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"James Bond", "Sarko Boy"... Qui est Boris Boillon, ex-ambassadeur condamné pour "blanchiment de fraude fiscale" ?

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Boris Boillon, alors qu'il était ambassadeur de France en Tunisie, le 26 juillet 2012 à Tunis. (MOHAMED HAMMI/SIPA)

Arrêté en juillet 2013 alors qu'il transportait 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide, l'ex-diplomate français a été condamné à un an de prison avec sursis. Un nouvel épisode sulfureux dans une carrière marquée par un style bouillonnant.

Partout où il est passé, il s'est fait remarquer. L'ancien ambassadeur Boris Boillon a été condamné vendredi 7 juillet à un an de prison avec sursis pour "blanchiment de fraude fiscale par dissimulation" et "manquement à l'obligation de déclaration de transferts de capitaux". L'affaire remonte au 31 juillet 2013.

Reconverti dans le privé, l'ancien diplomate est arrêté, gare du Nord à Paris, alors qu'il s'apprête à monter dans un Thalys à destination de Bruxelles. Dans ses bagages, 350 000 euros et 40 000 dollars en liquide, mais aucun papier d'identité. Or, la loi impose de déclarer tout transfert international d'argent liquide à l'intérieur de l'Union européenne au-delà de 10 000 euros. La justice le soupçonnait de n'avoir pas déclaré ces sommes et d'avoir produit un faux pour justifier ce transfert de fonds.

Encore une fois, Boris Boillon fait trop de bruit dans le monde feutré de la diplomatie. Sa carrière est déjà marquée par ses gaffes et son style de golden boy fougueux. Une patte qu'il tient de Nicolas Sarkozy, l'homme à qui il doit son ascension. "Oui, je suis un 'Sarko Boy', confie-t-il à L'Est Républicain (article pdf), en 2009. Quand on a vécu quatre ans de sa vie complètement rythmée par un homme comme ça, on est forcément influencé par son style, sa manière d'agir et de penser." 

Un fils de "pieds-rouges"

Né en 1969, Boris Boillon est un fils de "pieds-rouges", ces Français de gauche qui se sont installés en Algérie après l'indépendance. L'histoire familiale a fait de lui un amoureux de la Méditerranée et de la langue arabe. "Boris Boillon, père de deux petites filles, apprécie autant les subtiles envolées de la poésie de Nizar Kabbani que les chansons de la Libanaise Majida Roumi, qu’il fredonne volontiers", raconte Jeune Afrique, qui le surnomme "Boillon l'Oriental".

Formé à Sciences Po et aux "Langues O", l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris, Boris Boillon retourne à Alger une trentaine d'années plus tard pour faire ses premiers pas de diplomate. C'est là que Nicolas Sarkozy, alors à l'Intérieur, le repère en 2004. Très vite, il l'intègre à son équipe. En 2007, le nouveau président le nomme conseiller Afrique du Nord, Proche et Moyen-Orient à l'Elysée.

"Pris pour un garde du corps"

Arrive l'affaire dite des "infirmières bulgares", retenues en Libye entre 1999 et 2007 par le régime de Mouammar Kadhafi. La France est en première ligne dans les négociations pour leur libération. A la manœuvre, le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, et la première dame, Cécilia Sarkozy, sont chargés de les ramener en Europe. Derrière elle, sur toutes les photos, se tient Boris Boillon. "Pour accompagner Cécilia Sarkozy, partie convaincre Kadhafi de relâcher les prisonnières, il fallait un traducteur. Boris Boillon fit très bien l’affaire. Lunettes noires, muscles saillants et cheveux ras, il fut d’abord pris pour un garde du corps", raconte Paris Match.

Cécilia Sarkozy (à droite) et la commissaire européenne aux relations extérieures, Benita Ferrero-Waldner, à l'atterrissage de l'avion qui ramenait les infirmières bulgares condamnées en Libye, le 24 juillet 2007, à Sofia (Bulgarie). Derrière elles, avec ses lunettes de soleil, Boris Boillon. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Traducteur ou véritable négociateur ? Boris Boillon se vante, en tout cas, d'avoir eu un rôle central, mais secret, dans cette affaire. "Il a déclaré que, hormis le président, il était l'une des trois seules personnes du gouvernement à être totalement dans la boucle" et que "Cécilia n'était au courant que d'une partie du travail accompli", écrit un diplomate américain dans un échange révélé par Wikileaks. Vantard, il affirme même sur Canal+, que Mouammar Kadhafi l'adore et l'appelle "mon fils". Nicolas Sarkozy, lui, le surnomme "mon petit Arabe".

