Comment Slobodan Prajlak a-t-il pu se suicider à l'intérieur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie ?
Accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité, cet ancien chef militaire croate de Bosnie a avalé du poison juste après l'énoncé de son verdict.
"Slobodan Praljak n'est pas un criminel de guerre, je rejette avec mépris votre verdict !" a-t-il dit d'une voix ferme et forte. Poursuivi pour crimes de guerre par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Slobodan Praljak, ancien chef militaire des Croates de Bosnie durant la guerre en Bosnie-Herzégovine (1992-1995), a attendu le prononcé de son jugement, mercredi 29 novembre, à La Haye (Pays-Bas), pour avaler d'une seule gorgée le contenu marron d'une petite fiole qu'il gardait dans sa poche.
Quelques heures plus tard, le criminel de guerre, condamné par le TPIY, est mort à l'hôpital, où il avait été transporté en urgence. Le porte-parole du parquet de La Haye a assuré que son autopsie était la "plus haute priorité" pour les enquêteurs néerlandais. Ce suicide est le troisième à se produire depuis la création du TPIY, dans l'enceinte de la Cour pénale internationale. Comment Slobodan Praljak a-t-il pu se donner la mort en pleine audience ? S'est-il procuré la substance au centre de détention ou l'a-t-il obtenu dans l'enceinte du tribunal ? Eléments de réponse.
Les fouilles ne sont pas systématiques
Selon le règlement intérieur du quartier pénitentiaire des Nations unies, toute personne "fera l'objet d'un contrôle de sécurité à l'entrée du complexe", à savoir "une vérification d'identité, le passage par les portiques de détection et, si nécessaire, la fouille des vêtements". Si les contrôles de sécurité sont systématiques avant l'entrée au tribunal, pour les détenus comme pour les avocats, "il faudrait qu'il y ait une fouille à nu pour s'assurer qu'aucun objet n'entre dans la cour", explique Juan Branco, auteur de L'Ordre et le Monde, critique de la Cour pénale internationale (éd. Fayard) à franceinfo.
Cela demanderait des moyens conséquents que le Tribunal n'a pas. Le TPIY doit d'abord assurer la sécurité de l'audience et pas de l'accusé. Si quelqu'un a envie de se suicider, il trouvera toujours le moyen.
Juan Brancoà franceinfo
Si la surveillance du tribunal est du ressort des policiers néerlandais et internationaux, la sécurité des salles d'audience au sein du tribunal incombe à l'ONU. Les jours d'audience, les détenus sont amenés en voiture sécurisée de la prison à la salle d'audience. Mais malgré cette stricte sécurité, deux détenus – Slavko Dokmanovic en 1998 et Milan Babic en 2006 – se sont suicidés dans leur cellule.
Seul le métal est détecté à l'entrée
Tout objet présenté ou envoyé au sein du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie doit être remis, inspecté ouvert et/ou examiné aux rayons X, avant d'être autorisé à l'intérieur. Mais selon le quotidien néerlandais NRC (en néerlandais), "beaucoup de suspects sont, exactement comme Praljak, d'un âge avancé et souffrant de toutes sortes de maux et de maladies. Ils sont donc souvent sous surveillance médicale" de leur médecin personnel. "Qu'il ait pris avec lui ses médicaments aux audiences n'est pas non plus inhabituel", écrit encore le journal.
La fiole aurait-elle pu être confondue avec un médicament ? Selon un avocat sur place, cité par le journaliste Valéry Lerouge de France 2, "introduire un liquide devant la cour du TPIY est dans tous les cas très simple", puisque "seul le métal est détecté lors des contrôles à l'entrée du tribunal". Les règles de sécurité à l'intérieur du tribunal sont similaires à celles d'un aéroport, rapporte le Washington Post (en anglais). "Ils inspectent les objets métalliques comme les ceintures, les pièces de monnaie, les chaussures et mettent de côté les téléphones portables", explique le Serbe Toma Fila, ex-conseil de plusieurs accusés du TPIY, au quotidien américain. Mais "des pilules et des petites quantités de liquide passeraient inaperçues", estime l'avocat.
Des contacts avec l'extérieur possibles
A l'heure actuelle, une chose paraît certaine : Slobodan Praljaka n'a pas pu se procurer le liquide seul. Les détenus de la prison de la Cour pénale internationale ont la possibilité de recevoir des visites et d'utiliser un petit "pécule" pour acheter des objets dans la prison. Cette somme est octroyée aux prisonniers sans ressources par la prison. "Quand j'y étais, j'ai rencontré Germain Katanga [reconnu coupable de crime contre l'humanité et de crime de guerre pour l'attaque de Bogoro au Congo Kinshasa en 2003], il était très ému de dépenser tout son pécule pour acheter un Kinder Bueno", raconte Juan Branco à franceinfo.
Ils ont accès à des objets du quotidien comme dans une prison ordinaire, mais certainement pas du poison !
Juan Brancoà franceinfo
En revanche, les visites sont un peu plus souples que dans une prison "classique". "Chaque détenu a le droit à deux visites annuelles financées par la Cour si la famille n'a pas les moyens. Ce ne sont pas des privilèges, c'est ce que toutes les prisons devraient permettre", précise le spécialiste de la Cour pénale internationale. Laurent Gbagbo, Slobodan Milosevic... Tous ont pu recevoir la visite d'un ministre du Culte ou d'un conseiller spirituel de leur religion ou croyance, précise un document de la CPI. Ils ont également accès à des ordinateurs, non reliés à internet, afin d'étudier leur dossier et de communiquer avec leurs avocats.
La fiole de poison aurait-elle été obtenue par ces moyens ? Pour le moment, l’enquête doit encore établir si l'accusé a reçu une aide pour se suicider. "L’enquête va se concentrer sur la question du suicide assisté" et sur "la violation" de la réglementation sur les substances médicales, explique ainsi le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.
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