Maladie et travail : la double peine
Peu considérés, discriminés, ou tout simplement licenciés pour inaptitude au travail. C'est le sort souvent réservé aux salariés malades ou handicapés en entreprise. Leur handicap, souvent invisible, toujours invalidant, n'est pas forcément incompatible avec le travail. Mais la vision de la maladie par rapport au travail est bien trop binaire. "La maladie au travail, ça n'existe pas, explique Anne-Sophie Tuszynski, fondatrice de Cancer@Work. Quand on est malade, on est en arrêt maladie. Et quand on revient au travail, on est guéri. La réalité est évidemment plus nuancée. On ne revient pas forcément au travail avec la maladie elle-même, mais avec des conséquences de cette maladie. Ces conséquences peuvent être une fatigabilité accrue, des difficultés de concentration, ou des pertes de mémoire, qui compliquent le travail."
"Comme si j'allais mourir"
Juliette, 37 ans, était enceinte et travaillait dans l'immobilier quand son cancer du sein a été diagnostiqué. Après la chimiothérapie, la radiothérapie et l'hormonothérapie, elle était impatiente de reprendre le travail. Mais c'était sans compter sur la fatigue, qui ne l'a pas lâchée pas. "Moi qui suis très énergique, je ne connaissais pas la fatigue, se souvient-elle. Elle n'est pas liée à une suractivité, et est très présente. Je m'endors pour un rien, et je perds beaucoup ma concentration. C'est très dur de passer son temps à chercher ses mots. Parfois, on n'arrive même plus à penser ou à parler". Mais le plus dur, pour Julie, a été de réintégrer une équipe où on ne l'attendait plus. "Mon écran avait disparu, mon agrafeuse avait été prise, ma super chaise avait été donnée à quelqu'un d'autre. Pour moi, c'est comme s'ils s'étaient dit que j'allais mourir. Alors que pas du tout : j'avais juste besoin de me soigner".
À son retour, Juliette a pu bénéficier d'un mi-temps thérapeutique. Mais après 14 mois d'absence, ses collègues ne l'ont pas ménagée. "On ne comprend pas qu'à notre retour, nos capacités ne sont plus les mêmes. Nos collègues, qui sont dans l'urgence, ne comprennent pas que notre urgence à nous, c'est de récupérer nos capacités physiques. On m'a demandé d'être comme avant, presque d'en savoir encore plus qu'avant, pour rattraper les 14 mois où je n'étais pas là".
Faire reconnaître son handicap, simplement
Juliette a depuis quitté son travail et envisage de se réorienter. Et elle n'est pas la seule. Plus d'un million de personnes malades ou handicapées se retrouvent aujourd'hui menacées de désinsertion. Face à l'ampleur du problème, le gouvernement a confié à Dominique Gillot, présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées, une mission pour sécuriser leur emploi. "Il y a une très grande diversité des procédures, des institutions, des dispositifs, des parcours pour obtenir la reconnaissance de la qualification de travailleur handicapé. Ce sont des démarches qui sont extrêmement longues et stigmatisantes, qui n'encouragent pas les personnes avec un handicap à se sentir reconnues dans la société. Simplifier un peu le dispositif améliorerait la lisibilité et l'accessibilité", affirme-t-elle.
Le dialogue pour faciliter la reprise
Le rapport de Dominique Gillot préconise plus de communication entre les organismes de santé. Et aussi entre le salarié et son employeur. Anne-Sophie Tuszynski en est convaincue. Après avoir elle-même souffert d'un cancer, elle conseille aujourd'hui des entreprises pour mieux accompagner leurs collaborateurs malades ou handicapés. "Trop souvent, malheureusement, on en arrive à une situation d'inaptitude in fine, et donc au départ du collaborateur, reconnaît Nathalie Moreau, directrice des ressources humaines du Groupe Foncia. Notre rôle est de travailler avec le management pour envisager une reprise à temps partiel, doucement. On va alors regarder s'il est possible d'aménager le poste ou le temps de travail avec le reste de l'équipe".
Légales ou humaines, des solutions existent. Et la bonne nouvelle, c'est qu'elles ne sont pas si complexes à mettre en oeuvre. "Si la parole est libérée, les choses fonctionnent très bien, et de manière simple, constate Anne-Sophie Tuszynski. Quand un salarié confronté à la maladie s'autorise à parler avec son manager, avec les ressources humaines, et aussi avec le médecin du travail - qui est une partie prenante importante -, et qu'ils construisent ensemble un plan d'action personnalisé et suivi dans la durée, les retours se passent très bien".
D'après le Défenseur des droits, le handicap et l'état de santé sont encore aujourd'hui les premiers motifs de discrimination au travail.
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