Fun Radio accusée de banaliser le viol conjugal
La polémique a enflé sur les réseaux sociaux, jusqu’à faire réagir la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes... Dans un tweet désormais supprimé, Fun Radio a demandé à ses auditeurs, le 23 octobre, ce qu’ils pensaient du fait qu'un jeune homme ait des relations sexuelles avec sa compagne endormie. En procédant ainsi – et visiblement sans même s’en rendre compte – la station minimise deux événements hautement traumatisants : le viol pendant le sommeil et le viol conjugal.
Bonjour @funradio_fr
— ???????? MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 25 octobre 2018
Ce que vous décrivez est un viol.
Définition juridique: pénétration obtenue sous la menace la contrainte ou la surprise.
Ce serait bien de le dire à vos auditeurs & auditrices !
Si Charlotte a d’autres d’autres questions @leplanning est là pour elle. pic.twitter.com/sN5iMCQXxU
Pendant le sommeil, on ne peut pas consentir
"Si on dort, on est incapable de donner son accord. Et quand on fait l’amour avec une femme qui ne le veut pas, ça s’appelle un viol", rappelle simplement le Dr Charlotte Tourmente, sexologue et journaliste sur allodocteurs.fr. Pourtant, pour de nombreuses personnes, cette évidence n’en est pas vraiment une. En attestent les débats surréalistes qui ont eu lieu sur le plateau de l’émission Touche pas à mon poste (TPMP) en réaction au tweet de Fun radio le 25 octobre, où on a entendu une ancienne Miss France affirmer sans fard que "des choses qui se font quand l’une ou l’autre des personnes dort, c’est tout à fait mignon, c’est tout à fait sympa". Ou un chroniqueur se permettre de dire qu’"employer le mot viol pour ça, c’est une honte pour les gens qui se font violer", car "ce n’est pas un viol en l’attachant, en la contraignant".
"Il y a des gens qui sont #VRAIMENT violés, on sait ce que c'est que le viol." @Mdelormeau banalise le viol conjugal en expliquant que ça n'est quand même "pas un viol en l'attachant" et que "99% des gens ont compris le sens de la question". #TPMP = #CultureDuViol pic.twitter.com/BjQyvSK8FG
— Claire Underwood (@ParisPasRose) 26 octobre 2018
Une incompréhension qui ne surprend pas le Dr Tourmente. "Certains couples se réconcilient sur l’oreiller. D’autres font l’amour tôt le matin quand ils émergent du sommeil, donc ils sont à moitié réveillés", note-t-elle. "Mais là ce n’est pas pareil, elle dort !! Elle ne peut pas consentir !" précise la sexologue. L’acte est d’ailleurs particulièrement douloureux, et pour cause : quand une femme n’est pas excitée, la pénétration vaginale peut faire très mal.
Le tabou du viol conjugal
L’autre élément qui choque dans le tweet de Fun Radio – et dans les propos de la majorité des chroniqueurs de TPMP, donc – c’est la négation du viol conjugal. "C’est une réalité quotidienne pour de nombreuses femmes, qui touche tous les milieux sociaux", souligne Charlotte Tourmente. Il est ici important de le rappeler : même dans le cadre du couple, il est possible de ne pas désirer de relations sexuelles. Les forcer, c’est violer son conjoint. Mais en France, le tabou est énorme. "C’est le résultat de siècles de domination masculine, pendant lesquels le droit de cuissage était normal. Une femme devait remplir le devoir conjugal", explique la sexologue. Qui ajoute, non sans colère, qu’une femme "ne peut se soumettre au devoir conjugal, parce que ça n’existe plus !"
Aujourd’hui encore, les femmes victimes de viol conjugal ont pourtant du mal à témoigner. En cause, une double barrière psychologique : celle de l’entourage, et celle que ces femmes érigent elles-mêmes. "Il y a une vraie pression, car ça se passe dans le cadre du couple officiel : on se dit que c’est normal qu’on fasse l’amour. Et puis on ressent de la honte. On se dit que notre compagnon a rencontré nos parents, nos amis", souligne le Dr Tourmente.
Des conséquences graves
Sur le long terme, les effets du viol conjugal peuvent ruiner la vie d’une femme. "Psychologiquement, ça peut être dévastateur. Quelqu’un de confiance a brisé la confiance. Comment continuer à se fier à lui par la suite ?" interroge Charlotte Tourmente. Selon une étude publiée le 3 octobre dans le JAMA (Journal of the American Medical Association) par ailleurs, les femmes mentionnant au moins une agression sexuelle sont davantage sujettes aux dépressions, à l'anxiété et aux troubles du sommeil.
Cher @Cyrilhanouna et @TPMP pour avoir été victime, compagnon ou non, lorsqu’il n’y a pas de consentement c’est UN VIOL !!!
— pasquale_brd (@PasqualeBrd) 26 octobre 2018
Merci de respecter les victimes, comme moi, et ne pas donner des avis de midinettes « c’est mignon »... NON CE N’EST PAS MIGNON !!!! https://t.co/yTKwzlSxI7
Putain, je viens de découvrir qu’en faite je me suis jamais faite violée. Bah non vu qu’à l’époque c’était mon mec et qu’il ne m’a pas attaché. Merci @Mdelormeau ????????Et ma dépression depuis 7 ans je l’invite sûrement aussi. https://t.co/DuFUTCsNdk
— Emy Bertaux (@BertauxEmy) 26 octobre 2018
Certains psychiatres ont également théorisé la notion d’amnésie post-traumatique : face à un stress extrême comme un viol, le cerveau mettrait en place des mécanismes de défense et de sauvegarde permettant à la victime de diminuer sa souffrance physique et psychique. Cette amnésie, pendant laquelle la victime refoule les violences qu’elle a subies, peut durer plusieurs dizaines d’années. La psychiatre Muriel Salmona explique notamment que les victimes amnésiques peuvent se mettre inconsciemment dans des situations de danger et s’isoler.
Aussi est-il essentiel de rappeler, encore et toujours, que le viol est défini par le Code pénal à l’article 222-23 comme "tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise". Le viol est un crime passible de la cour d'assises. La peine encourue est de 15 ans de prison, ou de 20 ans si le viol est commis sur un mineur de 15 ans ou par le conjoint, le concubin de la victime ou le partenaire lié à la victime par un PACS (ou un ex).
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