Affaire Olivier Duhamel : cinq questions sur les accusations d'inceste portées par sa belle-fille Camille Kouchner
Dans un livre intitulé "La Familia grande" (éd. Seuil), l'avocate Camille Kouchner accuse son beau-père, l'ancien député européen Olivier Duhamel, d'avoir violé son frère jumeau quand il avait 13 ans.
Une bombe éditoriale. Dans La Familia grande, qui doit paraître jeudi 7 janvier aux éditions du Seuil, la juriste Camille Kouchner accuse son beau-père, le constitutionnaliste Olivier Duhamel, d'avoir violé son frère jumeau alors âgé de 13 ans, à la fin des années 1980. "Ce livre, témoigne Camille Kouchner à L'Obs, est né de cette nécessité : témoigner de l'inceste pour montrer que ça dure des années et que c'est très, très difficile de se défaire du silence".
Que sait-on des accusations portées par la fille de Bernard Kouchner contre l'ancien député européen ? Eléments de réponse, alors que le parquet de Paris annonce avoir ouvert, mardi, "une enquête des chefs de viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans et viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité".
De quoi Camille Kouchner accuse-t-elle Olivier Duhamel ?
Nés en 1975, Camille Kouchner et son frère jumeau, dont le prénom n'est pas révélé, sont nés d'une première union entre l'ex-ministre de la Santé Bernard Kouchner et la professeure de droit Evelyne Pisier (morte en 2017). Celle-ci avait ensuite épousé le politologue Olivier Duhamel.
"C'est évidemment mon frère la victime directe de cette histoire. Il avait 13 ans quand les faits ont commencé, 14 quand il me les a racontés", déclare Camille Kouchner à L'Obs. En 1988, explique Le Monde, Evelyne Pisier sombre dans la dépression et dans l'alcool, après le suicide de sa mère. C'est pendant cette année-là qu'Olivier Duhamel commence à violer son beau-fils, selon Camille Kouchner. A la fin des années 1980, explique-t-elle, son frère lui confie ce que leur beau-père, Olivier Duhamel, a fait. "Il est venu dans mon lit et il m'a dit : 'Je vais te montrer. Tout le monde fait ça. Il m'a caressé et puis, tu sais…'" Il la supplie de garder le secret, en disant : "J'ai trop honte". Sur l'injonction de son frère, l'adolescente se tait, même si les faits se répètent, selon elle, pendant plusieurs années.
Deux décennies plus tard, en 2008, toujours selon Camille Kouchner, son frère raconte à sa mère, Evelyne Pisier, les viols infligés par son beau-père. Celle-ci s'enferme dans le déni et soutient son mari. "Il regrette, tu sais. Et puis, il n'y a pas eu sodomie. Des fellations, c'est quand même très différent", assure-t-elle (la loi inclut désormais les fellations forcées dans les viols).
Pourquoi cette histoire n'éclate-t-elle qu'aujourd'hui ?
Maître de conférence en droit privé, Camille Kouchner publie son livre en sachant que les événements décrits, qui datent de plus de trente ans, sont désormais prescrits. Il n'y aura donc pas, en principe, de conséquence judiciaire. Elle explique aussi à L'Obs comme au Monde s'être tue pour des raisons familiales. Son frère, qui s'était confié à elle, lui a en effet réclamé longtemps le silence.
En 2008 ou 2009, lui-même lève le silence en parlant enfin de ce qu'il a subi à sa mère, l'universitaire et politologue Evelyne Pisier. Celle-ci, selon sa fille citée par L'Obs, se place dans le "déni" tout en reprochant à Camille de ne pas avoir parlé plus tôt. "Cette violence m'a enfermée dans le silence, encore plus. Dans l'inceste, c'est toujours la même histoire : on inverse les positions, les victimes deviennent coupables et les coupables des victimes", remarque Camille Kouchner.
La sœur d'Evelyne, l'actrice Marie-France Pisier, soutient ses neveux, raconte largement l'histoire, et se brouille avec sa sœur. Sa mort accidentelle en 2011 dans la piscine de sa maison de campagne à Saint-Cyr-sur-Mer, où l'hypothèse du suicide est évoquée, provoque l'ouverture d'une enquête. Les jumeaux Kouchner sont interrogés par la brigade des mineurs. L'affaire de l'inceste aurait pu éclater à ce moment-là, sans l'omerta qui régnait. Informé cette même année de ce que son fils a subi, selon Le Monde, Bernard Kouchner compte alors aller "péter la gueule" à Olivier Duhamel. Camille l'en dissuade. "Victor", comme elle le nomme, "ne veut pas en parler. Il faut avancer."
Ce n'est qu'après la mort d'Evelyne Pisier, en 2017, que "le livre commence à mûrir. Dix ans de psychanalyse et la lecture des travaux d’une psychiatre (Muriel Salmona) spécialisée dans les traumatismes des victimes font le reste", complète Le Monde.
Que répond Olivier Duhamel ?
