La suppression des classes bilangues va-t-elle porter un coup fatal aux cours d'allemand ?
De droite comme de gauche souffle un vent de fronde contre la suppression des classes bilangues prévue dans la réforme des collèges. L'enseignement de l'allemand est-il menacé par cette mesure?
La révolte gronde, y compris à gauche. Car la réforme du collège, présentée le 11 mars par la ministre de l'Education nationale, ne fait pas l'unanimité. En quoi consiste-t-elle ? A promouvoir l'interdisciplinarité, qui permet d'enseigner plusieurs matières via l'étude d'un sujet commun, jugé rassembleur.
Mais elle met aussi fin à certains parcours de l'enseignement public, comme les classes bilangues, qui proposent d'apprendre deux langues vivantes à partir de la 6e. Sans parler du latin et du grec ramenés à la portion congrue, faut-il sauver à tout prix cette voie d'excellence des langues vivantes ? Faut-il, surtout, s'inquiéter d'une mesure qui menacerait l'enseignement de l'allemand en France ?
Oui, les classes bilangues avaient justement été créées pour favoriser l'allemand
En 2005, ces classes ont été ouvertes pour relancer l'enseignement de l'allemand en France (et du français en Allemagne), dans le cadre d'une coopération franco-allemande renforcée.
L'ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault, également ex-professeur d'allemand, rappelle, dans une lettre, dévoilée le 15 avril par Les Echos, à Najat Vallaud-Belkacem, que ce volontarisme garde tout son sens. "Nous cherchons aujourd'hui à renforcer nos liens avec l'Allemagne : cela passe par une meilleure connaissance de son histoire, de sa culture et de sa langue."
"Dans sa disposition visant à maintenir uniquement les classes bilangues 6ème assurant la continuité de l'apprentissage d'une langue vivante autre que l'anglais à l'école élémentaire, poursuit l'ancien maire de Nantes, la réforme aura pour conséquencela disparition de nombreuses classes bilangues où l'allemand était enseigné uniquement à partir de la 6e et non dès les classes primaires".
Inquiétude partagée par la présidente de l'Association pour le développement de l'enseignement de l'allemand en France, Thérèse Clerc. Elle estime que ce dispositif a pourtant prouvé son efficacité. "Alors qu’en 2002, 14 000 élèves étaient germanistes en 6e bilangue, ils étaient 87 000 en 2013. Or, la plupart de ces élèves commencent l’apprentissage de l’allemand en 6e", explique-t-elle à l'e-mag NousVousIls, spécialisé dans les questions d'éducation.
Oui, le niveau d'allemand devrait baisser
Les classes bilangues bénéficient tout au long du collège de 3 heures hebdomadaires d'allemand par semaine, de la 6e à la 3e. Pour Thérèse Clerc, cela permet aux sections bilangues et aux classes européennes (jusqu'à quatre heures de seconde langue vivante par semaine tout au long de la scolarité au collège) d'être "identifiées par les familles comme un dispositif actif". Elle juge donc que "le niveau de compétences va baisser" puisque les élèves s'initieront plus tard à une seconde langue, et avec moins d'heures.
Et le maintien du dispositif bilangue pour ceux qui feront de l'allemand au primaire, auquel s'est engagé le gouvernement ? Pour elle, il ne concernera que très peu d'élèves, à peine 6%. Et en majorité dans les départements de l'est de la France, proches de l'Allemagne.
Non, le nombre de postes augmente
Le ministère avance qu'il va essayer de multiplier les jumelages avec l'Allemagne. Et, surtout, il va anticiper l’augmentation du nombre d’élèves pratiquant l’allemand en recrutant plus d’enseignants d’allemand : 443 postes en 2014, 514 en 2015, contre 199 en 2010.
Thérèse Clerc admet qu'il y a une "forte augmentation des postes" en concours. Mais "on est, ajoute-t-elle, en situation de pénurie, vu la pyramide des âges". En plus, "le vivier des candidats ne permet pas de pourvoir tous les postes". Car, si on manque d'élèves germanistes, on manque aussi de profs...
Non, une deuxième langue vivante sera proposée dès la cinquième
Face à la colère des germanistes, le ministre de l'Education nationale a sorti son contre-argumentaire. Il répond notamment que la deuxième langue vivante sera enseignée dès la classe de 5e (au lieu de la 4e) et qu'elle passera de "six heures à 7h30 d'enseignement au collège". En clair de trois heures hebdomadaires en 4e et en 3e, à deux heures trente hebdomadaires de la 5e à la 3e. Un argument que conteste Thérèse Clerc. Pour elle, le compte n'y est pas : "deux heures trente par semaine, c'est insuffisant quand on commence une langue !"
Mais vaut-il mieux maintenir un dispositif d'excellence touchant une minorité, ou initier plus tôt un plus grand nombre à une seconde langue ? Le Conseil supérieur des programmes (CSP), même s'il n'est pas "décisionnaire", défend la seconde option. Son président, Michel Lussault, l'explique à francetv info. Le CSP, souligne-t-il, veut que tous les élèves accèdent à la plus grande richesse des programmes possibles. Pourquoi seuls certains auraient-ils accès au bilanguisme ? Il lui semble préférable d'avancer pour tous l'accès à la seconde langue que maintenir une voie d'accès privilégiée pour quelques-uns. Et il rappelle surtout une nouveauté de la réforme oubliée par ses contempteurs : "Tous les élèves doivent être confrontés à la première langue dès le CP".
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