Exposition des jeunes aux écrans : quelles sont les principales recommandations du rapport remis à Emmanuel Macron ?
Réunie par Emmanuel Macron fin janvier, la commission d'experts chargée de rédiger un rapport sur l'usage des écrans chez les enfants a remis ses conclusions au président mardi 30 avril. Dans ce document d'environ 140 pages, intitulé "A la recherche du temps perdu", les dix membres du collège de spécialistes s'inquiètent des conséquences de la surexposition aux écrans en termes de santé et de développement pour les enfants.
"Il se dégage un consensus très net sur les effets négatifs, directs et indirects, des écrans sur le sommeil, sur la sédentarité, le manque d'activité physique et les risques de surpoids, voire d'obésité (avec en cascade les pathologies qui en découlent) ainsi que sur la vue."
La commission d'expertsdans son rapport
"Nous sommes pragmatiques : nous avons des données, on préconise des interdictions", a expliqué Amine Benyamina, le psychiatre qui a coprésidé la commission avec la neurologue Servane Mouton, sur RTL. "Il est toujours temps de changer les pratiques quand nous avons les informations pour les ajuster", poursuit cette dernière.
Lutter contre les services addictifs
C'est le premier axe du rapport et derrière un jargon opaque, il cible des pratiques bien spécifiques. Le rapport propose de "s'attaquer avec force aux conceptions addictogènes et enfermantes de certains services numériques, pour les interdire et rendre aux enfants et aux adolescents leur liberté". Dans le viseur, les "services prédateurs" qui recourent à tous les moyens pour retenir les utilisateurs le plus longtemps possible : défilement infini, lancement automatique de vidéos, notifications intensives, récompenses...
Autre préoccupation de la commission, les jeux en ligne et le développement des micro-transactions : les experts appellent à réguler et plafonner la dépense pour un jeu donné. Ils choisissent pour cela de s'adresser "aux acteurs économiques" en premier lieu et d'aller plus loin en la matière que le Digital Service Act européen. Avec comme modèle le système des médicaments, la commission envisage la possibilité "d'exiger des acteurs économiques qu'ils démontrent, avant la mise sur le marché, l'absence d'effet nocif et une balance bénéfice-risque favorable", avec la réalisation d'audits indépendants réguliers.
Les experts recommandent aussi de favoriser l'émergence d'innovations "au service de modèles éthiques". Le rapport envisage encore la création d'un "droit au paramétrage" qui se traduirait par un cahier des charges concret : "ouverture systématique sur l'interface de paramétrage avant toute première navigation", "explicitation accessible aux enfants du fonctionnement des algorithmes" ou encore "paramétrage par défaut" plus protecteur des mineurs.
Empêcher l'exposition des plus petits
Dans son rapport, dont des extraits ont été rendus publics dès lundi soir par plusieurs quotidiens régionaux, la commission préconise de "renforcer la recommandation en vigueur de ne pas exposer les enfants de moins de 3 ans aux écrans". "L'écran n'est pas nécessaire au bon développement de l'enfant", note la neurologue Servane Mouton.
La commission appelle aussi à des actions auprès des parents et des professionnels de la petite enfance. Les effets "attachés à l'intervention des écrans dans la relation du jeune enfant avec les adultes constituent des points d'appui suffisants pour appeler à une grande vigilance, a minima jusqu'aux 4 ans de l'enfant, dans l'usage qui est fait des outils en leur présence". Le rapport cite les assistantes maternelles, les personnels en crèche et les nourrices et souligne l'importance des "moments clés de la relation" que sont les repas, les soins ou les jeux.
"Remettons l'outil numérique à sa place : jusqu'à au moins six ans, l'enfant n'a pas besoin d'écran pour se développer", a insisté Servane Mouton, devant la presse à l'Elysée. "Alors, on fait quoi ? Il faut réapprendre aux parents à jouer avec leurs enfants", a-t-elle ajouté. "L'enfant a besoin d'interactions, d'être à l'extérieur, de jouer avec ses pairs, de chanter, danser, courir... Il ne faut pas que l'écran écrase ces besoins-là."