Lorsque les enfants Kouchner ont parlé à leur mère, en 2008 ou 2009, Olivier Duhamel n'aurait nié les faits "que durant quarante-huit heures", selon Le Monde. Contacté par L'Obs, le politologue a répondu : "Je ne réagis pas et je n'ai rien à dire." Il a ajouté : "Non, je n'ai rien à dire sur ce qui, de toute façon, sera, je ne sais pas, n'importe quoi, déformé ou quoi". Il n'a pas davantage accepté de répondre au Monde et n'a pu être joint par l'AFP, selon l'agence.
Lundi 4 janvier, après la publication des articles du Monde et de L'Obs, il a annoncé sur Twitter mettre fin à l'ensemble de ses fonctions. "Etant l'objet d'attaques personnelles et désireux de préserver les institutions dans lesquelles je travaille, j'y mets fin à mes fonctions", a-t-il écrit, avant de supprimer son compte mardi matin.
Ancien député socialiste européen (de 1997 à 2004), Olivier Duhamel était notamment président de la Fondation nationale des sciences politiques. L'institution, qui a la responsabilité des grandes orientations stratégiques et de la gestion administrative et financière de Sciences Po, a pris acte de sa démission "pour raisons personnelles", selon un message interne consulté par l'AFP. Son directeur, Frédéric Mion s'est dit "sous le choc" à la lecture de ces révélations.
Olivier Duhamel présidait également Le Siècle, un club d'influence regroupant d'importants dirigeants politiques, économiques, médiatiques et culturels. La chaîne LCI a indiqué à l'AFP que le politologue ne serait plus sur son antenne. "Il quitte également la présentation de l'émission 'Mediapolis' sur Europe 1", a annoncé la radio sur son site internet. Le politologue coanimait cette émission politique depuis 2007.
Pourquoi l'affaire a-t-elle ce retentissement ?
A cause de la surface médiatique d'Olivier Duhamel, des postes prestigieux qu'il occupait, mais aussi à cause des personnalités et familles qui sont impliquées. Evelyne Pisier était "l'une des premières agrégées de droit public et de science politique", précise Le Monde, tandis que sa sœur Marie-France a joué pour François Truffaut, Jacques Rivette et André Téchiné. Dans les années 1980, gravitent autour du couple Pisier-Duhamel nombre de personnalités, de Luc Ferry à Elisabeth Guigou, cite par exemple Le Monde.
Aujourd'hui âgée de 45 ans, la victime est en outre le fils de l'ancien ministre de la Santé Bernard Kouchner. Ce dernier a réagi lundi aux révélations de L'Obs et du Monde par un communiqué saluant l'action de sa fille. "Un lourd secret qui pesait sur nous depuis trop longtemps a été heureusement levé (...). J'admire le courage de ma fille Camille".
La fratrie Kouchner semble également soudée autour de cette révélation. Dans Le Monde, le frère aîné Julien (né en 1970 de l'union Kouchner-Pisier) juge sa soeur "très courageuse". Quant au benjamin, Alexandre, fils de Bernard Kouchner et Christine Ockrent et né en 1986, il a soutenu sa sœur Camille dans un tweet.
J’aime mes frères et ma soeur.
— Alexandre Kouchner (@AlexKouchner) January 4, 2021
Je salue leur courage et soutiens leur choix de briser le silence.
Il faut toujours écouter, entendre et protéger celles et ceux qui ont souffert et souffrent.
Pour tout le reste, je vous renvoie au livre.
Que tous les bourreaux tremblent.
Autre protagoniste célèbre de cette affaire : la famille Pisier. La politologue Evelyne Pisier a été successivement l'épouse de Bernard Kouchner (de 1970 à 1984) et d'Olivier Duhamel (de 1987 à 2017). Dans les années 1980, le couple Pisier-Duhamel fréquente le tout-Paris de la gauche politique et culturelle alors au pouvoir.
Pourquoi le parquet ouvre-t-il une enquête ?
Les faits décrits remonte à plus de 30 ans et paraissent donc frappés de prescription. Le parquet de Paris a tout de même annoncé, mardi, avoir ouvert une enquête pour "viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité sur un mineur de 15 ans", après la publication d'articles mettant en cause Olivier Duhamel. Dans son communiqué, le parquet rappelle l'existence d'"une précédente procédure portant sur les faits ainsi dévoilés" et qui avait été classée sans suite en 2011. Ces nouvelles investigations sont confiées à la Brigade de protection des mineurs de la Direction régionale de la police judiciaire (DRPJ).
Cette enquête permettra de déterminer si les faits sont effectivement prescrits. Dans le cas où ils le seraient, elle sera classée sans suite. La justice peut aussi élargir son enquête à la recherche d'autres potentielles victimes, pour lesquelles les faits pourraient ne pas être prescrits.
Les enfants et adolescents victimes de violences, ainsi que les témoins de tels actes, peuvent contacter le 119, un numéro de téléphone national, gratuit et anonyme. Cette plateforme d'écoute et de conseil est ouverte 24h sur 24, tous les jours.
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