Mars : les huit obstacles Ă franchir avant de pouvoir coloniser la planĂšte rouge
Rien n'est "complĂštement bloquant", selon les spĂ©cialistes contactĂ©s par franceinfo. Mais de nombreuses technologies doivent encore ĂȘtre mises au point, ce qui pourrait nĂ©cessiter plusieurs dĂ©cennies d'avancĂ©es scientifiques.
Avec la kyrielle de rĂ©centes missions sur Mars, dont celle du robot Perseverance, les rĂȘves de coloniser la planĂšte rouge reprennent de la vigueur. Elon Musk, le patron de SpaceX, lui n'a jamais dĂ©viĂ© de son objectif. Le milliardaire amĂ©ricain l'a une nouvelle fois montrĂ©, en dĂ©cembre, en annonçant "une premiĂšre mission habitĂ©e Ă destination de Mars en 2026, voire 2024".
Il avait mĂȘme dĂ©jĂ Ă©voquĂ©, en 2019, un projet de terraformation. Autrement dit, il ambitionnait alors de rendre Mars vivable pour les humains. Pour y parvenir, il compte faire exploser des bombes nuclĂ©aires au niveau des calottes glaciaires polaires de Mars. Cela ferait fondre la glace, libĂ©rerait des gaz Ă effet de serre et pourrait, Ă terme, Ă©paissir l'atmosphĂšre martienne et la rĂ©chauffer.
Mais avant de réaliser ce projet digne d'un film de science-fiction, de nombreux obstacles se dressent, ne serait-ce que pour installer une colonie humaine sur Mars. Certains sont plus faciles que d'autres à franchir.
1Réussir à  faire un aller-retour
Pour pouvoir s'installer sur la planÚte rouge, il faut déjà réussir un voyage aller-retour entre la Terre et Mars, deux planÚtes séparées par 225 millions de km en moyenne. Bruce Jakosky, géologue de l'université du Colorado, qui travaille pour la Nasa et plus particuliÚrement sur Mars depuis quarante-cinq ans, rappelle qu'une telle prouesse se fait toujours attendre :
"Nous aurions besoin de pouvoir aller et revenir de Mars en toute sécurité. Et nous n'avons pas encore démontré cette capacité."
Bruce JakoskyĂ franceinfo
"L'aller, c'est assez facile Ă faire. Mais le retour est extrĂȘmement coĂ»teux pour des raisons, simplement, de propulsion", remarque Ă©galement Michel Blanc, astronome Ă©mĂ©rite Ă l'Institut de recherche en astrophysique et planĂ©tologie (Irap), interrogĂ© par franceinfo.
Produire le carburant nécessaire au retour est déjà une difficulté en soi. Kurt Leucht, de la Nasa, expliquait en 2018 (en anglais) que l'Agence spatiale américaine travaillait sur des procédés permettant d'extraire du carburant du sol martien. Un tel systÚme est toujours en cours d'élaboration.
François Forget, astrophysicien, planétologue et directeur de recherche au CNRS, relÚve également que la question du vaisseau spatial qui fera l'aller-retour n'est pas encore résolue. Il faudra, selon lui, un engin "assez confortable et complÚtement réparable". "Ce qui n'est pas le cas de la Station spatiale internationale (ISS)", précise-t-il. Sur cette derniÚre, lorsqu'un module, tombe en panne par exemple, il n'est pas réparé : il est directement changé.
Ensuite, lorsque les astronautes auront terminé leur mission sur place, "il faudra les renvoyer en orbite, puis rallumer les moteurs pour rentrer", résume François Forget.
"Il n'y a pas de difficultés monstrueuses : on ne défie pas la physique."
François Forgetà franceinfo
L'obstacle principal, selon lui, est celui du coĂ»t et du temps car de nombreux dĂ©veloppements doivent encore ĂȘtre rĂ©alisĂ©s. D'aprĂšs le planĂ©tologue, l'enveloppe globale se situerait, au moins, entre 100 et 200 milliards de dollars. Francis Rocard, chargĂ© des programmes d'exploration du systĂšme solaire au Centre national d'Ă©tudes spatiales (Cnes) Ă©voque dans les colonnes du Monde un budget de 400 voire 600 milliards de dollars.
