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Témoignages "J'avais l'impression que ma vie était finie" : d'anciens élèves harcelés racontent leurs blessures intimes

Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
En France, un élève sur dix en moyenne se fait harceler durant sa scolarité. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
A l'occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement, six adultes reviennent sur leur scolarité marquée par les brimades et expliquent comment ils avancent malgré des plaies encore ouvertes.

Ils ont subi des violences verbales et physiques répétées. Dans chaque coin de la cour de récréation. En classe. Assis seuls à la cantine. Derrière les livres du CDI. Dans les vestiaires de sport. Dans les toilettes. Et, pour certains, sur les réseaux sociaux. Le harcèlement qu'ils ont subi les a marqués au fer rouge. Le temps a apaisé les blessures, mais les mauvais souvenirs restent vifs.

A l'occasion de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement, le 9 novembre, France Télévisions mobilise l'ensemble de ses antennes, plateformes et médias sociaux. France 2 consacre ainsi, mardi 7 novembre, une soirée spéciale sur le thème "Harcèlement scolaire : briser le silence", avec un documentaire suivi d'une émission en direct.

Six adultes ont choisi de témoigner de leur vécu auprès de franceinfo. Harcelés durant leur scolarité et désormais sortis de cette spirale, ils se reconstruisent, encore cabossés et désireux de pouvoir aider ceux qui subissent encore les brimades de leurs camarades.

Si le gouvernement a dévoilé fin septembre un plan interministériel pour lutter contre ce fléau, sa mise en œuvre complète se fera par palier. Selon un récent rapport du Sénat, 6% à 10% des élèves sont actuellement victimes de harcèlement.

Matisse, 29 ans : "Au sport, j'étais la dernière sélectionnée"

Il y a eu, pour Matisse, un élément déclencheur. "J'ai été choisie comme ballerine principale pour un spectacle de l'école. J'ai senti que cela avait suscité de la jalousie", souligne la jeune femme. En classe de CP, elle souffre de dyslexie, ce qui provoque aussi une mise à l'écart. "Au sport, j'étais la dernière sélectionnée. Dans la cour, on me jetait des cailloux, on m'insultait", relate Matisse. A cette époque, elle n'ose pas en parler à ses parents : "Mon frère avait aussi des problèmes d'ordre scolaire, donc je me suis effacée." Au collège, elle retrouve la plupart de ses harceleuses. "A la cantine, le jour de mon anniversaire, tout le monde criait : 'On s'en fout !' Et aucun adulte n'intervenait", se souvient-elle avec émotion. 

"C'était aussi le début du cyberharcèlement. Ils ont pris possession de mon Skyblog, car mon ancienne meilleure amie connaissait le mot de passe."

Matisse

à franceinfo

En seconde, Matisse se confie à ses parents. "J'ai fait une dépression, car j'ai tout lâché d'un coup. J'ai été voir une psychologue. Les médicaments m'ont aidée à aller mieux", affirme-t-elle. Parce que sa mère est enseignante au lycée, le harcèlement se tasse aussi. Matisse craint aujourd'hui que sa fille de deux ans subisse le même sort. "Elle n'entrera pas à l'école avant l'année prochaine, mais je sais déjà que je vais avoir du mal à gérer ça au quotidien. Le but n'est pas d'être envahissante, de lui transposer mes angoisses... Mais je veux la protéger", insiste Matisse.

Pierre, 32 ans : "J'ai eu de gros problèmes de confiance"

"Grosse tête", c'est le surnom qui a suivi Pierre toute sa scolarité. "J'ai longtemps eu une tête plus grosse que les autres à cause de problèmes de santé", contextualise le trentenaire. A l'école, on lui vole gants, bonnet, écharpe à toutes les récrés. On se moque de ses vêtements "pas assez à la mode". Au collège, le harcèlement devient plus "sérieux". Il y a ces insultes : "Casse-toi, tu pues" ou "T'es moche, tu sers à rien". Il y a tous ces ballons qu'il "se prend dans la figure" en cours de sport. Sa trousse qui finit régulièrement "dans les chiottes".

Sa mère alerte l'équipe pédagogique, sans résultat. "J'ai une certaine colère vis-à-vis des profs. Avancer l'argument des 35 élèves par classe, c'est de la mauvaise foi", déplore Pierre. En parallèle, il s'inscrit dans un club de théâtre et s'investit pour une émission sur Mouv'.  

"La radio m'a un peu sauvé. Il y avait aussi un forum des auditeurs, sur lequel je me suis inscrit et fait des potes."

Pierre

à franceinfo

A l'âge adulte, bien que défait de toute forme de harcèlement, Pierre traverse "une période compliquée". "J'ai eu de gros problèmes de confiance, des problèmes d'ordre relationnel aussi, et dans le monde du travail. Ça va mieux, mais je n'ai pas eu d'histoire amoureuse depuis mes 18 ans", illustre le trentenaire. Il a écouté avec attention les annonces du gouvernement pour lutter contre le harcèlement scolaire. "C'est historique, car il n'y a jamais eu de telles avancées à ce sujet", remarque Pierre. Et de prévenir : "On verra à la rentrée prochaine pour juger sur pièce."

