En finir avec la douleur : vos questions, nos réponses (part. 2)
Comment se comporter avec un proche qui souffre ?
Les réponses avec le Dr Delphine Lhuillery, médecin spécialiste de la douleur, et avec le Dr Eric Serra, chef de service au centre d’étude et de traitement de la douleur CHU Amiens :
"En règle générale, la plainte est rarement entretenue très longtemps car elle fatigue l'entourage. Je vois souvent des patients douloureux avec leur conjoint. Et on sent chez eux que la douleur a imprimé une vraie nouvelle vie de couple et il faut arriver l'un et l'autre à pouvoir être bienveillant l'un avec l'autre. C'est toute la difficulté. Le monde médical est à privilégier dans ce domaine parce que le conjoint ne peut pas être le médecin, l'infirmier de celui qui souffre. Cette question est difficile car tout dépend aussi de la vie de chacun et de la construction du couple de chacun. On ne peut pas standardiser une réponse."
"On ne réduit pas le patient à sa douleur en lui permettant en dépit de ses problèmes de santé de continuer à vivre le mieux possible. C'est la raison pour laquelle l'un des objectifs des consultations de la douleur, ce n'est pas toujours de prendre en charge uniquement la douleur mais bien de prendre en charge la douleur et d'accompagner le patient de façon à ce que dans les situations les plus difficiles, les plus résistantes, le patient puisse continuer à habiter son couple, sa vie de tous les jours, qu'il puisse peut-être continuer à travailler avec des aménagements…"
En finir avec la douleur : l'errance des patients en recherche de soins
Les réponses avec le Dr Delphine Lhuillery, médecin spécialiste de la douleur, et avec le Dr Eric Serra, chef de service au centre d’étude et de traitement de la douleur CHU Amiens :
"Il y a un manque de connaissances au sein de nos études médicales. Une amélioration a commencé à voir le jour mais elle n'est pas suffisante. La prise en charge de la douleur est complexe, elle nécessite plus d'heures d'apprentissage que ce qu'on a aujourd'hui. Et beaucoup de médecins généralistes en particulier ont un manque d'outils pour arriver à prendre en charge ces patients. Quand on ne voit pas par des radios des lésions, évidemment très rapidement on peut imaginer que la douleur est dans la tête. C'est tout du moins de cette manière qu'elle est considérée car on nous a appris la médecine de façon très organique et avec des preuves irréfutables que sont nos instrumentations diverses et variées. Du coup, il est compliqué pour un médecin qui a appris la médecine de cette manière de pouvoir extrapoler les choses et pouvoir imaginer qu'il y a d'autres mécanismes."
"Je ne suis pas sûr qu'on puisse dissocier la partie organique de la partie psychologique. Et je ne pense pas qu'il faille nécessairement faire appel à un psychologue ou un psychiatre pour prendre en charge la partie psychologique parce que tout cela fait partie de la vie.
"Les médecins dans les centres de la douleur sont formés à une prise en charge globale, une compréhension et on peut faire appel dans les situations les plus difficiles à des psychologues ou des psychiatres qui constituent un des trépieds de nos consultations de la douleur."
"Ce n'est pas parce que ce n'est pas objectivable par nos radios et nos examens qu'il n'y a pas de lésion."
Comment évaluer la douleur chez les personnes âgées ?
Les réponses avec le Dr Jean-Marie Gomas, chef de service de l'unité de soins palliatifs à l'hôpital Sainte-Périne (AP-HP), et avec le Dr Eric Serra, chef de service au centre d’étude et de traitement de la douleur CHU Amiens :
"Le patient atteint de la maladie d'Alzheimer ou apparenté a des troubles, ses repères sont perturbés, sa mémoire est perturbée. Il va donc falloir interroger son histoire, écouter ses sensations, se servir de l'entourage, se faire aider de l'entourage pour décrypter la douleur et les symptômes. Il y a beaucoup d'incertitudes quand on est gériatre et que l'on s'occupe de patients qui ont des troubles cognitifs. Mais on a fait énormément de progrès. On a même des échelles d'hétéro-évaluation, c'est-à-dire que les soignants doivent regarder, écouter et croire le malade.
"Avec les patients qui ont des troubles cognitifs, il faut toujours penser que n'importe quoi peut faire mal et qu'il ne va pas forcément nous le dire. À nous de le décrypter, de le regarder et d'être à l'écoute. Il faut se décentrer sur l'autre. Il est important d'entendre que ces patients souffrent.
