ENQUETE FRANCETV. Agressions sexuelles et sexisme : des témoignages accablants visent l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan

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St Cyr
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
Les élèves officiers de l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan appartiennent à une école prestigieuse, qui aurait pourtant sa part d’ombre. "L’Œil du 20 heures" dévoile des témoignages et des documents illustrant des accusations d’abus sexuels et de misogynie au sein de l’académie militaire. La justice a ouvert trois enquêtes.

Depuis presque deux siècles, le Triomphe est pour tout saint-cyrien un événement incontournable. Selon nos informations, c’est en marge de cette célébration, au cours de laquelle les élèves officiers baptisent leurs promotions, qu’une agression sexuelle aurait eu lieu, le week-end des 22 et 23 juillet 2023. L’épisode est rapporté par un membre de l’école. Il témoigne anonymement à "L'Œil du 20 heures". "Lors du week-end du Triomphe, un officier a collé une élève contre le mur pour l'embrasser de force, relate-t-il. Elle a réussi à s'extirper pour aller rendre compte directement à son chef de section. La réponse de ce dernier a été explicite : 'Vous avez pensé à la carrière de ce gradé ? À sa famille ?' Il l'a dissuadée de parler."

Selon nos informations, aucune poursuite n’a été engagée. L’école assure, à ce jour, ne pas avoir eu connaissance des faits dénoncés. Ces derniers mois, à Saint-Cyr, le climat serait particulièrement difficile pour certaines élèves. C’est ce qu'illustre cet autre témoignage écrit qui nous est parvenu : "Depuis l'automne, les choses se dégradent considérablement pour les femmes du bataillon. Sur 18 filles, deux sont en arrêt maladie, une a tenté de mettre fin à ses jours et deux autres ont vécu des agressions sexuelles."

Trois enquêtes ouvertes par la justice

D'après une ancienne saint-cyrienne que nous avons contactée, le harcèlement toucherait aussi ceux qui tentent de dénoncer les dérives. "À l'école, les élèves les plus durs appellent ceux qui parlent aux femmes les 'souzes'… Ça veut dire 'sous-hommes'", raconte-t-elle.

À la suite de plusieurs signalements, l’académie militaire assure avoir pris des mesures administratives. "Dans l'une des affaires, l'élève fautif a écopé d'une sanction de 30 jours d'arrêt et de la résiliation de son contrat. Dans deux autres cas, l'enquête de commandement n'a pu conclure à l'établissement de la vérité", précise le service communication de Saint-Cyr. En outre, l'école affirme avoir transmis des signalements au procureur de la République de Rennes. D'après nos sources, trois enquêtes ont été ouvertes en novembre dernier.

Des "valeurs" qui interrogent

Lorsque nous avons évoqué avec elle les faits qui se seraient déroulés à Saint-Cyr, Weyneshet Lavocat n’a pas eu l’air surprise. Son fils Mickael y a été élève, jusqu’à son décès. "S'il était mort au combat, j'aurais compris. Mais pas comme ça, pas comme ça", lâche cette aide-soignante qui vit dans le Bas-Rhin. Le 9 février 2016, le sous-lieutenant Lavocat a été retrouvé mort une balle dans la tête, son fusil près de lui, dans les toilettes du camp où il était stationné. Sa mère a porté plainte. Des investigations pour “provocation au suicide” et "modification de scène de crime" ont eu lieu. La justice française a rendu un non-lieu mais l’affaire est actuellement à l’étude à la Cour européenne des droits de l’homme.

Au début de sa scolarité, en septembre 2013, une psychologue militaire avait rencontré Mickael Lavocat. À l’issue du rendez-vous, un rapport a été rédigé, comme c’est le cas pour chaque élève. Nous nous sommes procuré ce document. Et l’une des phrases interroge. "Il est assez réservé au départ et n'adhère pas forcément aux valeurs saint-cyriennes, surtout celles concernant le rejet des filles ou des étrangers par exemple", écrit le lieutenant qui a mené l'entretien.

S’agit-il de propos tenus par l’élève et rapportés par la psychologue ou bien de valeurs ouvertement assumées par Saint-Cyr ? L’institution ne nous a pas répondu sur le sens de ces propos. "C'est étonnant d'écrire des choses pareilles", remarque Weyneshet Lavocat. Avant de mourir, son fils lui aurait révélé avoir écopé de tours de garde supplémentaires après avoir cherché à défendre des élèves officiers femmes. "Les filles, quand elles étaient agressées par ses collègues, il n'acceptait pas. Et il a été sanctionné à cause ça", se souvient-elle.

"On protège la 'caste saint-cyrienne'"

Dans les rangs de Saint-Cyr, le sexisme et la misogynie sont-ils répandus ? Au cours de notre enquête, nous avons découvert la page Facebook "Poupée de Cyr". Des internautes se présentant comme des élèves y proposent des t-shirts “PAC”, autrement dit “Pute à cyrard”. Une injure pour désigner les compagnes des élèves. Sur ce point, Saint-Cyr indique que la page a été signalée à la Direction du renseignement et de la sécurité de la Défense. Le service de renseignement des armées n’aurait cependant pas réussi à identifier les créateurs de la page.

Nous avons pu entrer en contact avec une personne appartenant à l'encadrement, en poste actuellement à Saint-Cyr. "En général, les dérives sont dues à une minorité radicale : les “tradis”, explique-t-elle. Ce sont parfois des fils d’officiers supérieurs ou de généraux et cela explique que les autorités militaires n’agissent pas. On protège la 'caste saint-cyrienne'."

Pour Guillaume Ancel, officier à la retraite et auteur d'un ouvrage sur Saint-Cyr (Saint-Cyr, à l'école de la Grande Muette, Flammarion, 2024), les abus seraient tolérés par le commandement au nom de la protection de l’institution. Guillaume Ancel est l’un des rares anciens élèves à dénoncer publiquement ce qu’il appelle une omerta.

"La culture du silence, c'est une culture du camouflage des choses les plus répréhensibles."

Guillaume Ancel, ex-élève de Saint-Cyr

à "L'Oeil du 20 heures"

"Saint-Cyr est un bocal étanche à tout. Et c'est surtout le silence qui s'impose bien plus que les lois de la République", ajoute-t-il. Une mise en cause que dément fermement le général Hervé de Courrèges, qui commande actuellement Saint-Cyr Coëtquidan. "L'académie militaire applique une tolérance zéro sur tous les sujets graves liés au harcèlement et aux discriminations. Depuis quatre ans, notre établissement a mis en place un réseau de 40 correspondants militaires civils mais aussi d'élèves officiers permettant aux potentielles victimes et aux témoins de venir signaler ces faits", tient à faire savoir l'officier supérieur. 

Invité à réagir sur les faits dénoncés dans cette enquête, le ministère des Armées dit découvrir la situation. Il assure que ceux qui prendront la parole seront écoutés et que, s'il y a fautes, elles seront lourdement sanctionnées.

Parmi nos sources (liste non exhaustive) :

Rapport de la Cour des comptes, académie militaire Saint-Cyr Coëtquidan, 2024

Saint-Cyr, à l'école de la Grande Muette, Guillaume Ancel, Flammarion, 2024.

Procureur de la République de Rennes.

Ministère des Armées.

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