: Enquête France 2 Comment une journaliste de "L'Œil du 20 heures" est devenue prof de lycée en quelques minutes via Le Bon Coin
Trois jours après la rentrée, certaines classes restent sans enseignants. Alors des chefs d’établissement tentent de recruter leurs profs sur Le Bon Coin, entre les lave-vaisselle et les machines à laver. A "L'Œil du 20 heures", on a postulé.
La rentrée est passée depuis trois jours, et pourtant, il manque encore des enseignants dans certaines classes. Alors pour remédier au problème, des chefs d'établissement recrutent… sur des sites de petites annonces. A "L'Œil du 20 heures", on a fait le test. Une offre d’emploi attire notre attention : devenir prof en lycée professionnel, et donner quelques heures de cours par semaine en français et histoire. Il faut avoir bac +5, mais pas forcément d’expérience.
Je prépare mon CV. Un bac +5 dans la communication. Je mets en avant une formation en histoire… et je postule ! Une heure après, je suis rappelée par le directeur d’un lycée professionnel privé sous contrat avec l’Etat. Ma candidature l’intéresse. Je n’ai aucune expérience, mais ce n’est pas un problème. Il me propose un rendez-vous. Visiblement en pénurie de profs, il me demande si j’enseigne l’espagnol. Je lui réponds que je n’ai pas de diplôme dans cette langue. Voici le poste qu’il me propose : 3 heures d’histoire et 6 heures de français. J’ai un week-end pour me préparer à devenir prof !
C’est le jour J. L’entretien d’embauche. Ma candidature est validée sur le principe, en 3 minutes chrono. Aucune question sur mes compétences dans les matières que je suis censée enseigner : "Moi, j’envoie les candidatures et c’est la direction du rectorat qui dit oui ou non, si la personne peut-être embauchée. Tous les profs sont payés par l’Etat. Donc, là, moi, je ne vois pas pourquoi [le rectorat] dirait non."
"Quand on ne trouve pas, on fait Le Bon Coin"
Un poste à temps partiel, pour environ 1 100 euros brut par mois. Je fais part au directeur de mon étonnement quant à la méthode de recrutement sur Le Bon Coin : "Je cherchais cinq profs, cette année. Quand on part fin juillet et qu’on ne trouve personne, on fait Le Bon Coin. C’est là qu’il y a un réel problème."
En ce lundi, jour de prérentrée, le directeur me présente aux autres profs. Comme si c’était déjà acquis : "Une nouvelle tête, elle fait partie des nôtres. Elle entre carrément dans le groupe." C’est l’heure de déjeuner. En discutant avec mes collègues, je me rends compte que je ne suis pas seule dans ce cas. C’est même une pratique légale et courante : l’an dernier, 24% des profs en lycée professionnel privé n’avaient pas réussi les concours de l’enseignement.
Des débuts dès le lendemain
Je suis censée être épaulée par une collègue plus expérimentée, même si elle non plus n’a pas eu le concours, et je découvre que je peux commencer dès le lendemain ! La journée est terminée. Mon recrutement n’a pas encore été validé par le rectorat. C’est ici que j’arrête l’expérience. Comment une personne qui ne connaît rien à l’enseignement peut-elle se retrouver devant des élèves en moins de 24 heures ? On a posé la question au ministère de l’Education nationale, qui est chargé de contrôler les recrutements : "On n’est pas du tout dans la démarche Le Bon Coin (...) Ce n’est certainement pas dans nos recommandations. S’il y a des errements de ce type, ce sont des errements", affirme Edouard Geffray, directeur général des ressources humaines du ministère.
En attendant, sur Le Bon Coin, on a repéré une nouvelle annonce. Cette fois, ce n’est pas dans le privé ,mais dans un lycée professionnel public, pour enseigner les maths. Mais en calcul, là, je n’aurais vraiment pas été crédible.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.