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Il a été libéré après une condamnation à perpétuité : "L'homme peut changer"

Sorti de prison en 1999 après quasiment 20 ans de détention pour le meurtre d'un militaire, Joël Troussier est de nouveau un homme libre. Son obsession : se rendre "utile".

Article rédigé par Yann Thompson - Envoyé spécial à Villeurbanne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Joël Troussier, le 5 avril 2016, chez lui à Villeurbanne (Rhône). (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Ce 16 décembre 1984, un coup de marteau résonne aux assises de la Marne, scellant le sort d'un meurtrier de 26 ans. La peine prononcée est sévère, le public sous le choc. Mais, dans le box des accusés, Joël Troussier reste impassible. "Je suis fier, je ne veux pas montrer mes sentiments. Je reste altier, je ne bouge pas." 

L'avocat général, qui avait requis "une peine éliminative", obtient gain de cause. "Au fond de moi, je comprends qu'on se débarrasse de moi, que je ne sortirai plus de prison", raconte Joël Troussier. Sa vie bascule. Pire, "ma vie s'arrête là", croit-il alors. Celui que la presse a qualifié d'"assassin cynique et froid" vient d'être condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, pour un meurtre commis quatre ans plus tôt.

"J'inspirais la crainte, et donc le respect"

Adolescent, mal dans sa peau, Joël Troussier a accueilli sa musculature comme une bénédiction. "J'ai commencé à voir que j'avais une capacité physique qui pouvait me donner une autorité. J'inspirais la crainte, et donc le respect." Il s'inscrit aux arts martiaux et, à chaque film de Bruce Lee, fait 15 km en stop jusqu'au cinéma d'Epernay.

Devenu bûcheron, le fils de vignerons, dernier d'une fratrie de six, écume les bals et multiplie les partenaires de castagne. Malgré les mises en garde de ses petites amies, cet homme bourru aux airs de Harrison Ford s'obstine. "J'en avais besoin, j'étais dans une logique d'aller toujours plus loin." 

La bagarre de trop survient au petit matin du 12 décembre 1980, à Reims, après une remarque déplacée d'un client de bar à l'encontre d'un ami handicapé. Le bûcheron, éméché, défie son vis-à-vis, un jeune militaire, en duel à l'arme blanche. "Un truc d'abrutis : le premier qui la ramasse tue l'autre." Il gagne, il n'hésite pas, il tue.

"La prison m'a servi"

Voilà Joël Troussier derrière les barreaux, condamné à "perpète". L'homme des grands espaces découvre les règles et la dureté de l'univers carcéral, sans porte de sortie. On lui explique bien que, dans quinze ans, au terme de sa période de sûreté, il pourra prétendre à une libération. "Je n'ai pas voulu commencer à calculer, pour ne pas me rajouter une pression supplémentaire." Pour échapper au vertige d'un futur aussi lointain qu'incertain, plutôt vivre dans le présent, au jour le jour, en enchaînant les coups de poing.

En détention, quelques "anciens" se lient à la brute. Avec l'aide d'un surveillant, l'un d'eux, "Pierrot", réussit à faire passer le livre qui va fendiller l'écorce du bûcheron : L'Etranger, d'Albert Camus. Le prisonnier s'en empare et s'identifie au personnage principal, "un étranger à lui-même". Une claque.

Comme Meursault, j'étais indifférent à ma propre vie. Ce bouquin a été un déclencheur.

Joël Troussier

à francetv info

Loin des vignes, du fond de sa cellule d'isolement où il n'est plus qu'un numéro d'écrou, Joël Troussier se met à dévorer les livres par grappes. La Bible, la Torah, le Coran, il enchaîne les ouvrages sacrés, avant d'atterir chez les philosophes, notamment Max Stierner et Friedrich Nietzsche. "Ces lectures m'ont permis de me chercher, de comprendre comment je ressentais les situations, quel rapport j'avais à la schizophrénie, à la paranoïa, à la mythomanie, très développées en prison."

Là où d'autres "perpètes" sombrent dans la folie, lui entame un long chemin intérieur, au cours duquel il passe des licences de psychologie et de sociologie et un master de philosophie. "Au bout de huit ans, grâce à tout ce que j'avais accumulé en autodidacte, j'ai enfin pris conscience de qui j'étais. En ce sens, la prison m'a servi. Sans cela, je serais resté un con, un bœuf."

