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L'Argentine va-t-elle légaliser l'avortement ? On vous explique les enjeux du débat qui agite le pays

Ce mercredi, les sénateurs argentins s'apprêtent à dire oui ou non à la dépénalisation de l'avortement. La société argentine est profondément divisée sur la question.

Article rédigé par franceinfo
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Des femmes demandant la légalisation de l'avortement manifestent devant le Congrès national à Buenos Aires (Argentine), le 1er août 2018.  (EITAN ABRAMOVICH / AFP)

Trois mois après l'Irlande, un autre pays catholique va-t-il franchir le pas ? Mercredi 8 août, la dépénalisation de l'avortement est suspendue au vote des sénateurs argentins. Le 14 juin, le texte avait été approuvé à 129 voix contre 125, après 30 heures de débats à la Chambre des députés. Les militants pro-IVG avaient ainsi obtenu une première victoire, donnant lieu à des scènes de liesse dans les rues de Buenos Aires, la capitale. 

L'issue du scrutin au Sénat s'annonce à nouveau très serrée et les dernières estimations penchent plutôt vers un rejet du projet de loi. Franceinfo vous résume les enjeux de ce vote historique, dans un pays en ébullition où l'Eglise a fait pression contre le texte.

Que prévoit le projet de loi ? 

Le texte permettrait aux Argentines d'avorter jusqu'à la quatorzième semaine de grossesse, sur simple demande. Il autorise également les praticiens à être objecteurs de conscience, mais interdit aux établissements de santé de refuser de pratiquer des IVG. "Une initiative visant à raccourcir le délai de l’avortement avait été présentée devant le Sénat, mais elle a été rejetée" le 1er août, précise Le Monde

Que dit la loi actuelle sur l'avortement ? 

Depuis 1921, le Code pénal argentin interdit l'avortement sauf en cas de danger pour la santé de la mère ou de viol sur une femme handicapée mentale ou démente. Il prévoit des peines allant de un à quatre ans de prison pour les femmes qui décident de mettre un terme à leur grossesse, rappelle El País (en espagnol). Des estimations non officielles évaluent à 500 000 le nombre de femmes qui avortent chaque année dans le pays malgré cette interdiction. 

Une gynécologue qui a travaillé de 2000 à 2004 à l'hôpital public de Mendoza, une ville de l'ouest de l'Argentine, témoigne dans El País : "J'ai vu des femmes mourir. Parfois déjà mères de plusieurs enfants, elles ont passé leurs dernières minutes conscientes avec moi et une policière leur demandant qui avait pratiqué l'avortement parce que c'était un crime." Selon le quotidien argentin Clarín, "les femmes les plus pauvres constituent l'immense majorité des plus de 100 femmes qui perdent la vie chaque année" en pratiquant un avortement clandestin. 

Pourquoi l'adoption de la loi serait une révolution pour le pays ? 

L'approbation du texte par la Chambre des députés constitue déjà une victoire historique, arrachée in extremis, dans un pays sous forte influence de l'Eglise. "L'avortement reste l'un des grands tabous d'Amérique latine", constate El País. La plupart des pays du continent sont soumis à une législation très restrictive. Cinq pays interdisent totalement l'IVG : Haïti, le Honduras, le Nicaragua, la République dominicaine et le Salvador.

Seuls trois pays latino-américains autorisent l'IVG sans condition : Cuba (depuis 1965), le Guyana (depuis 2006) et l'Uruguay (depuis 2012). Dans les autres pays du continent, l'avortement n'est autorisé que sous des conditions strictes : si la vie de la mère est en danger, et, dans certains d'entre eux, en cas de viol et/ou de malformation du fœtus. Si la loi est approuvée par les sénateurs, l'Argentine sera donc le quatrième pays sud-américain à légaliser l'avortement. 

Comment s'expriment les pro-IVG ? 

Les partisans et partisanes du "oui" s'expriment massivement sur les réseaux sociaux. Dimanche 5 août, des milliers de témoignages ont ainsi afflué sur Twitter via le hashtag #Yoaborté ("j'ai avorté") utilisé près de 80 000 fois, selon Libération. Des femmes de tous âges racontaient comment elles avaient avorté clandestinement, parfois au péril de leur vie. Mercredi 8 août, le hashtag #Elmundogritaabortolegal ("le monde crie avortement légal") était tweeté plus de 72 000 fois.  

Soutenues par les associations féministes, les Argentines ont donné un élan déterminant à la revendication du droit à l'avortement. Arborant fièrement leur foulard vert, symbole de leur mobilisation, elles ont pris part à de nombreuses manifestations. A Buenos Aires, le 14 juin, elles étaient plusieurs centaines de milliers à laisser éclater leur joie à l'annonce du vote des députés.

"C'est une conquête du mouvement des femmes résultant de la construction de plus de trente ans de féminisme", affirme le quotidien de Buenos Aires Pàgina 12 (en espagnol). 

Que répondent les anti-avortement ? 

Très actif, le camp catholique a tenté de mobiliser les opposants à l'IVG. La Conférence épiscopale argentine a publié un texte pour appeler à participer aux manifestations et "défendre le droit à la vie". Samedi 4 août, des centaines de milliers d'opposants à l'avortement, dont de nombreux évangéliques, ont manifesté dans les rues de Buenos Aires en scandant leur slogan : "Sauvons les deux vies." Depuis le Vatican, le pape François, ancien archevêque de Buenos Aires, s'est prononcé à deux reprises contre le projet de loi. Le très influent journal conservateur La Nación écrit de son côté : "Eliminer des vies n'est pas une méthode pour lutter contre la pauvreté."

Certains membres du gouvernement se montrent eux aussi hostiles à la légalisation de l'avortement. Ainsi, Gabriela Michetti, vice-présidente du pays et présidente du Sénat, est l'une des principales figures des anti-IVG. 

Aucun être humain ne peut décider de la vie d'un autre.

Gabriela Michetti, vice-présidente argentine

La Nación

Opposée à tout type d'avortement, même en cas de viol, elle propose que les enfants non désirés soient confiés à l'adoption. En cas d'égalité au Sénat entre les pro et anti-avortement, c'est à Gabriela Michetti que le dernier mot reviendrait, en tant que présidente de l’institution. 

Vers quel camp penche le Sénat ? 

Réputés plus conservateurs que les députés, les sénateurs pourraient décider en majorité de s'opposer au projet de loi. Selon plusieurs médias argentins, 37 sénateurs sont contre, 31 pour. Seuls quatre sénateurs n’ont pas fait part de leur intention. 

Contrairement au système français, les députés n'ont pas le dernier mot sur le plan législatif : les deux chambres du Parlement doivent être d'accord pour qu'une réforme soit adoptée. Si les sénateurs approuvent le texte, l'avortement deviendra légal et gratuit. Si le non l'emporte, il faudra sans doute attendre 2020 avant que la question ne puisse être réexaminée par le Parlement. La loi fixe un délai d'un an après le rejet mais, en août 2019, à deux mois de l'élection présidentielle, il semble peu probable que les partis politiques se lancent à nouveau dans ce débat explosif. 

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