: Reportage Formation à l'IVG : "C'est important de dire qu'on fait ce travail de l'ombre avec conviction", témoignent des médecins
Alors que l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution sera de nouveau débattue par les députés ce mois-ci, franceinfo a rencontré des praticiens qui choisissent de se spécialiser dans cet acte médical. Des soignants engagés parfois confrontés aux remarques culpabilisantes de leur entourage.
"Qui y-a-t-il de positif, pour vous, à pratiquer une interruption volontaire de grossesse ?", lance Sophie Gaudu, gynécologue obstétricienne, à ses élèves du diplôme universitaire de régulation des naissances. "Le sentiment d'être utile", "la fierté", "ça nous rend heureux", répondent à l'unisson la quinzaine de médecins généralistes et sage-femmes. Déjà en exercice ou étudiants en fin de cursus, ils suivent cette formation de l'Université Paris Cité afin d'améliorer leurs connaissances sur la contraception et l'avortement.
Alors que les députés Renaissance et Nupes ont chacun déposé ces derniers jours une nouvelle proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l'IVG, ces soignants décrivent cet acte médical comme un engagement.
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"J'ai l'impression d'être là pour aider des femmes ou des couples à un moment crucial de leur vie, témoigne Théo Cadieu, qui vient de terminer son internat de médecine générale dont six mois de stage dans un centre d'IVG à Pontivy (Morbihan). Leur vie peut prendre un autre chemin si elles ne font pas l'IVG ou si elles la font", même s'il y a, nuance-t-il, des "situations parfois difficiles". Louise Guidel, en dernier semestre d'internat, parle elle aussi d'une révélation en centre de planification.
"Ça a résonné en moi avec mes valeurs féministes, de pouvoir s'investir dans l'autodétermination et le choix de son corps chez toutes les femmes".
Louise Guidel, interne en médecine généraleà franceinfo
"Dans le cursus standard des médecins généralistes, l’IVG médicamenteuse (qui représente 76% des avortements, selon la Drees) n'est pas enseignée de façon détaillée, mais elle est enseignée", explique Sophie Gaudu, présidente du Revho, un réseau qui facilite l'accès à l'avortement en Île-de-France. L'IVG instrumentale, en revanche, n'est pas du tout abordée, "sauf à ce qu'ils aillent dans un service spécifique d'un centre IVG en stage et qu'ils apprennent le geste".
Les généralistes représentent pourtant plus d'un tiers des soignants pratiquant des avortements en ville. Et à l'hôpital, où ont lieu la très grande majorité des IVG, ces interventions sont "principalement" pratiquées par des généralistes, affirme la gynécologue.
Des cours de théologie ou de sociologie
Avec le diplôme universitaire qu'elle co-coordonne depuis 2005, Sophie Gaudu, qui revendique un enseignement "féministe", propose un perfectionnement des techniques médicales mais aussi des cours théoriques afin de "comprendre la problématique des patientes qui s'adressent aux soignants". En un an, les élèves abordent l'avortement sous l'angle culturel, religieux et social. "À chaque fois, ce sont des spécialistes, des théologiens pour les religions ou des théologiennes, des sociologues, des démographes", détaille la formatrice.
Après neuf ans d'études, Louise Guidel est heureuse de s'ouvrir à "des choses un peu moins médicales, un peu plus sociologiques, philosophiques". "On a eu des cours sur les avortements en Chine, en Inde, s'enthousiasme-t-elle. Savoir ce qui est fait aussi à l'international, les débats que ça peut amener, c'est intéressant."
Cette formation, dupliquée dans d'autres académies comme Bordeaux ou Grenoble, met aussi l'accent sur la question de "la posture" du médecin face à une patiente qui souhaite avorter. Sophie Gaudu insiste sur le choix des mots :"Essayez de ne pas utiliser des impératifs, de ne pas utiliser de négation de façon à ne pas avoir une attitude culpabilisante et d'être toujours dans une position d'ouverture."
"Quand une femme vient pour une IVG, la réponse, c'est 'vous êtes au bon endroit, c'est mon métier'."
Sophie Gaudu, gynécologue obstétricienne et formatriceà franceinfo
La gynécologue veut battre en brèche certaines mauvaises habitudes et idées reçues. Comme cette question souvent posée en début de consultation "sans volonté de nuire" mais qui s'avère culpabilisante : "'Qu'aviez-vous comme contraception ?', cite la gynécologue. Ce qui est souvent entendu par 'Qu'avez vous fait ? Qu'avez vous fait comme erreur avec votre contraception ?'"
Un malaise "dans certains dîners familiaux"
Ce combat contre les idées reçues, les étudiants médecins y sont d'autant sensibles qu'ils disent souffrir eux-mêmes du regard des autres. Presque tous déplorent des "remarques" et le "jugement" des proches ou des collègues "qui ne sont pas forcément pour" l'IVG. "C'est important d'en parler, de dire qu'on le fait avec conviction", estime Louise, ça "dé-tabou-ise un peu le truc". Mais ce n'est pas toujours facile à assumer, ajoute une autre élève médecin : "À la fois, on est fiers, on a envie d'en parler, de le dire. À la fois, il y a certains dîners familiaux, on se garde bien de s'étaler et on n'a pas envie de vexer les gens."
"J'ai l'impression, non pas que ce soit un tabou, mais qu'il y a beaucoup d'étudiants en médecine ou de médecins qui ne sont pas très à l'aise avec cette notion d'interruption de grossesse."
Théo Cadieu, médecin généralisteà franceinfo
"Un travail de l'ombre", résume le médecin breton, porté par une minorité de soignants. Selon un rapport parlementaire publié en 2020, les IVG réalisées en ville en 2018 ont été pratiquées par 1 973 praticiens, soit 2,9% des médecins (généralistes et gynécologues) et 3,5% des sage-femmes. Mais Sophie Gaudu, l'assure "la relève est assurée", sa formation se fait "à guichet fermé" chaque année. Reste, selon elle, à créer davantage de postes dédiés à l'IVG dans les hôpitaux et à revaloriser cet acte médical qu'elle juge encore "mal payé".
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