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Ovni ou reflet lumineux ? Les inspecteurs du Geipan enquêtent

Francetv info a suivi ces spécialistes, rattachés au Centre national des études spatiales, lors d'une reconstitution. Objectif : vérifier si la forme argentée observée par un témoin était due au soleil... ou à autre chose. Reportage.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Vincent, un enquêteur du Geipan, fait voler un drone qui va l'aider lors de la reconstitution d'un témoignage sur un phénomène lumineux non-identifié, dans un champ de maïs de la grande banlieue parisienne, en juin 2013. (LOUIS SAN / FRANCETV INFO)

Il est 5 heures du matin en ce dimanche de juin. Le soleil n’est pas encore levé. Le silence qui règne sur ce champ de maïs situé dans la grande banlieue parisienne pourrait être parfait. Mais il est perturbé par les voix de quatre hommes qui avancent dans la rosée matinale. Ce ne sont ni des chasseurs, ni des touristes perdus. Parmi ces lêve-tôt, trois enquêteurs du Groupe d'études et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), un groupe rattaché au Centre national des études spatiales (Cnes). L'autre marcheur est "un ami, venu donner un coup de main", indique Vincent*, enquêteur en charge de ce cas, qui planche sur son premier dossier.

Que font-ils ? Le Geipan est le seul groupe scientifique reconnu par l’Etat qui vérifie les témoignages ce que l'on appelle communément des ovnis, les objets volants non-identifiés. Ce matin, ils mettent en place la reconstitution d'un témoignage. Il y un an, presque jour pour jour, dans ce même champ, un homme raconte avoir vu un phénomène mystérieux, ressemblant à une sorte de soucoupe volante. Le témoin promenait son chien lorsque ce dernier s’est soudainement réfugié entre ses jambes, tremblant de peur. Se demandant ce qui a pu effrayer l’animal, il scrute les environs et affirme avoir aperçu, à quelques centaines de mètres de lui, devant un bosquet qui borde le champ, une forme argentée flottant au-dessus du sol. Après une quinzaine de secondes, le disque s’est élevé silencieusement. Puis il s'est penché sur la droite avant de se volatiliser en partant vers la gauche, sans un bruit. Le Geipan a dessiné la forme sur une photo avec le témoin pour illustrer cette "observation".

Le témoin, avec l'aide du Geipan, a dessiné sur des photos du champ de maïs et du bosquet pour illustrer ce qu'il avait observé. (GEIPAN / FRANCETV INFO)

C’est pour tenter d’expliquer ce phénomène que les enquêteurs se sont levés au milieu de la nuit. Il faut être sur place, à la même heure, dans des conditions similaires. La date n’a pas été choisie au hasard : "Il n’y a que deux jours dans l’année où les conditions astronomiques (la position des astres dans le ciel) est identique à celle d’un jour de l’année précédente", explique Philippe, un enquêteur venu des Vosges, en prenant des photos du champ encore plongé dans la brume avec sa tablette numérique. Posté à côté de son petit caméscope, installé sur un trépied posé dans l’herbe, le cinquantenaire, les jumelles à portée de main, affirme se tenir à l’endroit exact où se trouvait le témoin lorsqu’il a vu l’étrange phénomène. De son regard perçant, Philippe observe Vincent et Eric (le troisième enquêteur du Geipan). Ils sont en train d'installer le reste du matériel au milieu des jeunes plants de maïs.

"Nous ne maîtrisons pas la météo"

Ecouteurs de téléphone portable autour du cou, chaussures de randonnée aux pieds, Vincent a déballé le petit drone "trouvable à la Fnac" qu’il compte utiliser pour filmer la reconstitution. Il le teste avec sa mini-tablette.

Vincent fait voler son drone "personnel" avec sa mini-tablette. L'appareil volant est équipé d'une mini-caméra qui stocke les images sur une clé USB. En plaçant l'engin à l'endroit où le phénomène est apparu, Vincent espère voir s'il capte effectivement la lumière du soleil et le reflet du silo. (LOUIS SAN / FRANCETV INFO)

"Nous pensons que le témoin a observé dans la brume un reflet du soleil venu de ce silo, situé à 1,4 kilomètre", indique-t-il en pointant l’édifice du doigt. A quelques mètres, Eric, trentenaire longiligne, coiffé d’une casquette sur ses cheveux longs et raide, pose des fumigènes sur une ligne droite, à intervalles réguliers : ils devraient simuler l’important brouillard qui flottait le matin de l’observation. Tout est en place. Ils n’attendent plus que le soleil, qui doit se lever à 6 h 04.

