Démissions et critiques en série : que se passe-t-il au Conseil supérieur des programmes ?
Marie-Aleth Grard, l'une des 18 membres de l'instance, a annoncé son départ avant la fin de son mandat, prévu dans une semaine. Son choix illustre certaines interrogations sur l'indépendance du CSP à l'égard du ministère de l'Education nationale.
"Quand on sent qu'on n'est pas entendu, mieux vaut arrêter." Marie-Aleth Grard, vice-présidente d'ATD Quart Monde, a annoncé sa démission du Conseil supérieur des programmes, dimanche 30 septembre. "Jusqu'ici, j'avais le sentiment qu'on pouvait parler de points qui nous tenaient à cœur", explique-t-elle à franceinfo. Elle regrette aujourd'hui l'absence de débats au sein de l'instance et le manque de considération du ministère de l'Education nationale, qu'elle soupçonne de mener seul la réforme des programmes du lycée. Elle craint également que ne soient oubliés les élèves en difficulté.
Quand le président a parlé des 'premiers de cordée', nous avons eu quelques échanges à ce moment-là (...) J'ai bien senti que nous ne parlions pas des mêmes enfants, que les enfants dont je parle – les plus défavorisés – ne sont pas pris en compte de la même façon que les autres.
Marie-Aleth Grard, vice-présidente d'ATD Quart Mondeà franceinfo
Marie-Aleth Grard dénonce aussi le peu de considération affiché par le gouvernement. "Nous avions une marge de manœuvre assez grande, ce qui ne semble plus être le cas. Nous ne discutons plus entre nous du fond des sujets et ça me gêne."
Des désaccords de fond
Cette démission n'est pas inédite. C'est même la troisième en un an. En septembre 2017, le président Michel Lussault avait déjà claqué la porte en dénonçant l'attitude du ministère de l'Education nationale. "Je n’ai pas eu un seul contact [depuis la nomination de Jean-Michel Blanquer], expliquait-il dans Le Monde. Laisser le CSP sans nouvelle me semble discourtois." Quatre mois plus tard, sa vice-présidente Sylvie Plane était partie à son tour. Interrogée dans Libération, elle citait l'exemple d'un rapport sur les sciences économiques et sociales, qui avait nécessité beaucoup de travail. "Le ministre ne nous a pas reçus, ni même accusé réception de notre travail que nous avons fini par lui envoyer."
La situation ne semble pas s'être améliorée depuis. Nommée en novembre 2017, la nouvelle présidente Souâd Ayada souhaite revenir aux "fondamentaux", en rupture avec Michel Lussault, dont les propositions sur la notion de prédicat ou sur le passé simple ont fait polémique. "Mon prédécesseur estimait qu'il fallait introduire dans l'enseignement ce qui relève de la recherche, des innovations qui, même dans l'enseignement supérieur, ne font pas l'unanimité, résume-t-elle cet été dans un entretien au Point. "Moi, je crois que l'enseignement scolaire doit rester scolaire". Un écho direct aux propos du ministre, qui souhaite rompre avec ce qu'il nomme le "pédagogisme".
Dans la foulée, trois membres du CSP, dont la démissionnaire Marie-Aleth Grard, avaient dénoncé "des coups de boutoirs désordonnés et des polémiques mal informées à chaque changement de majorité politique". Pour l'ancienne équipe, la nouvelle direction accepte mal ces critiques et soupçonne une reprise en main du ministère sur les débats de l'instance.
"Une volonté d'imprimer une marque idéologique"
La démission de Marie-Aleth Grard relance ces interrogations, alors que le CSP prépare activement les 82 nouveaux programmes du lycée. "Une quarantaine pour la seconde et une quarantaine pour la première", détaille Souâd Ayada au Parisien. Le vote interne du CSP doit durer trois semaines, à partir du 11 octobre. Des consultations sont actuellement menées avec les syndicats, mais la conférence des associations de professeurs spécialistes a d'ores et déjà dénoncé les conditions de ces rencontres. Elle affirme ne pas avoir reçu les programmes en préparation en amont, ce qui constitue "un manque de transparence plus propre à la défiance qu’à une véritable concertation".