Après Camus, la rencontre avec Amara

Pour Joël Troussier, la motivation reste la même : se faire respecter. "Ma méthode d'affirmation, qui passait jusque-là par les poings, passe maintenant par le verbe." Le détenu se fait "revendicatif" ; il lance des mouvements de contestation dans les centrales par lesquelles il passe, pour défendre les droits des prisonniers.

Au tournant des années 90, après s'être plongé dans le droit, le Marnais obtient la commutation de sa peine en vingt années de prison. Il profite d'une vague d'une cinquantaine de commutations décidées par la France. "J'étais tombé très jeune et ma peine paraissait excessive à certains juristes, j'ai donc pu être dans le package, en troisième position."

Encouragé par ce succès, Joël Troussier commence timidement à penser à son futur. "La bataille des droits a d'abord été une forme de jeu, par curiosité, pour voir, mais sans envie claire d'être libéré."  Puis vient la rencontre à un parloir, arrangée par un co-détenu, entre le prisonnier et Amara. "Elle s'est accrochée, moi aussi, elle avait envie de faire sa vie avec moi, ça m'a débloqué le cerveau."

"Moi qui pensais y rester, j'en suis sorti"

Dès lors, "sortir est devenu une obsession". Joël Troussier redouble d'efforts et monte des dossiers de libération conditionnelle. Il apporte des garanties de réinsertion, en matière de logement chez Amara et d'activité professionnelle. "J'étais trop vieux pour être bûcheron, mais j'ai réfléchi à un projet aux côtés de jeunes, car j'avais remarqué que ma parole était écoutée en détention, j'étais devenu intéressant pour les détenus des cités." Il convainc la mairie de Villeurbanne de l'engager comme éducateur à sa sortie.

A trois reprises, le ministère de la Justice rejette sa demande de sortie. La quatrième est la bonne. "Je suis sorti le 25 juin 1999", se souvient-il. En tenant compte de sa détention préventive, il aura passé dix-neuf ans derrière les barreaux. "Moi qui pensais y rester, j'en suis sorti, en apprenant à me chercher", estime-t-il.

Joël Troussier devant sa maison, le 5 avril 2016, à Villeurbanne. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO)

Comment un "perpète" vit-il son retour à la liberté, là où certains ne pensaient plus le revoir ? C'est "compliqué", admet Joël Troussier, dans sa maison de la banlieue lyonnaise. Malgré la fin de sa peine, il n'a toujours pas récupéré ses droits civiques, ce qui l'empêche de voter, de lancer une entreprise et d'exercer certaines professions.

Malgré tout, l'ancien détenu s'est reconstruit. Il s'est marié avec Amara et a eu une fille. Une nouvelle vie qu'il a inaugurée avec une pensée pour les proches de sa victime. "Je leur ai écrit pour leur dire que je sortais, et que je vivrai toujours avec cette culpabilité. Je n'ai pas écrit grand chose, c'était difficile, mais je me suis senti obligé de dire quelque chose." Une sœur du militaire lui a répondu. Sans lui pardonner, elle a reconnu qu'il avait purgé sa peine et lui a dit de refaire sa vie. Une demi-sœur a moins bien digéré la nouvelle, ne comprenant pas qu'il puisse sortir. "J'entends bien que certaines familles se sentent trahies."

"Cela m'a tellement bouffé de ne servir à rien"

Reste ensuite à se montrer digne de sa libération. En se rendant utile. "Ce besoin m'a hanté à partir d'une dizaine d'années de détention. Il me hante encore. Cela m'a tellement bouffé de ne servir à rien." Le Marnais est fier d'avoir emmené une bande de jeunes au Burkina Faso, en 2005, pour la construction d'un orphelinat. "Un ancien détenu avec des racailles de quartier : il fallait réussir à le vendre, ce projet !"

Depuis un an, Joël Troussier anime des ateliers à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone (Hérault). "Le premier jour a été difficile, notamment retrouver l'odeur et la moiteur des prisons. Mais je suis content que l'on ait fait appel à moi. Ce n'est pas une revanche, juste la preuve que l'homme peut changer."

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