"On lui explique que le corps des filles n'est pas un jeu" : comment #MeToo influence les parents dans leur éducation des garçons
"J'ai eu une conscience encore plus aiguë de ma responsabilité, de ce que j'allais devoir transmettre et déconstruire." Aline, 45 ans, se considère féministe depuis l'adolescence. Le mouvement #MeToo, qui a émergé il y a sept ans avec les révélations sur Harvey Weinstein en octobre 2017, l'a confortée dans sa manière d'envisager la parentalité : "Il a renforcé mon attention portée sur l'éducation de mes enfants, en particulier celle de mon fils de 9 ans". Egalement mère d'une fille de 13 ans, cette habitante de Ronchin (Nord), souhaite lutter "contre toute manifestation de virilité ou comportement de domination". En filigrane, elle espère une chose : que son garçon ne devienne pas machiste. Et encore moins misogyne.
Aline n'est pas la seule à ressentir cette inquiétude. A travers un appel à témoignages, franceinfo a recueilli la parole d'une cinquantaine de parents, de tous âges, qui s'interrogent pour la plupart sur le rapport de leurs fils aux filles, et, à l'avenir, aux femmes. Les mères de famille, qui disent subir elles-mêmes le patriarcat depuis leur adolescence, sont proportionnellement plus nombreuses que les pères à répondre en ce sens. Dans cet appel à témoins, certains hommes dénoncent même avec virulence un féminisme "extrémiste".
Si le mouvement a permis à des femmes victimes de prendre la parole sur les violences sexistes et sexuelles, il a aussi mis en lumière le caractère systémique de ces faits. En France, 96% des personnes mises en cause pour avoir commis une infraction sexuelle en dehors de la sphère familiale sont des hommes et environ 85% des victimes sont des femmes, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur publiés en mars 2024. Le procès des viols de Mazan démontre en outre qu'il n'y a pas de "profil" type du violeur. Enfin, #MeToo a mis en exergue les comportements et injustices liées au patriarcat, comme le "mansplaining" (c'est-à-dire la manière pour un homme d'expliquer quelque chose de manière condescendante à une femme, souvent en supposant qu'elle ne connaît pas le sujet) ou l'inégale répartition des tâches domestiques.
Dans certaines familles, cette vague féministe a entraîné une prise de conscience concernant l'éducation des garçons. Christine Castelain-Meunier, sociologue spécialiste du genre et de la parentalité, relève l'apparition d'une nouvelle injonction. "Avant, on disait seulement à sa fille : 'Fais attention à ta tenue vestimentaire'. Désormais, certains parents posent la question du comportement du fils, avec le souhait qu'il ne dépasse pas les bornes." L'autrice de l'essai Et si on réinventait l’éducation des garçons ? Petit manuel pour dépasser les stéréotypes et élever des garçons libres et heureux évoque de nouvelles discussions sur le rapport au corps et à l'intimité, avec des explications sur la notion de consentement.
"Nous avons échangé sur le quotidien de leur sœur"
Laurence a ainsi abordé ces sujets avec son fils de 7 ans. "Avec mon compagnon, on lui a expliqué que le corps des filles n'était pas le même celui des garçons, qu'on n'avait pas le droit de prendre ça pour un jeu. Et cela, dans les deux sens d'ailleurs", relate la quadragénaire, "percutée" par #MeToo. Pour elle comme pour de nombreux parents ayant témoigné pour franceinfo, la littérature pour enfants reste un outil subtil pour aborder l'intime.
Caroline, 49 ans, ne se souvient d'aucune discussion avec ses parents sur le consentement, à l'époque où elle se rendait dans les fêtes de villages du Tarn. Avec #MeToo, elle a compris l'importance d'y sensibiliser ses fils, aujourd'hui âgés de 19 et 21 ans. "Nous avons eu de longues conversations, échangé sur le quotidien de leur sœur. Elle a témoigné auprès d'eux des regards malveillants d'hommes, de ce qu'elle entendait parfois dans la rue", rapporte cette assistance sociale.
"J'ai expliqué qu'en soirée, ils ne devaient pas être lourds ou insistants avec les filles."
