Affaires Daval et Esquivillon : pourquoi les suspects ont longtemps menti avec assurance avant de passer aux aveux
Pendant près de trois mois, face aux caméras et dans la presse, Michel Pialle a assuré sans ciller que son épouse, Karine Esquivillon, s'était évaporée à Maché (Vendée) le 27 mars, sans prévenir personne. Elle avait emporté seulement avec elle "un tas de choses, qu'elle avait déjà préparé d'avance", avait notamment affirmé le 21 mai ce père de famille de 54 ans à France Bleu Loire Océan. En garde à vue, face aux enquêteurs, son récit millimétré s'est finalement fissuré, dans la nuit de jeudi à vendredi 16 juin, jusqu'à passer aux aveux : il a reconnu l'avoir tuée, par accident, a-t-il précisé, en nettoyant son arme à feu. Après avoir mené les gendarmes au corps de la défunte, il a été mis en examen "pour meurtre sur conjoint" et placé en détention provisoire.
Son profil n'est pas sans rappeler celui de Jonathann Daval, ce trentenaire qui avait montré le visage d’un veuf éploré dans les médias fin 2017. Il avait finalement été confondu, trois mois après la découverte du corps de son épouse dans une forêt, avouant l'avoir frappée et étranglée après une dispute. Dans ces deux affaires, les suspects ont fait preuve d'une assurance déconcertante dans leurs récits, malgré la gravité des faits. "Justement : plus l'enjeu est important, plus il faut convaincre", explique un psychologue expert judiciaire à franceinfo, qui préfère rester anonyme.
Le mensonge, un "cinéma" à soi-même
"Il y a une honte à avoir commis un crime sur quelqu'un avec qui on a eu une histoire", analyse-t-il, et ce sentiment peut être tellement fort que le suspect se trouve contraint de "se nier soi-même". Il réussit, en mentant, "à donner une image de sa propre personne qui lui semble acceptable, et qu'il va ensuite essayer de préserver, pour les autres donc, mais aussi pour lui".
Pour le psychiatre Jean Canterino, c'est ce qu'a fait Jonathann Daval en choisissant de mentir publiquement, notamment lors d'une marche blanche en hommage à son épouse, où il apparaissait effondré. "Le cinéma, il se le faisait plus à lui-même qu'aux autres, pour supporter ce qu'il avait fait. Il ne cherchait pas tant à manipuler qu'à mettre la poussière sous le tapis", détaille celui qui l'a expertisé lors de son procès.
Le psychologue interrogé par franceinfo rappelle pour sa part que "le mensonge est un symptôme, pas une pathologie en soi. Il est le signe de troubles du comportement de personnalités narcissiques, qui vont chercher à se valoriser ou se victimiser", précise-t-il. Pour mentir autant que l'ont fait Michel Pialle et Jonathann Daval, "il faut être dans un besoin narcissique vis-à-vis de soi-même, avec la volonté de construire ce que l'on n'est pas", assure Jean Canterino. Avant même son passage à l'acte, Michel Pialle était d'ailleurs décrit par ses proches comme un "mythomaniaque" qui "s'inventait une vie".
Les récits trop "figés" mettent la puce à l'oreille
Si le récit des deux hommes, qui clamaient leur innocence dans la mort de leur épouse, pouvait apparaître crédible, l'aspect très "figé" de la description des faits a pu mettre la puce à l'oreille des enquêteurs. "Quand on sait que l'on ment et qu'il y a des enjeux très importants derrière, on va essayer de ne pas se contredire, d'être hyper-cohérent, en ayant une histoire très rodée, qui pourrait se répliquer d'un interrogatoire à l'autre", relève le psychologue expert judiciaire.
"Si la version est totalement identique à chaque fois, ça donne un indicateur : le suspect s'est trouvé un système de défense et il le répète."
Un psychologue expert judiciaireà franceinfo
Ainsi, d'une interview à l'autre, Michel Pialle a pu avoir des phrases totalement identiques. "Je dois être une des rares personnes en France à avoir été content d'avoir la police chez lui", a-t-il par exemple répété dans différents reportages. Lorsqu'une personne dit la vérité, "le récit peut évoluer et des fragments de souvenirs viennent s'ajouter petit à petit", précise le psychologue. Sa version ne sera donc pas forcément totalement la même, surtout dans les premiers jours de l'enquête.
Des "niveaux de dépression très intenses" après les aveux
Alors, comment faire céder un menteur aussi déterminé ? "Il faut repérer les blocages : qu'est-ce qui fait que la personne ne parle pas ? La honte ? Pour se protéger soi ? Pour protéger quelqu'un d'autre ? Les enquêteurs jouent beaucoup là-dessus", affirme le spécialiste, selon qui ce sont souvent les conséquences d'une mise en examen sur les enfants qui peuvent faire peur. Certains tiennent aussi, bon an mal an, "pour ne pas laisser le système s'effondrer", pointe Jean Canterino. "Quand une personne a érigé des défenses massives, le rempart s'effondre, le narcissisme avec : elle peut atteindre des niveaux de dépression très intenses, avec des pulsions suicidaires", relève le psychiatre.
Mais dire la vérité peut aussi soulager. "L'image d'un parent qui a commis l'irréparable est très dure à endosser. Assumer des actes et les regretter, c'est plus facile à défendre que s'enferrer dans quelque chose d'intenable", ajoute le psychologue expert judiciaire. "Si la personne a parlé, c'est aussi qu'il reste quelque chose du côté de la vie, une façon d'essayer de trouver une solution. Parler, c'est accepter la main tendue de ceux qui posent les questions", conclut-il.
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