"On sent une volonté d'imprimer une marque idéologique sur les programmes, déplore Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-FSU. Lors de la réforme des programmes du collège, déjà, le gouvernement a fait des ajustements en français, avec une grammaire à la nomenclature plus traditionnelle, qui correspond à l'idée du ministre sur les fondamentaux".
Cela inquiète des membres du CSP qui considèrent qu'il n'y a plus de débat contradictoire. Il s'agit pourtant d'une instance indépendante.
Frédérique Rolet, secrétaire général du Snes-FSUà franceinfo
Créée en 2013 par Vincent Peillon, l'instance est en effet chargée de remettre un rapport au ministre, qui consulte ensuite le Conseil supérieur de l'éducation pour avis. "Cette question [de l'indépendance] est au cœur du malaise", résume le sénateur LR Max Brisson, membre du CSP, à franceinfo. "Le CSP n'est pas un organisme indépendant qui pourrait imposer ses programmes. Le dernier mot revient au ministre", poursuit cet ancien inspecteur général. Au-delà des désaccords sur le fond, le rôle de l'instance est donc lui aussi débattu en interne.
"Une chambre d'enregistrement des souhaits du ministre"
Denis Paget, membre du CSP depuis cinq ans et dont le mandat expire au 9 octobre, estime que le Conseil est "devenu une chambre d'enregistrement des souhaits du ministre" au fil des ans, davantage qu'un "organisme indépendant des autorités". Max Brisson, lui, estime que les travaux de l'instance – qui a fait intervenir 400 experts – seront pleinement pris en compte. "Lors d'une séance au ministère, Jean-Michel Blanquer a dit qu'il respecterait les choix du CSP", répond l'élu. "Par ailleurs, le retour aux fondamentaux répond à une attente des praticiens du terrain, par rapport à des programmes qui étaient parfois le reflet de querelles universitaires."
La présidente a la confiance du ministre et le CSP travaille en partenariat avec l'Inspection générale, ce qui n'était pas le cas sous le mandat de Michel Lussault. A l'époque, d'ailleurs, des notes avaient dû être rédigées pour mettre de la cohérence dans des programmes qui, parfois, n'en avaient pas.
Max Brisson, sénateur LR et membre du CSPà franceinfo
La coexistence de ces différents points de vue semble trahir une ambiguïté originelle. La fixation des programmes est certes une prérogative importante du ministère de l'Education nationale. Mais pour Denis Paget, la présence d'inspecteurs généraux au copilotage des groupes de travail est justement une marque d'autorité, qui trahit l'esprit initial de l'instance voulue par Vincent Peillon – ministre de l'Education sous Hollande – lequel défendait dans un courrier l'élaboration de programmes "en toute indépendance".
C'est devenu une caricature depuis la nouvelle présidence. Les délais ne sont jamais négociés avec le ministère, ce qui rend impossible un travail de fond. L'inspection générale a fait son retour en force et les professeurs des classes préparatoires parisiennes sont sur-représentés.
Denis Paget, membre du CSPà franceinfo
En marge du travail du CSP, la Direction générale de l'enseignement scolaire mène également "ses propres concertations avec les organisations syndicales et les associations disciplinaires", précise Souâd Ayada. Cette instance est en effet habilitée à consulter les professeurs et les organisations syndicales. Denis Paget, lui, critique d'ores et déjà certains points du projet. Les futurs programmes d'histoire, selon lui, "prônent l'histoire nationale, la chronologie et l'enseignement magistral (...). La présidente dit qu'on élève le niveau, mais si les programmes sont infaisables et inadaptés..."
La course contre la montre est lancée. Les nouveaux programmes de seconde et de première sont "en voie d'achèvement" et doivent être publiés en janvier 2019, pour une mise en œuvre à la rentrée prochaine. Denis Paget, en partance, a déclaré : "Je quitte le conseil un peu désabusé et écœuré de voir qu'on a sabordé quelque chose qui avait donné satisfaction."
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