Certains sont peu politisés et voulaient juste "voir un spectacle", d'autres sont marqués à l'extrême droite ou à l'extrême gauche... Francetv info a rencontré, le 9 janvier devant le Zénith de Nantes, le public de l'humoriste controversé.
"Dieudo" partout. A la télévision, à la radio, sur internet... Depuis plusieurs semaines, l'humoriste controversé fait la une et alimente les rubriques judiciaires. Une exposition médiatique qui dope la fréquentation de ses pages personnelles. Chacune de ses vidéos est visionnée entre 500 000 et 2 millions de fois. Sa page Facebook fédère 550 000 personnes, son compte Twitter, près de 80 000.
Quelque 16% des Français interrogés par l'Ifop ont une bonne image de Dieudonné, à en croire un sondage réalisé pour Metronews. Francetv info a rencontré des spectateurs, devant le Zénith de Nantes Métropole, à Saint-Herblain (Loire-Atlantique) le 9 janvier, première date de sa tournée, finalement interdite. Malgré quelques thèmes communs, l'éventail des spectateurs est hétéroclite.
Des spectateurs qui viennent juste se divertir
La plupart des spectateurs rencontrés par francetv info viennent tout simplement profiter d'un spectacle. Et ils calent un peu quand il faut parler des raisons pour lesquelles ils aiment Dieudonné. A l'image de deux Antillais, qui raffolent de son humour depuis le spectacle Cocorico !, en 2002, qui n'épargne pas la communauté noire. "On est là uniquement pour rire, insiste l'un d'eux, Michaël.
Julien est d'origine guyanaise et plutôt de droite, car "au moins, les heures sup' étaient payées sous Nicolas Sarkozy". Un peu sur la défensive, il résume simplement sa position : "Je comprends que ça puisse choquer, mais si j'y vais, c'est parce que le gars me fait rire !" Un autre se désole de l'interdiction du spectacle. "Moi, j'étais content de venir. Je voulais juste voir un spectacle après le boulot."
Ils sont en tous cas nombreux à être agacés par l'engouement médiatique des dernières semaines. "Pourquoi agiter tout cet écran de fumée aujourd'hui ? s'interroge Alain, 42 ans, venu spécialement de Bruxelles (Belgique). Cela fait dix ans que Dieudonné fait des spectacles ! Tout le monde voit que Manuel Valls se sert de la question pour masquer ses échecs en matière de sécurité."
Des thèmes communs, plus ou moins revendiqués
Devant le Zénith de Nantes Métropole, la plupart des spectateurs sont des hommes jeunes. Ils sont ouvriers, chômeurs, commerciaux, chefs d'entreprise, enseignants... A priori, difficile de trouver le dénominateur commun de tous ces fans."Dieudonné ratisse très large", confirme André Déchot, coauteur de La Galaxie Dieudonné (éd. Syllepse, 2011). Selon lui, la plupart ont "de faibles repères politiques et ne voient plus très bien ce que signifient la gauche et la droite". Et pour beaucoup, la quenelle est un exutoire, l'expression d'un ras-le-bol.
Parmi eux, beaucoup de Noirs et de musulmans qui partagent le sentiment d'un "deux poids, deux mesures". Un sentiment alimenté par l'affaire des caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, en septembre 2012. "Ils ont insulté 1,5 milliard de musulmans, explique Ali, 46 ans, un maillot de l'équipe de foot d'Algérie sur le dos. Eux n'ont pas été censurés." Ces remarques alimentent une forme de concurrence mémorielle, dont le thème est abordé dans le sketch"Le championnat de la victimisation", issu de l'ancien spectacle de Dieudonné, Foxtrot.
Le public est très critique à l'égard des milieux financiers, du pouvoir, des médias. "Regarde-les, là, tous dans le système", lance un jeune homme à l'attention des journalistes. La détestation de ce "système" côtoie celle du sionisme. La cause palestinienne occupe souvent une place importante dans les discussions. A tel point que certaines associations pro-palestiniennes cherchent à se démarquer de l'humoriste, devenu encombrant. Le rôle d'Israël est remis en cause, tout comme les organisations juives de France. "Vous trouvez normal que François Hollande porte la kippa en Israël, alors qu'il cherche à interdire le voile à l'école ?" s'interroge un jeune homme musulman. Les spectacles de Dieudonné, qui fustigent les représentants de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) ou du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), trouvent sans mal un écho.
"Il n'est pas plus hardcore qu'avant, au contraire", explique pourtant un fan de la première heure, qui a vu plusieurs de ses spectacles au théâtre de la Main d'Or, à Paris. "Dans sa dernière vidéo YouTube, il répète qu'il n'est pas antisémite et demande à tout le monde de se calmer", explique-t-il, lassé des "articles à charge de la presse". Ce fan concède tout de même qu'au fil des ans, les plaisanteries sur la communauté juive ont pris une part de plus en plus importante dans les spectacles.
Un "noyau dur", idéologiquement formé
Mais quand Dieudonné se targue de jouer le funambule, certains plongent à pieds joints. Davantage formés idéologiquement, davantage militants, ils composent la "galaxie Dieudonné", pour reprendre la terminologie de l'ouvrage du même nom, consacré aux différents courants qui gravitent autour de l'humoriste. Et dans le discours de certains spectateurs, la ligne jaune est vite franchie. Tony, producteur de musique et rasta, suspecte le pouvoir de favoriser les juifs en vue d'un "nouvel ordre mondial". Il explique que "les rois de France ont favorisé l'esclavage, organisé essentiellement par des juifs." Aucun des spectateurs interrogés, toutefois, ne nie l'existence de la Shoah.
Julien, lui, se définit comme un "Français de souche". Il est un inconditionnel d'Alain Soral, l'essayiste d'extrême droite. Il s'est intéressé à Dieudonné après l'affaire du sketch du colon juif dans l'émission "On ne peut pas plaire à tout le monde", de Marc-Olivier Fogiel, sur France 3, en décembre 2003. "J'ai découvert tout son entourage et ça m'a plu." Les accusations d'antisémitisme proférées contre Dieudonné ? Julien fait mine de se masturber. Le mariage homosexuel ? "Cest pour l'élite pédophile." Au passage, il dénonce l'absence "de représentation virile à la télévision", inondée selon lui de "lopettes". Quant à Xavier, quinquagénaire à la barbe grise, il ne lui faut que deux minutes pour aborder le 11-Septembre et la théorie du complot, puisque des "poutres métalliques ont été retrouvées à 200 mètres des tours, à cause de l'explosion" de supposées bombes.
Ce "noyau dur", idéologiquement formé et minoritaire dans le public ce soir-là, a trouvé un terrain d'expression lors des élections européennes de 2009, sous l'étiquette de la Liste antisioniste. "On avait aussi bien des loulous de banlieue à casquettes que des intellectuels ou des militants d'horizons différents, se souvient l'un des candidats en Ile-de-France. Mais nous étions alors composés d'une légère majorité de militants d'extrême gauche." Selon lui, les militants d'extrême droite ont ensuite pris le pouvoir, au risque d'une "dérive". Endiguer la progression de ces idées, au risque d'alimenter un sentiment de persécution. C'est l'enjeu des interdictions décidées par le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls.
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