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Affaire Estelle Mouzin : "L'objectif de Michel Fourniret, c'est d'avoir la main, de dominer", prévient Jean-Marc Bloch, ancien patron du SRPJ de Versailles

Alors que le tueur en série a été mis en examen mercredi dans le cadre de l'enquête sur la disparition de la fillette en 2003 à Guermantes, le policier à la retraite, interrogé par franceinfo, invite à la prudence.

Article rédigé par franceinfo - Recueilli par Jean-Loup Adénor
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Michel Fourniret photographié le 6 mai 2008, lors de son arrivée au tribunal de Charleville-Mézières (Ardennes). (FRANCOIS NASCIMBENI / AFP)

C'est une affaire impossible à oublier pour cet ancien grand flic. Jean-Marc Bloch, ancien commissaire divisionnaire du Service régional de police judiciaire (SRPJ) de Versailles (Yvelines), a dirigé les premiers mois de l'enquête sur la disparition d'Estelle Mouzin. Pour retrouver la fillette, disparue le 9 janvier 2003 à Guermantes (Seine-et-Marne), il ira même jusqu'à prendre des mesures inédites en la matière, comme la perquisition des 350 maisons de la commune. En vain. Alors que Michel Fourniret a été mis en examen dans le cadre de l'enquête sur cette disparition, mercredi 27 novembre, Jean-Marc Bloch apporte son éclairage sur la personnalité de "l'Ogre des Ardennes" et sur la vraisemblance des propos de son ex-femme Monique Olivier, qui le relie à la disparition de l'enfant.

Franceinfo : Lorsque Michel Fourniret est arrêté pour la première fois en juin 2003, les enquêteurs du SRPJ de Versailles le relient-ils à l'affaire Mouzin ? 

Jean-Marc Bloch : Bien évidemment, lorsque la police judiciaire de Versailles apprend l'arrestation de Michel Fourniret, elle s'y intéresse tout de suite, va le rencontrer et l'entendre. C'est un commandant de police qui y va et qui conclut, à ce moment-là, qu'il n'est pas lié à la disparition. Michel Fourniret évoque un coup de téléphone, passé depuis son domicile à son fils pour lui souhaiter son anniversaire. Les analyses techniques sur la téléphonie du suspect confirment cet élément. Lorsqu'il est interrogé, son fils aîné déclare ne pas se souvenir de ce coup de fil. Mais la liaison téléphonique, elle, a bien existé.

Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'à ce moment-là, aucun élément ne relie la disparition d'Estelle Mouzin à Michel Fourniret. Dans les recherches qui sont faites dans sa camionnette, il n'y a rien, aucun élément, ni pileux, ni biologique. Encore à ce jour, il n'y a que le témoignage de Monique Olivier qui relie Michel Fourniret à la fillette. 

Les gendarmes de la section de recherches de Dijon (Côte-d'Or), en charge de l'affaire depuis le dessaisissement du SRPJ, disent pourtant avoir reçu des témoignages situant Michel Fourniret à Guermantes ce jour-là...

C'est juste. Mais il faut faire attention : ce sont des témoignages récents, situant Michel Fourniret à Guermantes il y a plus de seize ans. Le visage du tueur en série a été diffusé sur toutes les chaînes et il faut dire que son physique est plutôt banal... Pour moi, il s'agit d'éléments très ténus.

Il faut rappeler que dans cette affaire, personne n'a rien vu ni entendu...

Le soir de sa disparition, Estelle Mouzin rentre de son école de Conches jusqu'à la boulangerie de Guermantes avec une copine. Le trajet dure à peu près un quart d'heure. Une fois arrivées à la boulangerie, les fillettes se séparent. Estelle doit encore marcher un quart d'heure pour arriver chez elle. Quand on reconstitue ce chemin, on s'aperçoit qu'il passe effectivement par un endroit où il n'y a aucune habitation, un endroit sombre et désert le soir.

Ce 9 janvier 2003, à partir de 18 heures, il fait nuit, la neige est tombée, le village est constitué de maisons aux volets fermés. Il n'y a pas de vie à cette heure-là et à cette période de l'année. Pas de passant, ni de promeneur, ni de commerce à l’endroit où se serait fait enlever l'enfant.

Pourquoi Monique Olivier a-t-elle ressenti le besoin de parler maintenant, selon vous ?