"Pour évaluer la douleur, chez les personnes âgées, on utilise des échelles qui se servent de leurs attitudes, du décryptage de leurs attitudes, de l'observation de leurs mimiques et la comparaison avec le temps (la temporalité joue un rôle important en gériatrie et dans tous les troubles neurologiques), et avec l'effet des médicaments et des techniques non médicamenteuses, cela nous permet de mieux comprendre."
"Concernant la douleur psychologique, on parle en médecine de souffrance. On se retrouve dans la souffrance globale. Quand on souffre de la maladie de Parkinson, on a des retentissements physiques avec des douleurs musculaires, articulaires. On a aussi des douleurs neurologiques qui imposent des traitements différents. Et il y a bien sûr la souffrance de se voir ralenti, de s'inquiéter de l'évolution de la maladie et dans ce cas, c'est un accompagnement global qui doit être réalisé. Il n'y a pas un médicament qui supprime la douleur psychologique."
"La manière d'écouter cette douleur psychologique joue un rôle. Souvent en consultation de la douleur, écouter l'autre c'est déjà faire un chemin énorme de décryptage et d'évaluation de la douleur. Ecouter l'autre, c'est une attitude intérieure. Sa richesse, c'est sa capacité à être en relation avec l'autre, et à l'écouter et à croire que ce qu'il va nous dire a du sens. Cela est fondamental dans l'évaluation de la douleur notamment chez les personnes âgées.
"Il y a la douleur physique qui est le corps, qui fait résonner la souffrance morale qui est dans la tête et la douleur physique se sent aussi dans la tête. Et la douleur physique et la souffrance morale se rejoignent avec la souffrance spirituelle, existentielle. Cette souffrance existentielle, c'est aussi la prise en charge globale qui va nous permettre de la supporter, de l'analyser et de montrer à l'autre qu'on le prend tel qu'il est. Cela est très important."
La sensation de douleur s'amplifie-t-elle avec l'âge ?
Les réponses avec le Dr Delphine Lhuillery, médecin spécialiste de la douleur, et avec le Dr Jean-Marie Gomas, chef de service de l'unité de soins palliatifs à l'hôpital Sainte-Périne (AP-HP) :
"Les études sont à peu près toutes d'accord pour dire qu'il y a une augmentation de la douleur chronique avec l'âge, au moins jusqu'à la septième décennie. Au delà, on pense que la prévalence de la douleur, c'est-à-dire le nombre de douloureux par tranche d'âge serait stagnant pour une raison : à partir d'un certain âge, les douleurs légères sont moins perçues. En revanche, les douleurs intenses sont toujours beaucoup plus perçues avec l'âge. Plus on est âgé, plus on perçoit une douleur intense encore plus intense. Les patients âgés ont beaucoup plus mal. Ils ont plus mal car il y a plus de sources douloureuses. Il y a également des modifications, l'âge implique des modifications anatomiques aux messages de la douleur et à l'intégration de ces messages dans notre cerveau."
"Peut-on s'approcher de la grande vieillesse et de sa fin de vie sans souffrance avec zéro douleur, zéro souffrance ? Non, ce n'est pas possible. Il y a une leçon d'humanité qu'il va nous falloir travailler parce qu'on entend beaucoup de bêtises sur ce sujet. Ce n'est pas parce que la fin de vie est difficile qu'elle n'a pas de sens. Une étude qui vient d'être publiée montre que jusqu'au bout de sa vie, le malade garde la maîtrise de sa relation et de son dernier souffle quand ses douleurs sont supportables. Et bien entendu, l'idéal est qu'il ait le moins de douleurs et de souffrances possibles."
Comment allier douleur et travail ?
Les réponses avec le Dr Dominique Valade, neurologue :
"C'est le problème de la MDPH. Les conseils sont très variés. Certains médecins disent aux patients qu'il y a dans leur entreprise des postes protégés et donc ils leur conseillent de faire une demande pour être sûr de rester dans l'entreprise. D'autres personnes se trouvent dans des situations plus complexes et ces postes sécurisés n'existent pas. Donc il est difficile de conseiller à un patient de faire une démarche ou non. Les situations des enfants ou des étudiants sont également très difficiles parce qu'ils vont souffrir de la perte de temps qui va faire qu'une personne qui aurait pu avoir une carrière brillante va se retrouver dans des circonstances dramatiques. Et cela impacte tout le reste de la vie."
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