Elian, 21 ans : "Certains profs n'ont pas réagi"

Il a créé l'association Urgence Harcèlement pour venir en aide à ceux qui, comme lui, ont vécu l'enfer à l'école. Elian, 21 ans, assure que son histoire est "clôturée". Mais il n'a pas oublié les bousculades et les insultes, "dans la cour, sur les réseaux". Ayant assumé pleinement son homosexualité depuis la classe de troisième, il se voit autorisé, en début d'année de seconde, "à aller dans les toilettes des filles pour être tranquille".

Mais un jour, il se fait "hurler dessus" par le proviseur, qui n'était "pas au courant" de cette mesure. Après cet épisode, il change d'établissement, dans lequel il trouve "bonheur, ouverture d'esprit et sécurité". Il milite désormais pour libérer la parole, mais déplore aussi l'inaction des professeurs : "Certains ont vu et n'ont pas réagi !" Elian a récemment été nommé ambassadeur de la lutte contre le harcèlement scolaire par Gabriel Attal, le ministre de l'Education.

Leslie, 49 ans : "Les harceleurs sont souvent des élèves lambdas"

Leslie*, 49 ans, est née avec un handicap moteur qui l'empêche de marcher correctement. "Dès le primaire, j'ai eu droit à des surnoms et des moqueries. Au collège, c'était 'Sidney', en référence à l'animateur d'une émission ["H.I.P. H.O.P", diffusée sur TF1 dans les années 1980] qui avait une démarche bancale", raconte Leslie. En troisième, elle "tombe des nues" lorsqu'elle apprend que ce surnom lui a été attribué par un camarade qu'elle considérait être son ami. Un jour, un autre élève lui demande : "Pourquoi ta mère n'a pas avorté quand elle a su que tu serais handicapée ?"

Peu avant la fin du collège, elle décide de dire "stop". En cours d'anglais, un garçon s'amuse à faire tomber sa trousse. Une fois. Deux fois. Trois fois. "Je l'ai fracassée sur la table en lui disant : 'Maintenant, ça suffit !'", relate Leslie. Cette rébellion "a été cruciale pour renverser la vapeur". Elle se souvient que "les grands costauds de sa classe" l'ont regardé avec respect. L'élève harceleur, lui, a pris deux heures de colle. "Le profil des harceleurs n'est pas celui qu'on s'imagine : il s'agit souvent d'élèves 'lambdas'", ajoute-t-elle sur la base de son expérience. Au lycée, ses camarades, plus "matures", la laissent tranquille. Mais son ultime porte de sortie a été les études supérieures : "Je me suis remplie la tête de savoirs et j'ai écrit une thèse sur le handicap en littérature."

Kimberley, 20 ans : "Le Cned a été une libération"

Après avoir vécu plusieurs années en Nouvelle-Calédonie, Kimberley fait son retour dans le Finistère en CE1, dans une petite école privée. A la rentrée, l'institutrice propose aux élèves de raconter leurs vacances. "Devant tout le monde, elle m'a dit que je mentais, car je n'avais pas mentionné la Nouvelle-Calédonie. Avec cette phrase, elle a en quelque sorte donné l'autorisation aux autres de me persécuter", estime Kimberley. Son harcèlement est ensuite monté crescendo, avec des coups physiques de la part de plusieurs élèves et des bleus sur le corps, permis en partie par l'inertie de sa maîtresse et du directeur. Elle finit par changer d'école l'année suivante, mais retrouve son principal bourreau lors des activités extrascolaires.

"Il n'a jamais cessé de m'avoir dans sa ligne de mire. Le catéchisme, c'était un enfer. Durant les pauses, il me courait après pour me faire du mal."

Kimberley

à franceinfo

Au collège, Kimberley change aussi trois fois d'établissement : elle y est soit harcelée, soit ignorée. Lorsqu'elle se fait enfin des amis en quatrième, elle souffre de phobie scolaire. "Je me suis inscrite au Cned en seconde et ça a été une libération", estime la jeune femme. En terminale, elle choisit de s'inscrire dans un lycée pour y suivre uniquement les cours de philosophie et de sport. "Dans ce lycée, il y avait certains de mes harceleurs, mais je me suis autorisée à vivre." Elle admet que l'un d'eux l'a hanté pendant longtemps, "comme un fantôme". "Je l'ai laissé partir en écrivant un livre, que j'aimerais publier prochainement", partage Kimberley.

Angélique, 23 ans : "Je réfléchis souvent à ce que l'on peut penser"

Angélique traîne avec "la même bande de copains depuis la seconde". "On était un peu le groupe des intellos-geek", s'amuse la jeune femme. Mais tout bascule lors de son entrée en terminale. Après un été durant lequel elle "flirte et couche avec deux ou trois garçons", puis rencontre son premier petit ami, sa réputation devient celle d'une "salope" qui "trompe son mec". Ses harceleurs finissent aussi par l'attaquer sur son poids : "Angélique, c'est Obélix." Ses notes chutent. De 15, elle passe à 13 de moyenne. Elle perd aussi une dizaine de kilos en l'espace de six mois. "J'avais l'impression que ma vie était finie", se souvient Angélique. L'arrivée d'une nouvelle fille dans la classe (désormais sa meilleure amie) change la donne, puisqu'elle est enfin défendue. "Aujourd'hui, cela m'impacte encore un peu. Je réfléchis souvent à ce que l'on peut penser ou dire de moi." 


* Le prénom a été modifié.

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