Caroline, mère de trois enfants, dont deux fils de 19 et 21 ansà franceinfo
Sophie, 35 ans, est mère d'un fils de 13 mois. "Militante féministe" depuis plusieurs années, elle a vécu #MeToo comme une "déflagration". Le mouvement l'a confortée dans une parentalité qui contrecarre "la culture du viol et la domination" patriarcale. Une démarche qui passe, au-delà de l'apprentissage du consentement, par le fait de se défaire des stéréotypes de genre. "Je l'encourage à exprimer ses émotions sans passer par la bagarre", illustre cette Val-de-Marnaise.
Comme Sophie, certains citent spontanément la notion d'empathie. Ils cherchent aussi à ne plus attribuer au genre féminin certaines tenues vestimentaires ou activités artistiques. Sans pour autant "forcer" leurs garçons à ne pas aimer le football ou les voitures. Selon eux, il s'agit de leur laisser le choix, là où la société ne le laisse pas forcément.
"La problématique n'est toujours pas abordée de front"
Des pères se sentent aussi concernés par cette nouvelle parentalité. Damien juge que "l'égalité est loin d'être acquise et que le travail sur l'éducation est prioritaire". Pour ce Lyonnais de 40 ans, #MeToo a induit "une pression supplémentaire" sur ses épaules. Père de deux garçons de 7 et 11 ans, il tente de les sensibiliser au consentement, qu'il soit sexuel ou non, par des règles simples : "Le plus grand ferme déjà la porte dans la salle de bain. On n'entre jamais dans leur chambre sans toquer".
Dans son cabinet de Nanterre (Hauts-de-Seine), la psychologue Aline Nativel Id Hammou rapporte recevoir de plus en plus de pères de famille "depuis environ quatre ans. Ils se posent des questions sur leur posture en tant qu'homme et papa vis-à-vis des enfants".
Selon la professionnelle, le questionnement sur l'éducation des garçons, même s'il n'est pas toujours "intellectualisé", touche tous les milieux. Virginie Kersaudy, psychothérapeute familiale dans une association de quartier populaire à Montpellier (Hérault), apporte sa nuance. Les mères qu'elle accompagne ont d'après elle peu suivi le mouvement #MeToo et disent ne pas avoir réfléchi davantage à l'éducation de leurs fils qu'à celle de leurs filles. Elles ont néanmoins conscience des inégalités qui pèsent entre les deux genres.
Entre milieux sociaux, Aline Nativel Id Hammou pointe quand même des différences "sur la manière de gérer et d'aborder" des sujets, notamment le consentement. "Dans plusieurs familles, la problématique n'est toujours pas abordée de front, car elle est complexe", abonde Christine Castelain-Meunier, pour qui les familles aisées disposent plus souvent de temps et des informations pour le faire.
La sociologue ne remarque pas non plus de biais géographique majeur. A son échelle, Aurélia Blanc, autrice de Tu seras un homme féministe, mon fils !, rapporte que son livre (40 000 exemplaires écoulés) se vend aussi bien dans les librairies indépendantes parisiennes que dans des enseignes de petites villes.
Dualité avec la société
En dépit de leurs idéaux sur la parentalité féministe, ces parents se disent confrontés à des dilemmes. Aurélia Blanc ne souhaite pas faire peser lourdement sur les épaules de son fils "ses propres combats", suggérant un équilibre difficile à trouver. Pour Christine Castelain-Meunier, les garçons ne doivent, en effet, pas payer les pots cassés d'une "culture viriliste".
"Le petit garçon, au départ, n’y est pour rien. On doit vraiment prendre ça en considération, mais la posture à avoir n'est pas si simple."
Christine Castelain-Meunier, sociologueà franceinfo
En dépit d'avancées, Aline et Caroline, également mère de deux adolescentes, disent garder malgré elles le réflexe de vouloir d'abord protéger leur fille de la violence potentielle des hommes."Je vis avec des angoisses, son père aussi. En même temps, on n'a pas envie de la terrifier, on marche sur un fil", témoigne la première. "Quand mes fils ont commencé à sortir, j'avais peur des bagarres. Pour ma fille, j'ai peur de l'agression", notamment sexuelle, regrette la deuxième.
Par ailleurs, ces parents ont conscience des limites de l'influence parentale. Ils citent d'autres acteurs clés, comme l'école, les éducateurs et entraîneurs sportifs, ou encore les amis du même âge. "On n'est pas responsables de la personne qu'ils deviennent, ajoute Aurélia Blanc. Mais je suis intimement convaincue que les graines qu'on sème au quotidien leur donnent une base, à laquelle on espère qu'ils resteront attachés ou reviendront à un moment."
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