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Enseignement supérieur : on vous explique la polémique sur l'enquête visant l'"islamo-gauchisme" réclamée par le gouvernement

La ministre Frédérique Vidal avait estimé sur CNews que "l'islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l'université n'est pas imperméable". Elle a confirmé mardi avoir demandé une enquête à ce sujet au CNRS.

Article rédigé par franceinfo
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La ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, lors d'une conférence de presse, à Paris, le 14 janvier 2021. (THOMAS COEX / AFP)

La ministre de l'Enseignement supérieur évoque un mouvement de pensée qui "gangrène" les universités françaises. Frédérique Vidal est partie en guerre contre ce qu'elle appelle l'"islamo-gauchisme" et a confirmé, mardi 16 février, avoir demandé une enquête au CNRS pour faire "un bilan de l'ensemble des recherches qui se déroulent dans notre pays". Le CNRS a de son côté condamné, mercredi, l'usage d'un terme "qui ne correspond à aucune réalité scientifique"Franceinfo revient sur cette initiative et les réactions qu'elle suscite dans le monde universitaire.

Qu'est-ce que l'"islamo-gauchisme" ?

La terminologie elle-même fait polémique. Le terme, apparu dans les années 2000, qui "évoquait une convergence entre islamistes et extrême gauche, symbolise aujourd'hui une ligne de fracture politique sur les causes du jihadisme", explique Le Monde. Après avoir analysé 2 500 articles publiés depuis 2002, la Revue des médias de l'INA a montré, en décembre, que l'expression "islamo-gauchisme" avait "revêtu plusieurs sens avant de se stabiliser".

Le concept "n'a pas de base scientifique", remarque Libération"Pour les uns, c'est une attaque rhétorique voire une injure ; pour les autres, une dérive d'une partie de la gauche", note France Inter. La notion d'"islamo-gauchisme" est "un épouvantail créé pour unir ceux et celles qui veulent stigmatiser les musulmans, s'opposer à la gauche et délégitimer les sciences sociales", avait jugé, en octobre, le chercheur en science politique Samuel Hayat dans une tribune publiée par L'Obs.

De l'essayiste Caroline Fourest à l'ancien Premier ministre Manuel Valls en passant par les membres du Rassemblement nationale et le philosophe Bernard-Henri Lévy, le spectre de ceux qui emploient le terme est large. Le gouvernement a lui même utilisé la formule à plusieurs reprises. Le ministre de l'Education nationale, Jean-Michel Blanquer, avait ainsi dénoncé "l'islamo-gauchisme" qui "fait des ravages à l'université" après l'assassinat de Samuel Paty

"Notre société a été beaucoup trop perméable à des courants de pensée, avait-il alors déclaré. Une centaine de professeurs des universités et de chercheurs avaient soutenu le ministre de l'Education dans une tribune publiée par Le Monde. S'écartant du mot "islamo-gauchisme", ils y dénonçaient toutefois le déni de certains de leurs pairs sur l'islamisme, les "idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales". Parmi les signataires, le politiste Laurent Bouvet, figure du "printemps républicain", le politologue Gilles Kepel, l'historien et membre de l'Académie française Pierre Nora ou encore le politologue Pascal Perrineau.

Pourquoi avoir demandé cette enquête ?

Frédérique Vidal avait révélé, dimanche, sur CNews, avoir demandé "une enquête au CNRS" sur le prétendu "islamo-gauchisme" qui "gangrène" les universités françaises. "Nous sommes choqués par ces chasses aux sorcières dignes d'un autre régime. A quoi faites-vous référence ? (...) Vous n'avez rien d'autre à faire que de lancer une police de la pensée ?" a répondu mardi la députée insoumise Bénédicte Taurine lors des questions au gouvernement.

