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Cyberharcèlement : trois questions sur "l'éloignement" des harceleurs des réseaux sociaux, que souhaite Emmanuel Macron

Dans une interview accordée au youtubeur HugoDécrypte, le chef de l'Etat a rappelé qu'un projet de loi en cours d'examen devrait permettre à la justice d'écarter des réseaux sociaux un auteur de cyberharcèlement déjà condamné. Une mesure dont l'efficacité réelle fait douter.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les logos de réseaux sociaux sur un smartphone, pris en photo le 15 août 2023. (JONATHAN RAA / NURPHOTO / AFP)

"Eloigner en ligne les cyberharceleurs" : cette promesse a été formulée par Emmanuel Macron, lundi 4 septembre, lors d'une interview diffusée sur la chaîne YouTube d'Hugo Travers, connu sous le nom de HugoDécrypte. Le chef de l'Etat souhaite ainsi que les auteurs de harcèlement en ligne soient privés d'accès aux réseaux sociaux pendant les six mois qui suivent une condamnation et "douze mois en cas de récidive". Il s'agit en réalité d'une mesure du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, dont l'examen, commencé en juillet au Sénat, doit s'achever à l'automne. Toutefois, le dispositif, tel qu'il a été présenté, fait craindre une efficacité limitée dans la lutte contre le cyberharcèlement.

1Qu'a déclaré Emmanuel Macron à HugoDécrypte ?

Interrogé sur le thème du harcèlement scolaire, Emmanuel Macron a d'abord tenu à rappeler qu'"il faut éloigner l'élève qui harcèle" et "renforcer" la lutte contre le cyberharcèlement. "On est en train de passer une loi – qui va être votée cet automne – qui va permettre, si je puis dire, d'éloigner en ligne les cyberharceleurs en les interdisant de réseaux pendant six mois ou, s'ils reproduisent [les faits], pendant douze mois", a développé le chef de l'Etat, qualifiant cette mesure de "très importante".

"La loi va mettre une procédure en place, permise grâce aux directives européennes, en particulier le DSA [Digital Services Act, entré en vigueur le 25 août, qui impose aux plus gros acteurs du numérique une batterie de nouvelles règles en matière d'abus de position dominante ou de régulation des contenus problématiques], qu'on transcrit dans la loi française", a détaillé Emmanuel Macron.

"Qui va décider de cet éloignement ? Est-ce que c'est la justice ? Est-ce que c'est le réseau social ?", l'a alors interrogé HugoDécrypte. "C'est une responsabilité des réseaux", a déclaré le président de la République, avant de présenter la mesure comme une peine complémentaire qui peut être prononcée par un magistrat après une condamnation. "Ce qu'on propose, sur la base d'une procédure graduée, c'est que le juge puisse tout à fait le faire", a ajouté Emmanuel Macron. Mais il a aussi suggéré que le dispositif pourrait exister "quand il y a des procédures de signalement et quand des autorités compétentes le signalent aux réseaux", sans pour autant préciser les modalités d'application.

2Est-ce une nouvelle annonce ?

"Je ne veux pas préempter ce que le législateur va faire", a souligné Emmanuel Macron lundi soir. De fait, avant que cette proposition n'entre en vigueur, il faut qu'elle soit adoptée. Car la mesure n'est pas nouvelle : il s'agit d'un dispositif du projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique, présenté en Conseil des ministres dès le 10 mai.

Le texte, qui ambitionne de réguler la vie numérique, de l'accès des mineurs à la pornographie au marché du stockage de données, en passant par les arnaques et le cyberharcèlement, a été adopté en première lecture par le Sénat le 5 juillet. Dans cette version, le projet de loi prévoit qu'un juge puisse prononcer à l'encontre des personnes condamnées pour haine en ligne, cyberharcèlement ou d'autres infractions graves (pédopornographie, proxénétisme...) une peine complémentaire de suspension ou "peine de bannissement" des réseaux sociaux pour six mois (voire un an en cas de récidive). Si un réseau social ne bloque pas le compte suspendu, il encourra une amende de 75 000 euros. Mais le texte peut encore être modifié, puisque les députés l'examineront à l'Assemblée en octobre.

3Cette mesure peut-elle être appliquée ?

"C'est une mesure qui va dans le bon sens, car elle envoie un message positif aux victimes, auxquelles on conseille souvent de quitter les réseaux sociaux, ce qui fait peser sur elles la responsabilité de l'agression. C'est à l'agresseur de quitter les réseaux sociaux, pas à elles", considère auprès de franceinfo l'avocate Rachel-Flore Pardo, cofondatrice du collectif Stop Fisha, créé pour lutter contre le cyberharcèlement. Selon elle, si le bannissement d'un cyberharceleur est prononcé uniquement dans le cadre d'une peine complémentaire, il ne concernera que peu d'entre eux. "La majorité des cyberharceleurs ne se retrouvent pas devant la justice, car le traitement judiciaire de ces affaires est défaillant", déplore Rachel-Flore Pardo.

Un constat corroboré par les résultats d'une enquête Ipsos, réalisée en novembre 2022 auprès de 216 victimes de cyberviolences et conduite à la demande de l'association Féministes contre le cyberharcèlement. "Seuls 3% des cas de 'violence en ligne' font l'objet de poursuites judiciaires", rapporte sur le site spécialisé dans les nouvelles technologies 01Net la directrice de l'association, Laure Salmona. Elle estime que l'éloignement des réseaux sociaux "fera peut-être peur aux gros comptes, à des personnes qui sont suivies par énormément de followers, et qui ont tendance à jeter en pâture un ou une internaute à leurs fans, comme ça s'est passé plusieurs fois dans des cas de cyberharcèlement en meute". Ceux qui sont moins connus pourront toujours créer un nouveau compte avec une autre identité, et ce d'autant plus que le dispositif suggéré par le gouvernement pour l'empêcher a fait l'objet de critiques de la part du Conseil d'Etat dès le mois de mai.

Aussi, pour une lutte plus efficace contre le cyberharcèlement, Laure Salmona appelle à ce que "les mentalités changent", à l'instar de Rachel-Flore Pardo. "Il faut construire une réponse pénale plus adaptée. Le bannissement peut être intéressant s'il est appliqué au stade du contrôle judiciaire, par exemple dans le cadre d'une mise en examen au cours de l'enquête, plaide, de son côté, l'avocate. Cela permettrait d'aider à mettre un terme à la commission de l'infraction, ce qui arrive trop tard aujourd'hui. D'autant plus qu'en pratique, au cours de leurs investigations, les enquêteurs ne s'intéressent souvent qu'à une partie des auteurs des messages constitutifs du harcèlement." Et, par ricochet, cela permettrait de protéger davantage les victimes.

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