Monique Olivier et Michel Fourniret sont tous les deux extrêmement manipulateurs et pervers. Il faut savoir qu'ils ont divorcé, alors on peut imaginer qu'elle en a eu assez de sa complicité avec son ex-mari et a décidé de se venger de quelque chose. Mais Monique Olivier se venge-t-elle réellement de lui ? Au point où il en est, Michel Fourniret n'a plus rien à perdre et il sait qu'il va finir sa vie en prison. Il doit s'y ennuyer grandement. Son objectif a toujours été d'avoir la main, de dominer. Les déclarations de son ancienne femme le remettent sur le devant de la scène et lui permettent, qu'elles soient vraies ou non, de jouer de nouveau avec les enquêteurs. Il va dire certaines choses, distiller lentement des éléments, tenter de faire souffrir les familles... Finalement, Monique Olivier lui fait plutôt un cadeau.

On est dans un système où c'est la souris, les deux criminels, qui joue avec le chat, les enquêteurs. La souris essaie d'amener le chat là où elle veut bien l'amener. Monique Olivier refile ensuite le chat à Fourniret, qui doit continuer à jouer comme ça.

Quels éléments pourraient aller dans le sens d'une culpabilité de Michel Fourniret ? 

Si ce que dit Monique Olivier est vrai, c'est très intéressant. Et que déclare-t-elle ? Que Michel Fourniret l'a appelée ce matin-là vers 8 heures pour lui dire de passer un coup de fil le soir à son fils. "Ça peut me servir d'alibi, je pars à la chasse", lui aurait-il dit [selon des propos de Monique Olivier rapportés par une ancienne codétenue à France 3]. Admettons que ce soit vrai, ça veut dire qu'il n’était pas avec elle. Ça veut dire aussi qu'il avait repéré quelque chose. Que le matin, il savait que le soir il allait probablement tenter quelque chose. Il aurait repéré une cible… Quelle cible ? A 8 heures du matin ? Des enfants qui vont à l’école ?

Ce n'est qu'une hypothèse, mais il y a un autre élément intéressant qui, malheureusement, ne constitue pas une preuve. Depuis 2003 et l'arrestation de Michel Fourniret, on n'a plus, à ma connaissance, été confronté à ce type de disparition d'enfant avec ce mode opératoire-là. Des enlèvements d'enfants, il y en a eu, bien sûr. Des enlèvements familiaux notamment, ou de terribles faits divers comme le meurtre de Maëlys ou la disparition de Lucas Tronche, un adolescent de 15 ans. Mais le mode opératoire est très différent, rien à voir avec la disparition d'Estelle Mouzin ou de Marion Wagon [en 1996 à Agen]. Bien sûr, cette analyse ne prouve rien.

Que faut-il attendre des auditions de Michel Fourniret par la juge d'instruction ? 

A mon sens, Monique Olivier ne sait pas ce qu'il s'est passé. S'il est coupable, il n'y a que Michel Fourniret qui le sache. Dans un cadre classique, il n'y a que la victime et l'auteur qui connaissent la vérité. La victime parle par les analyses médico-légales et l'auteur parle lorsqu'il avoue. Là, en l'occurrence, il n'y a que Michel Fourniret qui peut nous conduire à l'endroit où est enterrée Estelle Mouzin s'il est l'auteur des faits. A l'époque, déjà, il n'y avait aucun élément. Seize ans plus tard, il est certain qu'il n'y a plus aucun autre élément à exploiter que les aveux.

Pour interroger des suspects comme Michel Fourniret, il faut rentrer dans leur jeu. Ne pas faire de distanciation et ne surtout pas le mépriser. En fait, il faut être un peu pervers aussi et dire qu'on le comprend. C'est assez compliqué, de ne pas être dans la connivence, mais de réussir à le flatter. Il faut parler le "Fourniret". C'est une méthode difficile, éprouvante, épuisante même.

Michel Fourniret dira très probablement des choses fausses, pour jouer avec la justice. S'il a réellement des informations sur ce qui est arrivé à Estelle Mouzin, il les donnera élément par élément, à son rythme. Même s'il souffre aujourd'hui de troubles qui pourraient évoquer la maladie d'Alzheimer, il reste un homme intelligent, avec une vraie sagacité intellectuelle.

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