Face Ă l'optimisme d'Elon Musk, l'astronaute Jean-François Clervoy, fondateur d'Air ZĂ©ro G, interrogĂ© sur franceinfo, imagine plutĂŽt "une mission habitĂ©e sans se poser dans les annĂ©es 2030. Et peut ĂȘtre dans les annĂ©es 2040, une premiĂšre mission habitĂ©e qui inclura le posĂ© Ă la surface et la remontĂ©e en orbite". DĂšs avril 2019, Les Echos rapportait qu'un institut mandatĂ© par la Nasa avait jugĂ© "irrĂ©alisable" une mission habitĂ©e vers Mars d'ici 2033. Des rĂ©serves Ă©cartĂ©es quelques mois plus tard par Jim Bridenstine, l'administrateur de la Nasa, mentionnant l'existence d'"alternatives qui permettent" de tenir cette Ă©chĂ©ance.
2Survivre à la météo martienne
A la surface de Mars, les tempĂ©ratures sont bien moins clĂ©mentes que sur Terre. InadaptĂ©es Ă l'homme, elles oscillent entre -100 °C et 0 °C et peuvent parfois monter jusqu'Ă quelques dizaines de degrĂ©s celsius au niveau de l'Ă©quateur. Toutefois, affronter ces tempĂ©ratures hostiles est loin d'ĂȘtre un problĂšme majeur d'aprĂšs les spĂ©cialistes contactĂ©s par franceinfo. "Dans les scaphandres, il faut mettre un vĂȘtement constituĂ© d'un rĂ©seau de petits tuyaux d'eau qui circule avec la tempĂ©rature voulue, c'est trĂšs bien maĂźtrisĂ©", commente notamment François Forget. Ce systĂšme, dĂ©jĂ utilisĂ© par les astronautes, est visible dans cette vidĂ©o (en anglais) du site amĂ©ricain The Verge :
Outre les tempĂ©ratures, sur Mars comme sur Terre, la mĂ©tĂ©o est variable. Mais certaines Ćuvres de science-fiction peuvent induire en erreur. Par exemple, le film Seul sur mars montre une violente tempĂȘte. C'est une "erreur factuelle", selon Michel Blanc. "Il y a des tempĂȘtes, trĂšs souvent de sable, qui, en rĂ©alitĂ©, pour les humains, ne sont pas trĂšs fortes", abonde Sylvain Chaty, astrophysicien au Commissariat Ă l'Ă©nergie atomique et aux Ă©nergies alternatives (CEA).
"Ces tempĂȘtes de sable ne vont pas vous coucher par terre."
Sylvain ChatyĂ franceinfo
Elles peuvent toutefois soulever du sable sur l'ensemble de la planÚte rouge, rendant son atmosphÚre opaque. Visible depuis la Terre, ce phénomÚne ne survient que tous les dix ans en moyenne. La Nasa l'a filmé, depuis l'espace, en 2018, permettant de faire la comparaison.
3Produire de l'Ă©nergie sur place
Il s'agit d'une question récurrente pour toutes les missions d'exploration. "Généralement, pour les missions proches du Soleil, on utilise des panneaux solaires. Pour celles qui sont plus éloignées, on utilise des sources radioactives", explique Sylvain Chaty, rappelant que les robots Curiosity et Perseverance ont recours à des "sources radioactives de plutonium".
Mais d'aprĂšs lui, pour une installation humaine, le recours au photovoltaĂŻque ne serait pas privilĂ©giĂ© en raison des tempĂȘtes de sable Ă©voquĂ©es plus haut. Car les panneaux solaires pourraient ĂȘtre recouverts de poussiĂšre, rĂ©duisant drastiquement leur rendement. Dans le pire des scĂ©narios, cela pourrait conduire Ă un black out des installations â ce qui serait dangereux. Quant au nettoyage des panneaux solaires, il serait long et fastidieux puisqu'il faudrait installer plusieurs hectares pour avoir assez d'Ă©nergie afin de faire fonctionner une base.
Selon Sylvain Chaty, l'humain sur Mars utilisera trÚs probablement, "de façon logique", le plutonium car c'est "une source d'énergie sûre et stable sur du long terme". La Nasa travaille d'ailleurs sur un projet baptisé Kilopower. Il s'agit d'un petit réacteur nucléaire, compact et léger, résume le site spécialisé Futura-Sciences. Le systÚme pourra fournir jusqu'à 10 kW, soit "suffisamment d'énergie pour faire fonctionner deux ménages moyens, de façon continue pendant au moins dix ans, d'aprÚs l'Agence spatiale américaine. Quatre unités Kilopower fourniraient assez de puissance pour établir un avant-poste."
