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Loi controversée sur la Shoah en Pologne : "c'est une façon de voir l'Histoire qui est absurde" selon un historien

L'historien spécialiste de la Pologne, Jean-Yves Potel, a estimé jeudi sur franceinfo qu'avec la loi sur la Shoah, le gouvernement polonais est en train de prendre "une position grave et dangereuse".

Article rédigé par franceinfo
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L'ancien camp de concentration nazi à Auschwitz en Pologne, le 2 décembre 2016.  (BARTOSZ SIEDLIK / AFP)

La loi votée par le Sénat polonais sur la Shoah est "une façon de voir l'histoire qui est absurde" a analysé sur franceinfo jeudi 1er février Jean-Yves Potel, historien, politologue et spécialiste de la Pologne. Il a expliqué que la "nation polonaise est comme toutes les nations du monde, elle n'est pas totalement innocente". Les sénateurs polonais ont voté un texte de loi qui vise à condamner toute personne qui attribuerait à la Pologne une responsabilité dans les crimes commis par les nazis sur son territoire. Il serait par exemple interdit désormais de parler de "camps de la mort polonais" sous peine de sanctions. Cette mesure irrite Israël et fait l'objet de sérieux avertissements américains. Le but du parti conservateur Droit et Justice, au pouvoir depuis 2015, est de réveiller le patriotisme polonais. Pour Jean-Yves Potel, au contraire, "le gouvernement (polonais) est en train de prendre une position grave et dangereuse pour la recherche".

franceinfo : Les craintes autour de cette loi sont-elles fondées, selon vous ?

Jean-Yves Potel : Tout à fait. Je crois que l'objectif du gouvernement est moins de parler de cette formule sur les "camps de la mort polonais" – personne n'est pour utiliser cette formule – que d'intimider, voire de réprimer, ceux qui travaillent et qui parlent de complicité de Polonais ou de groupes de Polonais avec les nazis pendant la guerre. C'est incontestable qu'il y a eu complicité. Elle est avérée par les chercheurs. Elle a très souvent été racontée par des rescapés de la Shoah. Elle est étudiée aujourd'hui de façon très lucide et très intéressante – elle fait même l'objet de colloques, de publications en Pologne depuis 20 ans. Et tout cela est remis en cause par cette loi.

C'est donc tout particulièrement dangereux pour les chercheurs ?

Pour les chercheurs et pour les rescapés de la Shoah. Beaucoup disent qu'ils ont été dénoncés par des Polonais. Certains ont aussi été sauvés par des Polonais, mais beaucoup ont été dénoncés. Alors on ne peut plus le dire ? Si on dit ça, on prend trois ans de prison ? Si moi, demain, je vais en Pologne, alors que j'ai écrit des livres dans lesquels je parle de ça, je vais aller en prison ? C'est complètement loufoque ! C'est une façon de voir l'Histoire qui est absurde. La nation polonaise est comme toutes les nations du monde, elle n'est pas totalement innocente. Il y a des Polonais qui ont fait des saloperies. Il faut le reconnaître, il faut en parler.

Donc, le risque c'est de réécrire l'histoire ?

Oui, bien sûr. Le gouvernement fait ce qu'il appelle une politique historique. Il veut raconter un conte de fée, une histoire innocente de la Pologne héroïque et patriotique qui n'a jamais rien fait de mal et qui a passé son temps à défendre l'Occident. C'est absurde ! Ça fait partie de la politique du parti Droit et Justice et de cette vision nationale, catholique, polonaise, conservatrice. Ils essaient de ressouder leur nation là-dessus. C'est assez curieux d'ailleurs car ils voudraient, avec cela, ravaler l'image de la Pologne, faire en sorte qu'elle soit plus positive. Or, ce qu'ils font – et on le voit bien avec la réaction des Américains, des Israéliens, de tous les chercheurs dans le monde – c'est exactement l'inverse. Ils sont en train de se ridiculiser et de prendre une position qui est grave et dangereuse pour la recherche.

Est-ce que ça veut dire que la Pologne entretient un rapport très complexe avec cette page de son histoire de manière générale ?

Les nationalistes polonais, oui. Les Polonais en général, la recherche polonaise et une bonne partie de l'opinion polonaise ont beaucoup évolué ces 25 dernières années. Il y a eu beaucoup de débats, comme il y a eu en France ou en Allemagne. On admet aujourd'hui beaucoup de choses. Il y a eu des commémorations de pogroms notamment, perpétrés par des Polonais contre des Juifs. Tous les ans, il y a des manifestations en Pologne pour les victimes. Ça montrait une avancée. J'ai passé toutes ces années à le démontrer. Mon livre [La fin de l'innocence : La Pologne face à son passé juif, éditions Autrement] le raconte : comment cela a évolué ? Comment une partie importante de la Pologne a pris conscience de cela ? Là, les nationalistes polonais remettent sur le tapis des positions qui ont longtemps été très minoritaires. Elles reviennent maintenant et sont très provocatrices et très nationalistes.

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