Frédérique Vidal a alors confirmé, devant les députés, avoir demandé au CNRS "un bilan de l'ensemble des recherches" qui se déroulent en France. Objectif : distinguer selon elle "ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l'opinion""J'ai été interrogée sur ce que l'on voit apparaître dans les universités à savoir des universitaires qui se disent eux même empêchés par d'autres de mener leur recherches, leurs études", a ajouté Frédérique Vidal.

La ministre de l'Enseignement supérieur a mentionné les études sur le "postcolonialisme". De quoi s'agit-il ? "Nous sommes entrés dans une nouvelle époque après la colonisation. Mais la colonisation reste présente de manière muette, non-dite. (...) Cette pensée postcoloniale, au sens très large, est l'effort pour essayer de montrer ce qui reste silencieux ou souterrain", avait résumé sur France Culture, en 2018, Thomas Brisson, sociologue et maître de conférence à l'université Paris 8.

Comment va-t-elle se dérouler ?

Le ministère de l'Enseignement supérieur, interrogé par Le Monde (article payant), a indiqué que cette "étude scientifique" serait "conduite par l'alliance Athena, qui regroupe les principaux acteurs de la recherche publique française". Le CNRS a dit au quotidien être en train de "discuter avec le cabinet pour préciser les attentes de la ministre""Les objectifs seront définis dans les prochains jours", a précisé le ministère.

Quelles sont les réactions ?

"'L'islamo-gauchisme', slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique", a réagi le CNRS, mercredi, dans un communiqué. L'organisme de recherche rejette l'utilisation d'un terme aux "contours mal définis", qui "fait l'objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées".

La Conférence des présidents d'université (CPU) a de son côté appelé "à élever le débat". Elle a fait part, dans un communiqué, de "sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile sur le sujet de 'l'islamo-gauchisme' à l'université""'L'islamo-gauchisme' n'est pas un concept. C'est une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu'il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de CNews, plus largement, à l'extrême droite qui l'a popularisé", écrit-elle.

"Si le gouvernement a besoin d'analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l'aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition."

La Conférence des présidents d'université

dans un communiqué

"On comprend que la polémique contre la 'cancel culture' vise à justifier la censure", a commenté sur Twitter le sociologue Eric Fassin, qui enseigne à l'université Paris 8.

"C'est effarant de voir s'inventer devant nous un double mythe anti-universitaire", a écrit sur Twitter l'historien Nicolas Offenstadt, maître de conférences à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, membre de l'Institut d'histoire moderne et contemporaine.

Le sociologue Arnaud Saint-Martin, chargé de recherches au CNRS, s'est indigné lui aussi des propos de Frédérique Vidal. Il a estimé sur Twitter qu'ils étaient "en phase avec la 'lepénisation du macronisme' et la macronisation du RN".

La section de la Ligue des droits de l'homme de l'Ecole des hautes études en sciences sociales a réclamé quant à elle le départ de Frédérique Vidal. "Sa démission s'impose, tout comme l'abandon de cette prétendue 'enquête' non seulement nauséabonde, mais déshonorante", écrit-elle dans un communiqué. Selon elle, "une accusation typique de l'extrême droite est ainsi reprise une nouvelle fois par une ministre de la République, rassemblant dans une formule ignominieuse un groupe fantasmatique et fantasmé de pseudo-adversaires qui ne sont, en réalité jamais nommés".

Du côté de l'exécutif, Emmanuel Macron a répété son "attachement absolu à l'indépendance des enseignants-chercheurs", a indiqué le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, mercredi, à la sortie du Conseil des ministres. "La priorité pour le gouvernement, c'est évidemment la situation des étudiants dans la crise sanitaire, c'est évidemment la possibilité d'apporter un soutien financier aux étudiants en difficulté, c'est évidemment de permettre aux étudiants qui le souhaitent de pouvoir revenir progressivement en présentiel à l'université", a toutefois rappelé Gabriel Attal, rejoignant plusieurs voix au sein de la majorité appelant Frédérique Vidal à se concentrer sur ces sujets.

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