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Le co-président de la commission sur l’inceste dénonce un "système d'impunité" qui "devient insupportable à la société"

L'inceste est "un problème social d'une extrême complexité", estime Édouard Durand, juge des enfants et membre du Conseil national de la protection de l'enfance.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Des femmes brandissent des banderoles lors d'une manifestation contre les violences et les agressions sexuelles à Ajaccio, en Corse, le 5 juillet 2020. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

Édouard Durand, juge des enfants au tribunal de Bobigny et membre du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), a dénoncé lundi 25 janvier sur franceinfo un "système d'impunité" des agresseurs sexuels contre les enfants qui "devient insupportable à la société". Le juge prend la tête de la commission sur l’inceste, avec Nathalie Mathieu, directrice de l'association Docteurs Bru, spécialisée dans l'accueil des enfants victimes d'inceste. Alors que les témoignages de victimes d'inceste et de violences sexuelles se multiplient sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron a publié samedi une vidéo sur Twitter dans laquelle il a annoncé une série de mesures pour mieux lutter contre les violences sexuelles commises contre des enfants.

franceinfo : Dans quel état d’esprit prenez-vous la tête de cette commission ?

Édouard DurandNous prenons la charge de cette mission avec détermination et sérénité. C’est un problème social d'une extrême complexité. Ce qui compte maintenant, c'est de pouvoir se mettre au travail et de répondre à la fois à l'attente des victimes et à l'attente de la société dans son ensemble. Le président de la République l'a dit de manière très claire, cette commission a un objectif transversal qui va guider et orienter tous ces travaux, qui est de recueillir la parole des victimes de violences sexuelles et particulièrement d'inceste et orienter cette parole pour qu'elle puisse déterminer sur le court et le long terme les politiques publiques de protection.

La prescription est de 30 ans à partir de la majorité de la victime d’inceste. Faut-il aller plus loin ?

On a d'abord dit que l'on ne pourrait jamais toucher à la prescription. Et puis, nous nous sommes rendu compte, il y a quelques années déjà, qu'il était possible d'adapter le droit de la prescription en respectant nos principes fondamentaux et notre idéal démocratique, et aussi, de mieux prendre en compte la souffrance des victimes et l'exigence d’une réparation judiciaire. Le garde des Sceaux et le secrétaire d’État à la protection de l’enfance vont mener une consultation à laquelle la commission sera associée, qu'elle accompagnera, pour réfléchir à l'économie générale de la prescription. S’agissant de la prescription, il y a deux choses. La première, c'est l’échelle des valeurs. À quelle échelle de valeurs dans les transgressions graves répond la prescription. La seconde, c’est ce qu’on appelle la paix sociale. Et on dit : il faut une prescription parce qu'à un moment donné, il faut garantir une paix sociale. Le sens premier de l'action de la justice est justement de réparer la paix sociale. Un procès ne nuit pas à la paix sociale. Au contraire, il l'organise.

Il y a 6,7 millions de victimes potentielles, selon une enquête Ifop de l'association "Face à l'inceste", et pourtant, on compte seulement 7 000 plaintes. Comment analysez-vous ces chiffres ?

C'est ce que l'on peut appeler un système d'impunité entre le nombre écrasant, massif et effarant des passages à l’acte dans le cadre de l'inceste et dans le cadre des violences sexuelles faites aux enfants de manière plus générale, la sanction judiciaire et la réparation qui est accordée aux victimes. Il y a un écart qui, aujourd'hui, devient insupportable à la société dans son ensemble et d'abord aux victimes et aux personnes qui les accompagnent. C'est pourquoi la Commission va s'atteler à cette tâche pour aussi faire des recommandations aux pouvoirs publics en termes de protection dans le cadre de ce que nous appelons une culture de la protection.

Comment recueillir la parole des enfants ?

Il faut des médecins scolaires, des institutrices, des instituteurs, il faut des assistantes sociales, des psychologues scolaires. Il faut que ces professionnels soient présents, il faut qu'ils soient formés et il faut qu'ils disposent d'outils opérationnels pour susciter la parole des enfants. On dit toujours aux victimes il faut parler. Ce dont nous prenons conscience aujourd'hui, c’est que pour réduire cet écart entre le nombre important de passage à l'acte et le très faible nombre de plaintes et de réponses pénales, c'est qu'il faut d'abord que ce soit la société, par ces professionnels formés, qui aille susciter et repérer la parole de l’enfant.

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