L'un des fumigènes destinés à reproduire la brume qui flottait sur le champ de maïs le jour de l'apparition du phénomène. (LOUIS SAN / FRANCETV INFO)

Malheureusement, si le ciel est dégagé, le coin de l’horizon où le soleil doit émerger est bouché par un nuage. Les minutes passent, le soleil est là, mais obstrué par le nuage, qui ne bouge pas. "C’est cuit. On est largement sorti de la plage horaire d’observation. Maintenant, le soleil est trop décalé", soupire Vincent à 6 h 20, après avoir fait atterrir son drone. "Il y a beaucoup d’éléments à réunir pour une reconstitution. Et nous ne maîtrisons pas la météo", commente-t-il, résigné, en rangeant le matériel. Reste que cette sortie n’a pas été inutile. Les trois enquêteurs s’accordent pour écarter l’hypothèse du reflet dans la brume. Ils estiment qu’il n’a pas pu être assez fort et lumineux pour créer le phénomène décrit par le témoin. Une thèse confortée par leur observation effectuée la veille au soir.

"Une enquête parfois longue"

Car "une reconstitution n’est que l’aboutissement d’une enquête parfois longue", insiste Vincent dont les yeux commencent à rougir de fatigue. En effet, tous les cas signalés au Geipan, généralement par la gendarmerie, ne conduisent pas à des reconstitutions. "Elles sont assez rares. Il n’y en a que deux à trois par an" sur les quelque 300 cas ouverts chaque année, précise-t-il. Et il est encore plus rare de mobiliser plusieurs enquêteurs sur un tel événement : "D’habitude, il n’y en a qu’un seul, car on ne compte qu’une vingtaine d’enquêteurs, répartis dans toute la France."

Ainsi, pour ce cas comme pour d’autres, des investigations préalables ont été menées. "On vérifie si ce n’est pas une méprise astronomique, ni un avion qui passe ou un satellite, explique Philippe. Et avec internet et certains logiciels, c’est rapide et gratuit : on peut obtenir toutes les conditions météo, la carte du ciel, les tracés de satellites, énumère cet ufologue aguerri ("je suis dans le milieu depuis 35 ans", affirme-t-il). Ces vérifications permettent de classer rapidement la majorité des dossiers." Généralement, les témoins voient un objet dans le ciel qu’ils n’ont pas l’habitude de voir et s’inquiètent. Alors que ce n’est rien d’anormal.

"En ce moment, il y a beaucoup de méprises avec les lanternes thaïlandaises. Ce sont des lampions que l’on allume, qu’on lâche et qui s’élèvent dans le ciel, relève Eric, l’enquêteur venu de l’Aisne, initialement passionné d’astronomie. Il y en a souvent lors des mariages ou des anniversaires. Alors quand des personnes pensent avoir vu un objet étrange dans le ciel avec plein de points lumineux, on regarde la date : si c’était un samedi soir, qu’il ne pleuvait pas, on se dit que ça ressemble à ça. Et si ça suivait le sens du vent, ce que l’on peut connaître facilement maintenant grâce à des sites internet, il n’y a plus de doutes." 

Google Street View, un outil à part entière

Mais si les vérifications à distance ne suffisent pas, les enquêteurs rencontrent le témoin. Comment savoir s’il dit la vérité ? "Les gendarmes sont un bon filtre. Cela fait partie de leur métier de jauger la véracité des propos d’une personne. S’ils nous font parvenir un cas, il est probablement sérieux", argumente Philippe.

Alors ils se rendent sur les lieux de l’observation avec le témoin, font des relevés topographiques. "Souvent, en se rendant sur place, on comprend mieux, on parvient à formuler plusieurs hypothèses : on se dit que cela peut-être ceci ou cela, dans l’environnement proche, qui a causé le phénomène, explique Philippe. Et maintenant, avec les outils modernes comme Google Street View, on peut voir les choses comme si on y était, mais depuis chez soi. C’est très pratique, ça nous fait gagner du temps." Et si, encore, l’enquêteur ne trouve pas d’explications plausibles, alors il envisage une reconstitution.
 
Mais alors pourquoi les investigations sont-elles aussi longues ? "Nous sommes bénévoles. Nous avons tous un travail à côté, et nous enquêtons sur notre temps libre, explique Philippe. Lorsque le Geipan nous soumet un cas, nous n’avons pas d’obligation sur les dates, mais nous devons le traiter rapidement. Pour avancer le plus vite possible, mais surtout pour que la mémoire du témoin soit la plus fraîche possible."

"Inexpliqué ne veut pas dire inexplicable"

"Et inexpliqué ne veut pas dire inexplicable, relève malicieusement Eric derrière ses lunettes. C’est en travaillant sur d’autres phénomènes qu’on parvient à en expliquer de plus anciens restés sans réponse." Le Geipan classe près d'un cas sur quatre en "phénomène non-identifié" après enquête. C’est comme ça qu’il y a quinze jours, j’ai résolu un cas de 1957. Et Philippe, un autre de 1978. Il suffit d’avoir le déclic."
 
Qu'en est-il des résultats de la reconstitution matinale de ce mois de juin 2013 ? Près de deux mois après, Vincent indique que "la conclusion n'est pas encore définitive, car le rapport n'est pas encore publié". L'enquêteur ajoute que, en l'état, le directeur du Geipan, Xavier Passot, pourrait faire une conclusion de ce type : "Inexpliqué, mais présomption d'un phénomène complexe en rapport avec le soleil levant." Sauf si de nouveaux éléments nourrissent l'enquête d'ici là... 

*Les prénoms ont été modifiés
 
 

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