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Toujours pas d'assistance sexuelle pour les handicapés français

Le Comité consultatif national d’éthique a rendu mardi un avis défavorable sur cette activité, que certaines associations souhaitent voir autorisée.

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Certaines associations demandent la légalisation de l'assistance sexuelle pour les personnes handicapées. (JEFF PACHOUD / AFP)

Autorisée aux Etats-Unis, en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark, l'assistance sexuelle pour les handicapés est encore loin de faire consensus en France. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, mardi 12 mars, un avis défavorable à cette activité, que certaines associations souhaitent voir légalisée. Signe que l'Hexagone reste frileux sur cette question taboue.

Qu'est-ce que l'assistance sexuelle ?

L'assistance sexuelle consiste en des massages, des caresses érotiques, voire des rapports sexuels effectués pour des personnes handicapées qui en font la demande. Dans les pays où elle est reconnue en tant qu'activité professionnelle, elle est rémunérée et fait l'objet d'une véritable formation. En Suisse par exemple, c’est l’association Sexualité et handicaps pluriels (SEHP) qui s'en charge.

Pascal, seul à exercer cette profession en France pendant quelques années (il a cessé son activité), expliquait en 2010 dans Le Parisien que les handicapés "voient défiler des dizaines de soignants qui viennent leur prodiguer des soins d'hygiène. Alors ils ont appris à abandonner toute pudeur pour se mettre nus devant ces gens qu'ils connaissent à peine." Il raconte son expérience : "Une femme de 35 ans m'a confié que, pendant des années, elle s'était comme désincarnée pour supporter ces soins. Et puis, avec moi, elle a eu envie de redécouvrir un corps qui ne soit pas juste source de souffrance, mais de plaisir."

Valentine, infirme moteur cérébrale, témoigne dans Libération : "Je me disais que je ne connaîtrais jamais le plaisir. Alors j’ai laissé tomber mes principes et j’ai payé 50 euros pour faire l’amour." Grâce à cet assistant sexuel, "pour la première fois de ma vie, je me suis sentie femme et plus uniquement une paire de jambes sur un fauteuil. (…) Cela m’a permis de découvrir le sexe mais aussi de réaliser que j’avais le droit d’exprimer mes désirs, mes envies…" confie-t-elle.

Quelle différence avec la prostitution ?

Aucune, selon le CCNE, qui avait été saisi du dossier par Roselyne Bachelot alors qu’elle était ministre des Solidarités et de la Cohésion sociale. Celle-ci était "rigoureusement, formellement, totalement opposée" à la création d’un statut d’assistant sexuel. Pour justifier son avis, le Comité invoque le "principe de non-utilisation marchande du corps humain". Car, même si les associations contestent l'assimilation de l'assistance sexuelle à de la prostitution, dans les faits, des clients payent pour des relations charnelles.

"Il semble difficile d’admettre que l’aide sexuelle relève d’un droit" de prestation, estime le CCNE. Or, "si une chose est interdite pour tout le monde, pour des raisons éthiques, il semble difficile d’envisager qu’elle soit autorisée dans le cadre d’initiatives individuelles et seulement au profit de certaines personnes", ajoute-t-il. Un avis que ne partage pas l'ancien député Jean-François Chossy (UMP-PDR), rapporteur de la loi sur le handicap en 2005. "La démarche doit s’adresser à des personnes lourdement handicapées qui n’ont pas accès à leur corps. Il faut personnaliser, pas catégoriser", dit-il au magazine Causette, qui consacrait en 2011 un dossier à l'assistance sexuelle (PDF). "La politique n’a pas de devoir sexuel, mais elle doit accompagner. On réduit l’assistance sexuelle à un acte rémunéré ; or c’est un acte de la vie. Quand on ne peut pas faire sa toilette, on vous la fait ; alors pourquoi pas le reste ?"

Aujourd'hui, le Comité évoque dans son rapport des risques de dérives : "Les bénéficiaires sont des personnes vulnérables et susceptibles d’un transfert affectif envers l’assistant sexuel", relève-t-il. Il craint aussi, pour le professionnel, "une trop grande implication personnelle dans son service". Pascal, lui, rappelle dans Libération que "l’argent est nécessaire pour prévenir l’attachement et se positionner dans une relation professionnelle". Et ajoute qu'il ne l'a "jamais vécu comme un sacrifice ou un geste altruiste". Néanmoins, le CCNE préconise une formation des personnels soignants et éducatifs à la sexualité des patients, pour "par exemple faciliter les relations physiques entre personnes handicapées, ou l’accès à des moyens mécaniques de satisfaction sexuelle".

Les intéressés réclament une "exception de la loi"

Il n'existe pas, en France, d'association mettant en contact handicapés et assistants, car elle serait accusée de proxénétisme. Le collectif Handicaps & sexualité (PDF) plaide lui "pour une exception de la loi",afin de "donner aux personnes en situation de handicap la possibilité de bénéficier d’une médiation sans laquelle certaines d’entre elles ne peuvent accéder à leur propre sexualité et à sa réalisation". "Accepteriez-vous une vie sans relation sexuelle, alors que vous en avez le désir ?", interroge-t-il dans un appel lancé en 2011.

Pourquoi, alors, les handicapés ne se contentent-ils pas des services des prostitué(e)s ? Interrogé par Causette, Charly, atteint de la maladie des os de verre, cite leur maladresse et leur méconnaissance du corps handicapé : "J’avais déjà fait appel à des escorts, mais la plupart ne veulent pas ou n’ont pas les bons réflexes vis-à-vis de mon corps, explique-t-il. L’aidante sexuelle, elle, n’était pas désarçonnée par ma situation."

Catherine Agthe-Diserens, sexo-pédagogue spécialisée et formatrice pour adultes à la SEHP, dont elle est présidente, estime dans le quotidien suisse Le Nouvelliste (PDF) que "l’accès à la sexualité est un droit universel. Si la personne ne peut y accéder elle-même, nous nous devons de la soutenir dans ce sens comme nous le faisons pour toutes les autres dimensions de sa vie". Pascal, lui, souligne que "le but n’est pas de fidéliser la personne, mais de la rendre autonome".

"Il faut tout de même rappeler qu'il existe en France un million d'handicapés mentaux et plus de deux millions d'handicapés moteurs", écrit sur son blog Philippe Brenot, psychiatre et responsable des enseignements de sexologie à l’université Paris-Descartes, cité par Slate. "Comment entrer en contact avec les autres, partenaires potentiels, lorsqu'on ne peut se déplacer, et comment, dans ces conditions, parvient-on à l'épanouissement sexuel ? La réponse la plus hypocrite, mais trop fréquente, est qu'il faudrait aux handicapés accepter leur handicap et ne rien demander de plus", assène-t-il.

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