Montée de l'antisémitisme en France : "Enseigner l'histoire de la Shoah est fondamental mais ce n'est pas le seul moyen de le combattre", estime un historien

En dépit des témoignages et des cours d'histoire, l'antisémitisme est toujours vivace en France. France 2 rediffuse mardi soir le documentaire fleuve "Shoah" de Claude Lanzmann. "C'est le premier film qui va au cœur du processus de destruction", explique l'historien Tal Bruttmann
Article rédigé par franceinfo
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Le documentaire de Claude Lanzmann "Shoah", rediffusé le 30 janvier 2024 sur France 2. (LES FILMS ALEPH / HISTORIA FILMS)

À l'occasion de la Journée de la mémoire des génocides et des crimes contre l’humanité, France Télévisions programme sur France 2 mardi 30 janvier à partir de 21 heures, Shoah, le documentaire-fleuve de 9h30 réalisé par Claude Lanzmann, sorti à l'origine en 1985 et qui a eu un rôle majeur dans la diffusion de la mémoire de l'extermination des Juifs par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Dans le contexte de montée des actes antisémites en France, et alors que cela "fait 70 ans qu'on enseigne contre la Shoah et [qu']on l'enseigne de mieux en mieux", l'historien Tal Bruttmann estime qu'il "faut réfléchir à comment combattre l'antisémitisme". Selon lui, "enseigner l'histoire de la Shoah est quelque chose de fondamental mais ce n'est pas le seul moyen qui permet de combattre l'antisémitisme."

franceinfo : En quoi ce film est-il un monument à voir absolument ?

Tal Bruttmann : C'est le premier film qui va au cœur du processus de destruction et qui essaye - et 30 ans plus tard on peut se rendre compte qu'il n’a pas encore atteint son but - d'expliquer un énorme malentendu qui perdure depuis 1945, qui est la confusion entre la violence nazie dans les camps de concentration, un sujet à part entière, et le processus de destruction des Juifs qui, lui, s'est déroulé dans d'autres lieux [les "Gaswagen" (camions à gaz), les camps de la mort, le ghetto de Varsovie, comme montré dans le documentaire -Ndlr]. Or, depuis 45, il y a une confusion qui pèse là-dessus et on pense que les juifs ont été envoyés vers les camps de concentration. Lanzmann a fait en sorte de monter un film de 9h30 qui interroge ceux qui étaient au cœur de ce processus et qui étaient ailleurs, dans d'autres lieux qui sont très largement inconnus, notamment pour nous en France, puisque l'essentiel du processus s'est déroulé en Europe de l'Est.

Il n'y aura bientôt plus personne pour témoigner de ces horreurs. Comment fait-on pour transmettre la mémoire des camps et des atrocités nazies ?

Ce n'est pas tant la mémoire que l'histoire qui doit être transmise. La mémoire, c'est encore autre chose. Il n'y a pas d'obligation aux gens de se rappeler d'un événement qui ne les intéresserait pas s'ils ne sont pas intéressés. Cette question qui se pose depuis des décennies, en fait, de mon point de vue, elle est impropre parce qu'on continue toujours à faire l'histoire de Rome, d'Athènes, de l'Égypte antique, 2 000 ans ou 2 500 ans après l'événement. Donc, la disparition des témoins va acter qu'on passe dans une autre séquence historique, mais cette histoire-là, son importance, à la fois mémorielle ou politique, puisqu'on vit dans un continent qui s'est construit par rejet de ce qui s'est produit durant la Seconde Guerre mondiale, elle demeure très importante et elle est appelée à perdurer.

Quand vous regardez les jeunes générations aujourd'hui, avez-vous l'impression qu'ils se rendent compte de ce qu'il s'est passé ?

Non seulement ils ne se rendent pas compte de ce qu'il s'est passé, mais ça montre aussi que l'idée depuis 1945 que la Shoah aurait mis un terme à l'antisémitisme, parce qu'on aurait pris conscience d'où cela mène, est quelque chose de faux. Évidemment, enseigner l'histoire de la Shoah est quelque chose de fondamental mais ce n'est pas le seul moyen qui permet de combattre l'antisémitisme. Et ce qui est en train de se passer aujourd'hui chez nous en France [la montée des actes antisémites, en particulier depuis le l'attaque du Hamas le 7 octobre - Ndlr] montre qu'il faut réfléchir à comment combattre l'antisémitisme, ou les autres racismes, en interrogeant sur ce qui doit être fait. Ça fait 70 ans qu'on enseigne contre la Shoah et on l'enseigne de mieux en mieux. Et pourtant, on a ce résultat-là sous les yeux. L'antisémitisme s'exprime de façon virulente aujourd'hui.

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