Sécu : faut-il moins rembourser pour moins dépenser ?
La Cour des comptes préconise que les lunettes ne soient plus prises en charge par l'assurance-maladie. Cette piste, rejetée par la ministre de la Santé, suscite bien des réserves. Francetv info vous explique pourquoi.
"Il n'y aura pas de déremboursement" des lunettes. La mise au point de Marisol Touraine ne s'est pas fait attendre, mardi 17 septembre, quelques heures après la publication d'un rapport de la Cour des comptes préconisant un abandon de la prise en charge de l'optique par l'assurance-maladie. Gain espéré : 200 millions d'euros par an. L'institution évoque cette piste parmi d'autres afin de réduire les dépenses de santé, dont le déficit s'est creusé à 7,9 milliards d'euros cette année.
Le gouvernement, tout comme les professionnels du secteur, sont réservés sur cette proposition, qui risque de peser sur les assurés n'étant pas en mesure de s'offrir une bonne mutuelle. Le déremboursement de soins ou de médicaments fait pourtant partie de l'arsenal de mesures déployées depuis plusieurs années pour combler le trou de la Sécu. S'avère-t-il efficace ? Francetv info passe les chiffres au crible.
Le déremboursement = 645 millions d'euros d'économies depuis 2005
Chaque année, un certain nombre de molécules viennent rejoindre la liste des médicaments dont le "service médical rendu" (SMR) est jugé insuffisant. Le 15 juillet, 21 médicaments ont ainsi été déremboursés. En 2012, ils étaient 23. Entre la réduction de la prise en charge (à 30 ou 15%) et sa suppression totale, l'assurance-maladie a économisé 645 millions d'euros depuis 2005, selon un calcul de la Commission des comptes de la Sécurité sociale. Une goutte d'eau comparée aux 8 milliards d'euros de déficit de la branche maladie prévus pour cette année.
C'est pourquoi l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances préconisent d'aller plus loin. Dans un rapport (PDF) remis au gouvernement à l'été 2012, elles suggèrent notament de dérembourser totalement, comme la Cour des comptes, l'optique, mais aussi les cures thermales, les soins dentaires pour adultes et les audioprothèses. Il est aussi proposé de limiter la prise en charge des affections longue durée (ALD), comme le diabète ou le cancer, qui sont couvertes à 100% par l'assurance-maladie. De quoi économiser entre 4,5 et 5 milliards d'euros d'ici à 2017. Un gain plus substantiel.
Les 9 millions d'assurés souffrant d'ALD représentaient 63% des dépenses de santé en 2010. "Vouloir rationnaliser ces dépenses n'est pas illogique, d'autant qu'il y a eu longtemps des abus", souligne auprès de francetv info Sylvain Pichetti, économiste de la santé à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes). Mais le sujet est sensible. Et la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a opposé une fin de non-recevoir à ces pistes de déremboursement, arguant qu'"elles porteraient atteinte au niveau de protection des assurés sociaux".
Des effets indésirables sur la santé et les coûts
Il est difficile, en réalité, d'évaluer réellement l'impact économique de ces déremboursements sur le déficit de la branche maladie. A regarder les chiffres, celui-ci a d'ailleurs quasiment retrouvé le niveau de 2011 (8,6 milliards d'euros) cette année, après une nette amélioration en 2012 (5,9 milliards). La Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) attribue ce bon cru, entre autres, à une diminution des ventes de médicaments (-1,3% contre -0,8% en 2011) liée notamment à une baisse des remboursements (-0,9 % contre +1,2 % en 2011).
Mais la crise a balayé cet effort. D'autant qu'il s'accompagne parfois d'un effet de report. En clair, les patients dont le médicament habituel est déremboursé se reportent sur un autre, dont les ventes, et donc le coût pour la Sécu, augmentent. Une étude de l'Irdes (PDF) montre comment le déremboursement de mucolytiques et d'expectorants entre 2006 et 2008 a entraîné la hausse des prescriptions d'antitussifs. L'économie réalisée est passée de 70 à 38 millions d'euros.
"Cet effet de report a un impact en terme de coûts mais aussi en terme de santé publique, souligne Sylvain Pichetti. Car le médicament substitutif, réclamé par le patient à son médecin, n'est pas toujours approprié." Et l'économiste de citer l'exemple du déremboursement des veinotoniques en Italie, qui s'est suivi d'une hausse des hospitalisations pour des problèmes circulatoires, beaucoup plus coûteuses.
La baisse des prix et des prescriptions, des leviers plus efficaces
Malgré les efforts engagés par les pouvoirs publics, les Français restent de grands consommateurs de médicaments. Un facteur culturel, alimenté par des prescriptions trop généreuses de médecins rémunérés à l'acte. Selon une étude de l'hôpital Pompidou révélée par Libération mardi, les plus de 80 ans avalent en moyenne plus de dix produits par jour. Et sur 100 consultations en France, 93 aboutissent à la prescription d'un médicament, contre 50 aux Pays-Bas.
Les médicaments prescrits sont aussi plus chers qu'ailleurs en Europe. La faute, selon L'Expansion, à une "mauvaise habitude, bien française, de délaisser les molécules anciennes pour des médicaments nouveaux, plus chers et protégés par des brevets, qui n'apportent souvent rien de plus aux malades". Pour les anti-diabétiques, par exemple, les prix varient de 22 centimes à 3,67 euros par jour.
Le réflexe du générique a par ailleurs du mal à s'implanter dans l'Hexagone. Il ne représente que 31% du marché, contre 50% à 60% en Grande-Bretagne ou en Allemagne et 80% aux Etats-Unis. Selon la Cnam, l'accord conclu en avril 2012 entre l’assurance-maladie et les pharmaciens sur le "tiers payant contre générique" a pourtant engendré "une économie de 1,5 milliard d’euros sur l’année". C'est plus, en un an, que les 645 millions d'euros économisés grâce aux déremboursements de médicaments depuis 2005. Une étude publiée en juin va jusqu'à chiffrer à 10 milliards d'euros en trois ans les économies réalisées grâce à une baisse des prix des médicaments vendus en pharmacie.
Ainsi, plutôt que d'avaliser le déremboursement des lunettes, Marisol Touraine préfère "traquer les excès" pour "faire baisser les prix" dans l'optique.
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