"Révolte du bikini" en Algérie : "L'objectif est de montrer que les femmes ne se laissent pas faire"
Un mouvement citoyen et spontané, lancé par un petit groupe d'Algériennes sur Facebook, cherche à se réapproprier l'espace public face aux islamistes.
"J'ai entendu parler de cette initiative sur Facebook." Cet été, Warda, responsable d'activités culturelles à Alger (Algérie), a participé à deux rassemblements sous la bannière de ce qui est désormais qualifié de "révolte du bikini". Le principe : des femmes se donnent rendez-vous sur des plages, en maillot de bain, pour défendre leur droit à se vêtir comme elles le souhaitent en public. D'autres meetings ont eu lieu à Annaba, au nord-est de l'Algérie, mobilisant jusqu'à plusieurs dizaines de personnes.
C'est l'aspect spontané et militant que j'ai aimé. Que la société civile puisse, par ses propres moyens, mener des actions telles que celles-ci, j'ai tout de suite adhéré.
Warda, Algérienne participante aux réunionsà franceinfo
Lancée sur Facebook au début de l'été 2017 par un petit nombre d'Algériennes, l'initiative a été largement relayée : jeudi 3 août, un des principaux groupes comptait ainsi 5 248 personnes. "De nombreuses adeptes du burkini sont également membres du groupe et encouragent les membres les plus actives dans leur actions", rapportait le quotidien régional Le Provincial, lundi 10 juillet.
Le déclic a eu lieu après qu'un petit groupe d'Algériens ont "appelé à dénoncer des femmes qui se baignaient en bikini", relate pour franceinfo Hamila, une autre militante associative qui a elle aussi participé à l'un des rassemblements. Ce petit "groupuscule de conservateurs" a été, selon elle, sanctionné par les autorités. "L'Etat protège les femmes, assure-t-elle. Même si on n'est pas à l'abri d'initiatives individuelles conservatrices comme celles-ci, la loi algérienne et l'Etat protègent la liberté de s'habiller."
Mes copines bonoises sont sur la place. .Ne lâchez rien, fière de ma ville. Annaba ❤❤ pic.twitter.com/Mg7Sa5eE7X
— MorganToMe (@Morgan2Me) 12 juillet 2017
"Il y a un islamisme ambiant, déplore Warda, la trentaine. Lorsque j'étais adolescente, il n'y a jamais eu de problème à se mettre en maillot. Sauf que la guerre civile algérienne [qui a vu s'opposer le gouvernement aux islamistes] a laissé des séquelles."
Les islamistes n'ont pas accédé au pouvoir, mais la société s'est islamisée. Depuis deux-trois ans, on a moins d'aisance à aller à la plage ; on peut parfois se retrouver un peu seules en bikini, alors qu'on a toujours été majoritaires.
Wardaà franceinfo
De plus en plus de plages privées
Quelques Algériennes ont alors décidé de se servir des réseaux sociaux pour passer à l'offensive. "L'idée est d'être en surnombre, explique Hamila. Concrètement, une femme peut annoncer sur le groupe Facebook qu'elle ira à la plage à tel moment, à tel endroit, puis le message est relayé, et celles qui répondent à l'appel se retrouvent sur place."
La société algérienne n'est pas majoritairement islamiste. Ils font juste plus de bruit, alors l'objectif est de montrer que les libéraux, les démocrates et les laïques, notamment les femmes, ne se laissent pas faire.
Hamilaà franceinfo
"Au début, je n'ai pas pris cette initiative au sérieux, raconte à franceinfo Lilia, une des participantes. C'était sur une plage publique d'Annaba et ça s'est très bien passé. D'autres hommes nous regardaient, ils n'étaient pas habitués mais ils n'ont rien dit, peut-être parce que nous étions nombreuses". D'après elle, 150 femmes se sont mobilisées ce jour-là.
Les témoignages recueillis par franceinfo évoquent également l'essor de plages privées, plébiscitées par les femmes qui souhaitent "être tranquilles", explique Lilia. "On est parfois obligées de payer entre 2 500 et 4 000 dinars [20-30 euros] et de faire 100 km pour les trouver. Ce n'est pas accessible à toutes les bourses ! Alors, si les femmes peuvent aller sur les plages publiques proches de chez elles sereinement, tant mieux."
"Il y a un message sociétal, plus que politique, explique Sarah Chelal, chargée de mission au réseau Euromed, interogée par France 3. On a l'impression que les sociétés [du Maghreb] régressent, alors que ces sociétés avancent. Et la place des femmes avance, avec des initiatives comme celles-là".
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