Bannir les portables pour les préadolescents
Concernant le téléphone portable, la commission recommande "d'assumer et organiser" un usage progressif des écrans et du numérique en fonction de l'âge des enfants. Elle préconise ainsi de ne pas confier de téléphone portable aux enfants de moins de 11 ans, puis de l'autoriser via un appareil sans internet jusqu'à 13 ans. Mais comment ? Via "la déclaration systématique de la date de naissance de l'utilisateur lors de l'achat d'un smartphone et de la souscription à un forfait de téléphonie mobile" ou par l'ajout sur les smartphones achetés en France d'une mention "ne convient pas aux moins de 13 ans".
A partir de cet âge, les auteurs du rapport proposent d'autoriser l'accès à internet, mais pas aux réseaux sociaux, puis d'ouvrir cet accès à partir de 15 ans, uniquement sur des réseaux "éthiques". Amine Benyamina définit ces réseaux sociaux comme des plateformes qui n'ont pas vocation "à entraîner un réengagement éternel" de ses utilisateurs et "qui ne diffusent pas de contenus offensants ou traumatisants". Cet usage du téléphone portable doit s'accompagner par le développement d'une offre pensée pour les adolescents. La commission recommande notamment la commercialisation par les opérateurs de forfaits et de téléphones adaptés.
Encadrer l'usage des écrans dans la scolarité
L'approche "progressive" défendue dans le rapport "doit se décliner dans le cadre scolaire". Ainsi, la commission recommande de "ne plus utiliser l'ENT pour les enfants du primaire" afin de réserver ces espaces numériques aux échanges entre enseignants et parents d'élèves. Concernant les élèves du secondaire, les experts jugent nécessaire de "lutter contre toutes les pratiques défavorables aux enfants, dans l'usage des ENT et de Pronote" et proposent par exemple de désactiver les notifications entre 19 heures et 7h30 le lendemain matin.
La commission souligne d'ailleurs l'existence d'une "injonction paradoxale qui conduit les jeunes élèves à passer du temps sur les ENT ou à les consulter à des heures indues alors que, dans le même temps, il leur est demandé de modérer leurs usages des écrans". Plus largement, elle suggère d'"engager un état des lieux précis de la place du numérique dans la stratégie pédagogique et éducative actuelle" et de réaliser des "études d'impact systématiques" de chaque ressource numérique avant de la généraliser.
Eduquer sur les enjeux de santé liés aux écrans
Parmi les enjeux soulevés par la commission, l'éducation aux questions de santé trouve une place dans le rapport sous forme de pistes directement adressées au gouvernement. Elle cible spécifiquement les risques pour le sommeil, la sédentarité et la vue. Le rapport incite donc les responsables politiques à "concevoir un plan en faveur de l'éducation à la santé des enfants et des jeunes prenant tout particulièrement en compte" ces enjeux.
Le volet éducation du rapport englobe aussi la nécessité de lutter "contre les messages et certaines tendances délétères", notamment les "contenus violents, haineux, sexistes, trompeurs, orientés dans un objectif de manipulation par celui qui les émet ou encore à caractère pornographique". Le collège de spécialiste recommande d'ailleurs de "faire une place sérieuse et complète à toutes les éducations 'au vivre ensemble' (l'éducation à la vie sexuelle et affective, l'éducation aux enjeux de genre, l'éducation aux compétences psychosociales, l'éducation civique...) qui sont systématiquement traversées par des enjeux d'amplification face au numérique".
La commission d'experts propose aussi de déployer une stratégie de communication "massive, récurrente, grand public" de sensibilisation aux enjeux liés aux écrans. Une piste compliquée à mettre en œuvre sans s'appuyer sur lesdits écrans.
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