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Grand oral du bac : les lycéens vont-ils être évalués sur leur "respiration costo-diaphragmatique" ?

Deux syndicats et des enseignants dénoncent les futurs critères de notation des candidats à l'épreuve. Le ministère de l'Education assure ne pas les avoir encore définis. Et l'auteur du rapport précise qu'il n'a pas proposé de grille d'évaluation. 

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une lycéenne passe dans un couloir pendant les épreuves du baccalauréat au lycée Maurice-Ravel de Paris, le 18 juin 2018. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

"A mes élèves de seconde, afin de préparer correctement votre Grand Oral du Bac Blanquer, profitez de vos vacances pour travailler votre respiration costo-diaphragmatique, votre verticalité, votre congruence, l'éclat de votre regard, et votre captation de bienveillance !" Un professeur de SVT ironise, samedi 29 juin sur Twitter, à propos de la réforme du baccalauréat, portée par le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui prévoit notamment la création en 2021 d'une nouvelle épreuve : le grand oral. 

A l'instar de l'enseignant, la branche alsacienne du syndicat Sud Education juge "affligeant" , vendredi 28 juin sur sa page Facebook, ce "bijou managérial que constitue le Grand Oral". Elle dénonce surtout "la bêtise contemporaine la plus rutilante" qui aurait présidé au choix des futurs "items de notations".

Pour appuyer leurs critiques, le professeur de SVT et Sud Education Alsace publient des extraits du rapport remis au ministre de l'Education nationale le 19 juin par Cyril Delhay, professeur d'art oratoire à Science Po. Celui-ci y donne ses "recommandations pour le grand oral du baccalauréat et l’enseignement de l’oral, de l’école maternelle au lycée"

Le rapport recommande d'initier tous les élèves à la prise de parole en public dès le début de la scolarité. Il suggère ensuite de consacrer au collège et au lycée deux fois deux demi-journées à l'art oratoire chaque année. Concernant le grand oral du bac en lui-même, il préconise une épreuve en trois parties : une présentation de 5 minutes, sans note, debout devant le jury ; puis un dialogue de 10 minutes avec le jury, qui fait appel aux connaissances de l'élève, mais aussi à sa curiosité, à ses motivations ; et pour finir, une relance de 5 minutes sur une nouvelle question du jury au candidat. L'épreuve se tiendra en juin et le lycéen sera examiné sur l'un des enseignements qu'il aura choisi en spécialité en première.

Le rapporteur estime qu'afin de mettre en place cette réforme, quelque 50 000 enseignants devraient être formés dès la rentrée 2019 par 250 à 300 professionnels de l'art oratoire. De même, il prône le développement de partenariats avec les centres dramatiques nationaux et les conservatoires.

Une "fiche mémo des compétences de l'orateur"

Mais ce que les détracteurs du grand oral – comme du rapport – retiennent, c'est surtout la "fiche mémo" produite par le rapporteur en annexe. Celle-ci liste les compétences attendues d'un bon orateur de son entrée en scène à sa sortie, en passant par sa gestuelle, son regard, son écoute de l'auditoire, sa maîtrise de la voix, son charisme et la pertinence de son propos.

"L'anticipation de sa place dans l'espace", la "captation de bienveillance", la "respiration costo-diaphragmatique", la "congruence", "l'éclat du regard" sont, entre autres, les aptitudes escomptées. Et ces dernières sont classables en trois catégories : "acquises", "non acquises" ou "en cours d'acquisition".

Pour les contempteurs du grand oral, cette "fiche mémo" préfigure la grille d'évaluation qui sera appliquée aux lycéens. Le ministère de l'Education nationale assure à franceinfo qu'il s'agit là de conclusions hâtives. 

Par définition, un rapport formule des propositions, cela ne signifie nullement qu’elles seront toutes retenues.

le ministère de l'Education nationale

à franceinfo

Et d'ajouter qu'il ne lui est "pas possible de répondre aujourd’hui sur les critères qui seront finalement retenus". Mais les services gouvernementaux assurent que "la décision va être prise rapidement puisque le grand oral concernera les élèves qui vont entrer en première à la rentrée 2019". Sur son site internet, le ministère indique que "le ministre rendra ses arbitrages après la rentrée de septembre".