4Trouver une source d'eau potable
De l'eau est disponible sur Mars, mais surtout sous forme de glace aux pĂŽles. Pour Ă©viter des tempĂ©ratures trop extrĂȘmes, se poser Ă des latitudes plus basses est privilĂ©giĂ© dans les diffĂ©rents scĂ©narios de mission habitĂ©e vers la planĂšte rouge.
De la glace est Ă©galement disponible sous les tropiques de Mars, "en allant sur les pentes Ă l'ombre", prĂ©cise François Forget. Des observations ont aussi montrĂ© que de l'eau se trouvait sous forme solide et peut-ĂȘtre mĂȘme liquide dans le sous-sol martien. Mettre en place un systĂšme de forage est difficile, Ă cause de l'importante quantitĂ© de matĂ©riel Ă transporter et Ă installer, alors il faudra se contenter de la glace en surface.
"Il suffit de chauffer cette glace et de la filtrer un peu."
Sylvain ChatyĂ franceinfo
Il serait également envisageable d'extraire de la vapeur d'eau présente dans l'atmosphÚre martienne. "Il y en a trÚs peu mais on pourrait imaginer un systÚme", suggÚre François Forget.
5Fabriquer de l'air respirable
Pour vivre, l'humain a besoin de respirer un air avec notamment de l'oxygÚne et de l'azote. Ce dernier étant peu présent sur Mars, il s'agit "d'une source de complexité", concÚde François Forget. "On peut extraire de l'azote de l'atmosphÚre mais ce n'est pas facile", remarque-t-il. "Pour fabriquer de l'air, on peut faire de l'électrolyse de l'eau", propose de son cÎté Sylvain Chaty.
On prend de l'eau [H2O]. Dedans, il y a un atome d'oxygÚne [le "O" de H2O]. On va libérer cet atome d'oxygÚne et ça va permettre de produire de l'air respirable."
Sylvain ChatyĂ franceinfoÂ
Des scientifiques de l'université de la Washington University à Saint-Louis (Etats-Unis) ont déjà mis au point (en anglais) un procédé permettant d'extraire de l'oxygÚne à partir de l'eau salée et glacée, comme celle que l'on obtiendra sur Mars.
L'eau liquide n'étant pas facile à trouver sur Mars, comme expliqué ci-dessus, François Forget penche plutÎt en faveur d'une "forme d'électrolyse" de l'air pour libérer l'oxygÚne présent dans l'atmosphÚre martienne riche en dioxyde de carbone (CO2). "C'est ce que fait déjà Perseverance [avec le module Moxie]", note-t-il. Encore faut-il réussir à le faire dans des quantités suffisantes pour que des humains puissent respirer.
6Résister à la pression atmosphérique
La pression atmosphérique sur Mars est trois fois plus faible que celle sur Terre, et cela pose de nombreux problÚmes. L'homme devrait donc passer par de longs paliers de décompression. "Si la pression était plus forte, on pourrait s'y balader avec simplement une grosse combinaison et un masque à oxygÚne, illustre François Forget. Mais ce n'est pas possible."
"Le problĂšme de vivre sur Mars, de se promener Ă la surface, c'est la pressurisation, le fait de devoir vivre en scaphandre."
François Forgetà franceinfo
D'aprĂšs lui, les Ă©ventuelles bases humaines, qui pourraient prendre la forme de dĂŽmes, ne pourront pas ĂȘtre trĂšs grandes car les forces nĂ©cessaires pour faire tenir les habitats sont "Ă©normes". "Le dĂ©fi technique n'est pas la rĂ©sistance Ă la gravitĂ© mais Ă la pression Ă l'intĂ©rieur", poursuit-il, comparant cela au fait de devoir vivre dans un pneu. Selon lui, certaines pistes Ă©voquent le fait de devoir recouvrir les abris avec une sorte de bĂ©ton pour les maintenir au sol. Sans compter que ces abris devront ĂȘtre parfaitement hermĂ©tiques.
7Résoudre de gros problÚmes logistiques
A quoi pourrait ressembler une base humaine sur Mars ? La Nasa a révélé, en 2015, une vidéo réalisée avec des images de synthÚse.
