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"Je ne vois pas comment ils pourraient accepter" : entre des jeunes qui évitent le couple traditionnel et des parents plus conformistes, un dialogue difficile

Dire à son père que l'on multiplie les rencontres sur Tinder ou confier à sa mère que l'on vit une histoire d'amour à trois peut susciter gêne et incompréhension. Plusieurs jeunes témoignent d'un mode de vie tabou ou, au contraire, accepté par leurs parents.
Article rédigé par Lucie Beaugé
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Face à des parents installés dans un schéma de couple conventionnel, des jeunes adultes hésitent à révéler qu'ils explorent d'autres formes de relations affectives. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Anne-Laure ne veut pas d'enfants et les relations monogames ne sont "pas franchement [sa] tasse de thé". "Je n'ai pas envie de subir un quotidien", résume-t-elle. Se prendre la tête sur qui fait la vaisselle ? Organiser des vacances à deux ? Non merci, "j'ai déjà mon chat comme contrainte". Mais dans sa famille, la trentenaire pense être "vue comme le canard boiteux qui changera d'avis quand elle rencontrera la bonne personne". Elle a vécu en couple exclusif durant près de sept ans et ses parents n'ont pas compris la rupture. "Ma mère a voulu me faire regretter en me disant que c'était un homme bien", relate Anne-Laure. Bien que divorcés, ils ne partagent pas sa vision de la vie. Pour eux, "seul, tu n'es rien". Pour elle, seul, on peut être bien.

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De la relation libre au sexfriend, en passant par le situationship (la relation qui n'entre dans aucune case), les jeunes ne s'épanouissent plus forcément dans le cadre du couple traditionnel. Selon l'Insee, en 2019 en France, 25% des femmes et 14% des hommes de 20 à 24 ans vivaient en couple, contre 54% des femmes et 32% des hommes de la même tranche d'âge en 1975. Les relations plurielles ont bien entendu toujours existé, mais elles sont aujourd'hui envisagées très tôt comme des voies d'épanouissement. "Chez les personnes plus jeunes, la question de la non-exclusivité se pose souvent plus vite à la suite d'une rencontre, ce qui est généralement moins un habitus [comportement acquis dans un groupe social] pour les autres générations", remarque Romy Siegrist, psychologue clinicienne et sexologue installée en Suisse. Mais des modes de relations affectives atypiques, comme le polyamour, peuvent s'avérer difficiles à accepter pour des parents dont le modèle de couple est plus conventionnel.

"Mes plans d'un soir les inquièteraient"

Lucie, 26 ans, est célibataire depuis plus de deux ans. Sa vie affective et amoureuse est rythmée par les "plans d'un soir" et parfois des situationships. Un sujet qu'elle n'a jamais abordé ouvertement avec ses parents. "Je ne vois pas comment ils pourraient accepter les plans d'un soir, surtout parce que ça les inquiéterait. Ils savent que j'ai des rencards, mais je pense qu'ils se disent que 'j'essaye' de creuser, alors que ça n'est pas toujours le cas", décrit-elle. "Ils se sont rencontrés dans la vraie vie et leurs potes aussi. Je pense que pour eux c'est un peu la solution de la dernière chance que d'aller sur des applis", relève Lucie, qui ressent par ailleurs une "sorte de pression sociale" pour avoir des enfants.

"Ma mère m'a toujours dit 'fais ce que tu veux dans la vie'. Elle a eu des enfants tard. Pourtant, il lui arrive de me faire des sous-entendus sur le sujet, en me rappelant que j'ai bientôt 30 ans."

Lucie, 26 ans

à franceinfo

Louis*, 22 ans, n'est pas contre l'idée de s'épanouir un jour dans un couple exclusif. Mais il explore pour l'heure des relations non sérieuses, ce qui lui permet en même temps de se consacrer à d'autres objectifs. "C'est une représentation du bonheur qui provoque un gros point de désaccord avec mes parents, car ils considèrent que le couple et le fait d'avoir une famille sont une source ultime d'épanouissement. Pour moi, il y a d'autres choses, comme le travail", détaille celui qui n'envisage pas d'avoir des enfants un jour. Un choix difficile à comprendre pour sa famille, qui lui glisse régulièrement qu'il pourra changer d'avis "dans dix ans". "Sur la non-parentalité, l'acceptation des parents peut être plus difficile, car on vient toucher à une projection très ancrée chez eux", remarque de son côté la psychologue.

De manière générale, c'est aussi "le regard que peuvent poser les autres sur mon enfant" qui inquiète les parents. Que pensera le voisin ou la grand-tante s'ils apprennent que ma fille entretient plusieurs relations à la fois ? "Ce n'est pas parce que cela apparaît comme complexe que c'est forcément un mauvais choix. Les relations plurielles sont fréquemment représentées comme non fonctionnelles, mais c'est assez loin de ce que vivent les personnes, ou pas plus le cas que dans des relations monogames", rappelle Romy Siegrist.

