Mort de Naomi Musenga : travailler au centre d'appels est "un poste très lourd, en première ligne"
Insultes, mauvaises blagues, stress... Les agents du centre d'appels de secours de Strasbourg sont chargés de gérer jusqu'à 3 000 coups de fil par jour. Après les révélations sur le mort de Naomi Musenga, l'équipe est désemparée et reçoit des menaces.
"Cela fait 48 heures que l'affaire a explosé dans les médias et depuis, la porte est ouverte à tout. Le nombre d'appels d'insultes a augmenté." Alors que l'hôpital de Strasbourg est dans la tourmente après l'affaire Naomi Musenga, Sandrine Cnockaert, secrétaire régionale du syndicat Sud, a demandé à la direction de monter une cellule d'aide psychologique au sein de l'équipe du Smur. "Les collègues sont désemparés et ont peur pour la suite."
L'effectif du service compte 33 personnes au total. Cinq agents – trois répondants et deux superviseurs – travaillent à ce poste pendant douze heures pendant deux jours, avant de bénéficier de deux jours de repos. Jean-Claude Matry, président de la CFTC-Hôpitaux universitaire de Strasbourg, a expliqué que l'opératrice travaillait pour son troisième jour d'affilée, après avoir remplacé une collègue "pour aider le service". Contacté par franceinfo, le directeur général, Christophe Gautier, dément cette information. "Son planning était conforme. Il s'agissait de son deuxième jour et elle sortait de surcroît d'une quinzaine de jours de congés. Elle a débuté à 7h30 et a reçu l'appel à 11h30."
"Une activité dense, mais pas exceptionnelle"
Selon Jean-Claude Matry et Sandrine Cnockaert, le service en question devait gérer 3 000 coups de fil par jour au mois de décembre quand la jeune femme de 22 ans a lancé son appel à l'aide en composant le 15. A ce stade, la direction ne confirme pas ce chiffre de 3 000 coups de fil et se contente d'évoquer "une activité dense, mais sans conditions exceptionnelles". Les syndicats, eux, dénoncent un nombre d'appels devenu ingérable. "Il y a une augmentation au fil des ans et les services du Smur manquent aujourd'hui d'effectifs, explique Sandrine Cnockaert à franceinfo. On ne peut plus nous demander de gérer autant d'appels et son lot de stress et d'insultes. Les agents se font traiter de tous les noms, sont parfois victimes de racisme."
Les agressions verbales sont journalières. Soit l'agent est à la limite du burn-out et du stress total, soit il arrive à faire abstraction. C’est très compliqué de prendre les appels. Ce sont des postes très lourds, en première ligne.
Sandrine Cnockaertsecrétaire générale des services de santé Sud
"Enormément de gens appellent pour rien"
Les équipes se plaignent également d'un nombre trop élevé d'appels pour des cas relevant de la "bobologie", c'est-à-dire de signalements qui ne revêtent aucun caractère urgent. "Enormément de gens appellent pour rien, un mal de gorge par exemple, et cela prend beaucoup de temps." Autant de contraintes qui compliquent la gestion des appels. "Il faut savoir faire la part des choses pour être sûr de ne pas se tromper." Jean-Claude Matry évoque également les personnes qui font des gags. "Alors de temps en temps, les équipes décompressent, pour ne pas péter les plombs".
Je n'ai pas envie qu'on traduise cette personne comme une meurtrière. Que la ministre [Agnès Buzyn] soit offusquée, d'accord. Mais ce qui m'offusque, c’est le manque de personnel crucial pour cette mission.
Jean-Claude Matry, président du syndicat CFTC des Hôpitaux universitaires de Strasbourgà franceinfo
Un discours qui rejoint celui de Mohamed Aachour, l'avocat de la famille de Naomi Musenga. "La famille ne souhaite absolument pas qu'on érige cette dame en bouc émissaire, elle souhaite que toute la lumière soit faite sur toute la chaîne des responsabilités." L'opératrice a été informée de sa suspension à titre conservatoire lors d'une réunion avec le directeur général, Christophe Gautier, et le président de la commission médicale d'établissement, Jean-Marie Danion. "Lors de la rencontre, elle était assez muette. Elle accusait le coup, désemparée, et cherche maintenant à se protéger", raconte à franceinfo un syndicaliste, toujours en contact régulier avec l'opératrice.
La direction fait un signalement à la police
"Elle a pris une décision qu'elle ne devait pas prendre, reconnaît Sandrine Cnockaert. Elle aurait dû réorienter Naomi Musenga auprès d'un médecin régulateur." Mais la syndicaliste dit avoir peur pour sa collègue. "Elle risque de lourdes sanctions mais rien ne va changer autour. Nous, nous aimerions que tous les lièvres soient levés dans cette affaire, pour montrer tous les dysfonctionnements du système." Y compris le manque de moyens. "Depuis 2015, le Smur ne dispose plus que de quatre colonnes (véhicule et équipe médicale) au lieu de cinq." Mais pour Christophe Gautier, cette "normalisation" est un simple alignement sur le fonctionnement normal de tous les CHU.
La nécessité de vérité que nous devons à la famille de Naomi Musenga, à ses proches, ne doit pas occulter la travail d'une équipe qui répond à ses missions avec une charge de travail importante.
Christophe Gautier, directeur général des Hôpitaux universitaires de Strasbourgà franceinfo
Un CHSCT extraordinaire est prévu vendredi, pour faire le point sur la situation. "Les collègues ont très peur, explique Jean-Claude Matry. L'une d'elles a envoyé un texto pour informer tout le monde que des gens les traquaient sur Facebook pour espérer retrouver l'opératrice concernée."Des menaces sont également rédigées sur les réseaux sociaux et le centre d'appels reçoit des messages de menaces.
"Des tweets ont également mentionné des coordonnées d'agents. Nous prenons cela tout à fait au sérieux", explique Christophe Gautier à franceinfo. Ce dernier a adressé un signalement à la direction départementale de la sécurité publique pour des divulgations d'informations personnelles, ce qui a été confirmé par la police à franceinfo. Selon nos informations, au moins un agent a également manifesté l'intention de porter plainte.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.