Mais pour l'instant il ne s'agit que d'illustrations en raison de problĂšmes logistiques majeurs. La distance moyenne entre la Terre et Mars est d'environ 225 millions de km et envoyer du matĂ©riel aussi loin coĂ»te extrĂȘmement cher. C'est pourquoi Bruce Jakosky se montre prudent.
"Si nous voulons construire un grand dÎme sous lequel vivre, nous ne pouvons pas encore le faire. Nous ne pouvons pas l'emporter avec nous, c'est trop lourd."
Bruce JakoskyĂ franceinfo
D'aprÚs le géologue américain, "il faudrait trouver [sur place] le métal pour fabriquer de l'acier et d'autres composants. Et nous ne sommes pas allés aussi loin dans notre exploration de Mars", concÚde-t-il.
Sylvain Chaty, lui, rapporte que les agences spatiales imaginent que l'établissement des premiers hommes sur Mars se fera en deux temps : d'abord avec l'envoi de robots "qui vont préparer tout ce qu'il faut" puis avec l'arrivée d'hommes et de femmes qui récupéreront "de l'eau, de l'air" afin de "fabriquer des bases, puis se chauffer et s'alimenter".
8Se protéger des éruptions solaires
Les rayons cosmiques reprĂ©sentent LA difficultĂ© principale Ă contourner. Le Soleil Ă©met en effet des rayons qui peuvent ĂȘtre dangereux pour l'homme. Heureusement, sur Terre, ces derniers sont filtrĂ©s par le champ magnĂ©tique terrestre (aussi appelĂ© magnĂ©tosphĂšre) et par l'atmosphĂšre terrestre.
De façon plus sporadique, des Ă©ruptions solaires peuvent aussi survenir. Le Soleil projette alors Ă grande vitesse une quantitĂ© importante de particules Ă©nergĂ©tiques. Les plus puissantes tempĂȘtes solaires peuvent endommager nos systĂšmes Ă©lectriques. La plupart sont toutefois inoffensives et visibles, aux pĂŽles, sous la forme d'aurores borĂ©ales et australes.
Sans les protections naturelles de la Terre, l'exposition à tous ces rayonnements sur une longue période peut toutefois augmenter de façon considérable l'apparition de cancer. C'est ce danger qui guette les astronautes qui feront le voyage jusqu'à la planÚte Mars. Si celle-ci est un peu plus éloignée du Soleil que la Terre et donc moins exposée, son champ magnétique est trÚs faible et son atmosphÚre est beaucoup plus ténue que celle de notre planÚte.
Se réfugier derriÚre une couche épaisse de matiÚre, comme des réserves de nourriture ou d'eau, peut faire office de protection de fortune. A l'heure actuelle, les divers effets des rayons cosmiques demeurent mal connus. Selon l'Agence spatiale européenne (ESA), les astronautes à bord de l'ISS sont exposés en une semaine à l'équivalent d'une année de radiations naturelles. Mais à 400 km d'altitude, ils restent protégés par le champ magnétique terrestre et l'ionosphÚre.
Pas de quoi tester les expositions d'un long voyage Terre-Mars. Mais François Forget est confiant. Il assure que les expĂ©rimentations menĂ©es Ă bord de la future base Lunar Gateway permettront de faire progresser nos connaissances Ă ce sujet. Cette station, la premiĂšre en orbite lunaire, doit ĂȘtre construite et lancĂ©e d'ici Ă 2030. Elle sera un prĂ©ambule Ă la base permanente qui sera installĂ©e dans les dĂ©cennies Ă venir sur la Lune. Cette installation Ă la surface de notre satellite permettra, entre autres, de s'entraĂźner en vue d'une mission sur Mars.
Mais avant de partir coloniser d'autres planĂštes, tous les scientifiques joints par franceinfo s'accordent Ă dire que la prioritĂ©Â doit d'abord ĂȘtre de prĂ©server celle sur laquelle nous vivons. "Nous sommes bloquĂ©s sur la Terre, notre planĂšte, et nous devons en prendre soin, juge Bruce Jakosky. L'exploration de Mars est une idĂ©e merveilleuse, et je la soutiens. Mais nous ne devons pas y penser comme un plan de secours ou une planĂšte supplĂ©mentaire sur laquelle nous pouvons compter."
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