"Je laisse ma fille venir m'en parler"

Malgré un décalage, d'autres jeunes et leurs parents contactés par franceinfo ont réussi à briser la glace. "J'ai une relation ouverte avec mes parents, on peut parler sexe et couple sans tabou, même si on n'est pas toujours d'accord", témoigne Lise*, 28 ans. Son père, André*, assure ne porter "aucun jugement" sur la vie affective de sa fille, qui se plaît actuellement dans des relations non sérieuses ou non exclusives. Son idéal de l'amour est pourtant très romantique et centré sur une seule personne. "J'ai toujours été fleur bleue. Lise n'a pas du tout suivi ce modèle. A 15 ans, elle sortait avec des garçons et les trouvait déjà collants au bout d'une semaine", s'amuse le sexagénaire. La jeune femme, qui se considère comme "féministe", suggère régulièrement la lecture de l'autrice Mona Chollet à son père.

"Lise est très branchée #MeToo. Le modèle du couple tel que j'ai pu le pratiquer, c'est pour elle un modèle de l'expression patriarcale."

André*, 60 ans

à franceinfo

Ce père de famille estime d'ailleurs qu'il n'est "pas censé tout savoir" sur la vie affective de sa fille. "En général, je la laisse venir m'en parler." Dernièrement, Lise l'a informé qu'elle envisageait la coparentalité (lorsque deux adultes ou plus partagent la responsabilité d'élever un enfant en dehors du couple traditionnel) comme une possibilité. "Encore une fois, je suis prêt à tout accepter. Par contre, de mon point de vue, on ne peut pas échapper à certains enjeux : en élevant un enfant avec des amis, il y a aussi le risque de confronter des modèles pédagogiques différents", estime André. Alors que le divorce de ses parents a été conflictuel, Lise remarque que son père est "inquiet" de savoir si elle n'a pas construit sa vie affective par opposition, ce qu'elle rejette fermement. Selon Romy Siegrist, ce scénario existe parfois, même inconsciemment.

"Il faut faire le tri dans ce qu'on a reçu du modèle familial, ne pas toujours être en réaction, mais plutôt en action."

Romy Siegrist, psychologue clinicienne et sexologue

à franceinfo

Paul*, 27 ans, assure saisir "les moments tels qu'ils viennent". "On se voit à trois avec deux filles, je ne sais pas si on peut parler de 'trouple', l'expression n'est pas très belle. Ce qui est sûr, c'est qu'on a beaucoup d'affection les uns pour les autres", relève le jeune homme, qui affirme qu'il n'a "ni envie de se détacher de la norme, ni envie de lui correspondre". Sa mère a appris la nouvelle par plusieurs indiscrétions. "Il y a notamment eu des taquineries à table, lors d'un anniversaire, avec ses cousins qui étaient au courant. L'information a transpiré dans la bonne humeur. Je l'ai senti un peu gêné, mais il n'a pas nié", se souvient Gabrielle*, 58 ans. Elle perçoit "une forme de liberté", mais s'inquiète parfois du fait que cette relation n'a pas vocation à être durable.

Parce que Paul est un garçon, Gabrielle admet toutefois avoir plus de facilité à accepter la situation. "J'ai conscience que cela n'est peut-être pas rationnel et ancré dans un schéma un peu archaïque. Mais si ma fille était concernée, j'aurais certainement plus d'inquiétudes, liées à la peur qu'elle souffre davantage ou qu'elle soit utilisée", explique-t-elle. Pour Romy Siegrist, cette différenciation illustre le "double standard" selon lequel "les hommes qui ont beaucoup de partenaires sont bien plus valorisés" que les femmes qui en font autant.

"Avec mes amis, tout est hyper clair"

Face à des parents que l'on imagine fermés d'esprit sur ces questions, mais à qui l'on aimerait en parler, Romy Siegrist conseille par exemple de "partager une émission sur le sujet", un documentaire, une série ou tout autre support extérieur, pour mieux évaluer leur positionnement. "Parler de soi dans un deuxième temps permet de mieux préparer la réception de l'information. C'est aussi un poids en moins pour les personnes engagées dans des relations plurielles, qui se fatigueront moins à tout expliquer", suggère la psychologue, qui ajoute que plusieurs questions doivent se poser avant d'engager cette conversation.

"Quelles sont mes intentions derrière : ai-je besoin d'être écouté, compris, conseillé sur mon orientation relationnelle ? Ou simplement de ne plus avoir à mentir ? Les coming out n'ont pas à être faits tout le temps et auprès de tout le monde", insiste-t-elle. Pour certains témoins, révéler à un parent des relations affectives atypiques ouvrirait d'ailleurs la porte à d'autres confidences, sur leur orientation sexuelle, auxquelles ils ne sont pas tous prêts. "Mes parents ne sont pas au courant de ma bisexualité. Je pense qu'ils l'accepteraient moins que le reste", suppose Louis. A contrario, avec ses amis, "tout est hyper clair". Deux mondes qui ne se rencontrent pas, mais une situation qui lui convient pour l'instant : "Le plus dur est de ne pas faire de gaffe, mais je suis heureux comme ça."

*Les prénoms ont été changés à la demande des interlocuteurs.

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