Quant à l'auteur du rapport, Cyril Delhay, il précise à franceinfo que la "fiche mémo" qu'il a glissée en annexe de son rapport a été "composée il y a quatre ans", qu'elle est le "fruit d'un travail collectif d'une vingtaine de personnes, dont une cantatrice et une comédienne" et qu'il faut y voir "un logiciel libre". Il s'agit surtout, argue le professeur d'art oratoire, d'une "grille d'apprentissage", et non d'une grille de notations, d'un "guide" qui "décompose la séquence d'un point de vue technique" et qui liste "l'ensemble des compétences sur lesquelles travaille le formateur avec les apprenants".

Les propositions de "jalons", "descripteurs de réussite", se trouvent en page 25 du rapport. Le rapporteur suggère d'évaluer l'élève sur la "mobilisation" de ses "ressources physiques" (le respect du temps imparti et la gestion du stress notamment), sur la "clarté" et la "pertinence" de son propos et enfin sur la "qualité" de son "interaction" avec le jury (l'écoute des questions et l'à-propos de ses réponses, mais aussi la "maîtrise des silences", et le "regard qui écoute").

"C'est bien vers cette grille d'évaluation qu'on nous emmène"

Ces arguments sont loin de convaincre la secrétaire nationale du Snes-FSU en charge du lycée, Claire Guéville. "Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu un rapport commandé par Jean-Michel Blanquer et médiatisé par son ministère qui n'ait pas été suivi d'effets, observe-t-elle. D'autant que je n'ai pas connaissance d'un autre rapport qui viendrait en contrepoint." Pour elle, cela ne fait aucun doute, "c'est bien vers cette grille d'évaluation qu'on nous emmène".

Il y a une volonté d'affichage d'un grand oral comme on en trouve dans l'enseignement supérieur et à Science Po, qui met en œuvre la rhétorique voire la communication.

Claire Guéville, secrétaire nationale du Snes-FSU en charge du lycée

à franceinfo

"Le projet pédagogique et politique de Jean-Michel Blanquer, c'est bien de formater l'enseignement dans le secondaire sur le supérieur", fustige l'enseignante et syndicaliste. Or, remarque-t-elle, "il y a un énorme fossé entre la culture du lycée et celle de l'enseignement supérieur". "On ne demande pas aux élèves d'être dans la représentation, de savoir se vendre. Ce qu'on évalue, c'est avant tout la maîtrise des connaissances, le fond plus que la forme."

La professeur d'histoire-géographie redoute surtout un écueil majeur. "Au lycée, c'est extrêmement compliqué à gérer. A l'adolescence, les élèves ne sont pas forcément à l'aise avec leur corps. Et dans une classe de seconde de 35 élèves, la bienveillance n'est pas vraiment la règle..." Conclusion : "C'est en totale déconnexion avec l'exercice du métier au quotidien dans une classe lambda."

Le professeur d'art oratoire Cyril Delhay se montre plus optimiste. Il met en avant l'initiation des enfants par l'intermédiaire des récitations de poésies, des clubs de lecture ou du chant choral, et mise sur les groupes de travail restreints pour les adolescents.

Il faut quatre demi-journées pour apprendre à maîtriser les fondamentaux de l'art oratoire. C'est assez simple et ça produit ses effets rapidement. C'est très gratifiant pour les élèves comme pour les enseignants. Et ça apporte une dynamique de groupe très positive à la classe.

Cyril Delhay, professeur d'art oratoire et auteur d'un rapport sur le sujet

à franceinfo

"Ce grand oral, c'est une opportunité cruciale, veut croire le rapporteur. Ce n'est pas normal d'être angoissé à l'idée de prendre la parole en public quand on est adulte. Apprendre à parler en public, c'est comme apprendre à nager : si on n'enseigne pas l'art oratoire, on favorise les discriminations sociales."

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