce qui avait été mis en place, surtout que cela s'est extrêmement bien passé." Pendant deux jours, le patient cubain est dans un état préoccupant, susceptible de basculer rapidement.
Manuel Schibler passe deux à quatre heures par jour à aux côtés de son confrère, dans la chambre Ebola, en tenue de protection. Il l'examine, procède à des analyses sur place et, l'état du patient s'améliorant, discute avec lui de son expérience sur le terrain. "C'est quelqu'un de très courageux, qui a vite annoncé son intention de retourner dans les pays touchés par l'épidémie", retient le Suisse. Guéri, Felix Baez a quitté Genève le 6 décembre. Peut-être se reverront-ils en Sierra Leone.
Destination Sierra Leone
Le décollage de Manuel Schibler pour la capitale du pays, Freetown, est programmé le 3 janvier. Là encore, les yeux rivés vers le massif du Jura, à travers la fenêtre de son bureau, il parle de "chance". Sa "formidable aventure" avec Ebola se poursuit et c'est "fascinant, gratifiant". Il va partir en Afrique. Enfin. Ce qu'il a "toujours voulu faire", quand il se rêvait en médecin luttant contre "des petites bêtes exotiques dans des endroits exotiques".
En Sierra Leone, dans un nouveau centre de Médecins sans Frontières (MSF), Manuel Schibler va voir "la chose" de près. Deux à trois fois par jour, il va s'occuper de patients infectés, avec les moyens du bord. "Dans les tenues, avec 80% d'humidité et une température de 40°C, on tient une heure, détaille-t-il. Le reste du temps, il faut se reposer, boire, manger, pour être d'attaque pour une nouvelle heure avec les malades." Tandis que le médecin cubain soigné à Genève a pu bénéficier d'une chambre sophistiquée et d'un double traitement expérimental, les malades de Freetown n'ont à disposition que des moyens thérapeutiques de soutien (hydratation, sels minéraux, antibiotiques, antidouleurs, antinausées).
Sur le bureau du médecin suisse, à gauche de son ordinateur, un petit calendrier avec une photo de sa fille de 17 mois. "Il y a un risque très faible que je ne revienne pas", reconnaît Manuel Schibler. Sa femme, d'origine guinéenne, le soutient malgré tout. Ses parents, plus réticents, le "comprennent". Mais ils ne cachent pas leur angoisse. "J'ai confiance en MSF, ils ont eu très peu de médecins contaminés. Je suis jeune, en bonne santé, et je sais que les organisations feront tout pour me rapatrier si je suis infecté", argumente-t-il. Et le vaccin aura peut-être fait ses preuves d'ici là.
La souffrance des enfants
S'il n'a "pas peur d'Ebola", le chef de clinique redoute son "saut dans l'inconnu". Un mois durant lequel il vivra dans une "paranoïa nécessaire", au contact de malades avec qui il faudra communiquer à travers des tenues protectrices et qu'il faudra parfois renvoyer chez eux à cause du manque de place. Il appréhende la souffrance des enfants. Il a déjà reçu une formation de deux jours en Suisse avec MSF : il a appris notamment à transporter les cadavres de la "zone à haut risque".
A son retour de Freetown, Manuel Schibler a prévu de passer une dizaine de jours, seul, dans un appartement appartenant à ses parents. Histoire d'éviter de se soucier d'un éventuel risque de transmission d'Ebola à ses proches. Il sait aussi qu'il aura besoin de "digérer ce vécu", de se "ressourcer". Après les avoir observées depuis son bureau, le docteur suisse pourra enfin profiter du calme des montagnes du Jura. A l'isolement.
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