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Réforme du collège : trois questions sur les futurs "cours interdisciplinaires"

Des syndicats appellent les enseignants à manifester, mardi, pour dénoncer le projet de réforme porté par le gouvernement. Parmi les principaux points de contestation, les futurs "enseignements pratiques interdisciplinaires" (EPI).

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre Manuel Valls et la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem au milieu d'élèves du collège Lamartine de Soissons (Aisne), le 13 mai 2015. (JEAN-MARIE CHAMPAGNE / POOL / AFP)

Les enseignants vont faire entendre leur colère dans la rue. Une intersyndicale, représentant 80% des professeurs du secondaire, appelle à manifester dans de nombreuses villes de France, mardi 19 mai, pour protester contre la réforme du collège portée par le gouvernement. 

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Fin des classes européennes ou bilangues, réforme de l'enseignement des langues anciennes… Au rang des nouveautés qui doivent entrer en vigueur à la rentrée 2016 figure également la création des "enseignements pratiques interdisciplinaires" (EPI), un point qui suscite, lui aussi, de vives oppositions. Francetv info vous résume de quoi il s'agit. 

C'est quoi un cours "interdisciplinaire" ?

A partir de la cinquième, les établissements vont devoir consacrer 20% de leur emploi du temps à du travail en petits groupes, de l'accompagnement personnalisé pour tous les élèves, et à ces nouveaux "enseignements pratiques interdisciplinaires" (EPI). Très discutés, ces derniers sont déjà expérimentés dans certains établissements.

Au collège Eugène-Chevreul, à L'Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne), une classe de sixième réalise, par exemple, un court-métrage, avec plusieurs professeurs dans la salle. Pour y parvenir, les élèves doivent mobiliser des connaissances de français, d'histoire-géo, et de géométrie, explique Europe 1. "Cela les débloque", assure une professeure, car la formule encourage les plus timides à s'exprimer. Sur son site internet, le ministère de l'Education nationale met en avant d'autres exemples, comme la réalisation d'un magazine consacré à la machine à vapeur, qui fait appel à des compétences en histoire, en physique et en mathématiques.

Il s'agit là d'une idée assez en vogue, et pas qu'en France. A Helsinki (Finlande), une réforme prévoit même de remplacer les disciplines par une approche transversale et thématique.

Ces ateliers seront-ils vraiment efficaces ?

A compter de la rentrée 2016, les élèves auront quatre heures d'EPI et d'accompagnement personnalisé par semaine, de la cinquième à la troisième. Les disciplines traditionnelles devront donc sacrifier un peu de leur temps pour leur faire de la place. Le Snes, syndicat majoritaire chez les enseignants, peine à masquer ses doutes sur l'efficacité de ces enseignements. Sa co-secrétaire générale, Frédérique Rolet, estime sur France Info que "l’interdisciplinarité peut être une façon de ramener certains élèves qui se sont un peu éloignés de la culture scolaire, de les remotiver, mais ce n’est pas la panacée." 

Le ministère, lui, répond que ces cours interdisciplinaires seront tout sauf secondaires, car ils feront partie du socle commun et seront soumis à des programmes, au même titre que les disciplines traditionnelles. "Ces projets s’inscriront dans l’un des huit nouveaux thèmes de travail correspondant aux enjeux du monde actuel", précise le ministère, qui a dévoilé l'intitulé de chacun de ces huit EPI. 

Si l'on imagine aisément à quoi correspond le "monde économique et professionnel", les contours de certains EPI restent assez flous. Quid, par exemple, de "corps, santé, sécurité" ? "Les intitulés choisis par le ministère [sont] trop généraux par rapport aux thèmes que nous avions imaginés", regrette le pédagogue Jean-Michel Zakhartchouk, pourtant favorable à la réforme, cité dans le magazine du Sgen CFDT.

Reste également à savoir si les élèves apprendront autant de choses lors de ces ateliers que lors d'un cours traditionnel. Selon certains universitaires, rien n'est moins sûr. Pire, cela risquerait même d'être contre-productif. "Les entrées par thème favorisent les élèves qui savent construire un texte ou une réflexion en cherchant dans différents domaines, assure la chercheuse Elisabeth Bautier, citée par Slate. Ils naviguent entre les savoirs. C’est une tâche sophistiquée, qui laisse les plus faibles sur le bord de la route." Contactée par francetv info, la sociologie Marie Duru-Bellat estime au contraire que "ces enseignements vont peut-être accrocher les élèves les plus éloignés de l'école. Il ne faut pas forcément s'ennuyer pour bien apprendre.

Les établissements vont-ils entrer en concurrence ?

"Le conseil d'administration du collège, sur proposition du conseil pédagogique, déterminera les thématiques qui seront traitées dans les classes de cinquième, quatrième et troisième", précise le ministère au sujet des EPI. Pour 20% du temps scolaire, il appartiendra donc à chaque établissement de fixer les moyens pour atteindre les objectifs fixés par le ministère.

Selon les opposants à la réforme, ces EPI risquent donc de faire l'objet d'une compétition entre les établissements, accentuant les inégalités. "Est-ce que tout le monde a bien compris que c'est la fin du collège unique ?, s'est interrogé, par exemple, dimanche l'eurodéputé Jean-Luc Mélenchon au Grand jury RTL-LCI-Le Figaro. Ces 20% ne seront pas les mêmes suivant les établissements, les jeunes n'auront pas accès aux savoirs dans les mêmes conditions." Même inquiétude du côté du syndicat SUD "L’introduction de différenciations permet toujours que des hiérarchisations entre options et parcours se réintroduisent, favorisant ainsi la reproduction des inégalités sociales et culturelles."

Le gouvernement, lui, préfère évoquer une "autonomie régulée" et des "marges de manœuvre", et donc, une "marque de confiance" apportée aux équipes pédagogiques. Autant dire qu'elles ne sont pas toutes convaincues. "Ce qu'on autorise les collèges à faire, c'est d'adapter leurs pratiques pédagogiques pour atteindre le socle commun", reprend la sociologue Marie Duru-Bellat. "Alors certes, il y a toujours un risque quand on fait de la diversité. Il faut simplement que les objectifs restent les mêmes."

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