Les Français ont souvent l'image de l'ambassadeur Ferrero Rocher, je veux lutter contre ça !

Boris Boillon

L'Est républicain

En juillet 2009, Boris Boillon, qui n'a pas encore 40 ans, est nommé ambassadeur en Irak. "Il est le plus jeune et exerce dans l'un des postes les plus exposés de la planète", résume Challenges. L'hebdo souligne son enthousiasme. "Il n'y a qu'un ambassadeur qui se balade dans tout le pays, c'est moi. Il n'y a qu'un centre culturel ouvert, le français. Et une seule ambassade qui ait organisé une garden-party, la nôtre", s'enorgueillit-il lors d'une conférence annuelle des ambassadeurs.

"Je suis ici pour faire venir les entreprises françaises, car il y a du business à faire si on sait prendre des risques et être les premiers", affirme-t-il, cité par L'Obs. Selon l'hebdomadaire, il n'hésite pas en novembre 2010 à "faire venir ses filles dans la capitale irakienne et à se faire photographier avec elles", peu après une tentative d'attentat contre l'ambassade de France pour "montrer que le pays était sûr".

Partisan de l'intervention américaine en Irak à laquelle la France avait refusé de se joindre en 2003il n'hésite pas à défendre le colonel Kadhafi. Sur Canal+, il déclare en 2010 que le dictateur libyen a été "un terroriste", mais qu'il "ne l'est plus", car il a "fait son autocritique" et que "l'on a le droit au rachat".

"Casse toi pauv' Boillon !"

L'énergique Boris Boillon est ensuite envoyé en Tunisie. Paris compte sur lui pour redorer son blason dans le premier pays secoué par le Printemps arabe. La France, très liée à l'ex-président Ben Ali renversé en janvier 2011, y souffre d'une image calamiteuse. L'ambassadeur Pierre Ménat, dont l'action a consisté à arrondir les angles avec le régime, est débarqué en février. Le mandat de l'hyperactif Boris Boillon débute avec fracas. 

Il voulait communiquer très vite et très fort, et cela s'est retourné contre lui.

Pierre Ménat, ancien ambassadeur français en Tunisie

à franceinfo

Au lendemain de son arrivée, Boris Boillon reçoit des journalistes tunisiens pour un déjeuner, relaté par Mediapart. Le nouvel ambassadeur affirme qu'il est là pour construire "de nouvelles relations" entre Paris et Tunis et que la France "n'est pas là pour donner des leçons à la Tunisie et qu'elle serait mal placée pour le faire". Alors qu'une journaliste lui demande ce qu'il entend par là, Boris Boillon s'emporte. "N'essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles franchement... Vous croyez que j'ai ce niveau-là ? Vous croyez que moi, je suis dans la petite phrase débile ?", invective-t-il, avant de finir par couper court à l'entretien. La scène, filmée et diffusée par Mosaïque FM, scandalise les Tunisiens.

Cet esclandre déclenche des manifestations aux cris de "Casse toi pauv' Boillon" et "Dégagez petit Sarko !" Le jeune diplomate doit présenter des excuses publiques, mais par la suite, "son action reste très entravée par ces problèmes de communication", confie à franceinfo Pierre Ménat, qui "refuse quand même de se joindre aux critiques. Car Boris Boillon a été confronté à des difficultés que je peux comprendre." Une indulgence que ne partage pas tout le monde au Quai d'Orsay, où on le voit déjà rappelé à Paris.

Le "James Bond de la diplomatie"

Sa vie numérique est aussi scrutée. Une photo de lui en slip de bain, postée quelques jours avant son arrivée à Tunis sur Copains d'avant, en fait "la star du web", rappelle 20 Minutes. Et la risée des politiques français. A la télévision, la présidente du FN, Marine Le Pen, se dit "effondrée" par les "Sarko Boys", qui "donne honte partout".

Quelques mois plus tard, c'est une couverture et une interview au magazine people Tunivisions, dans laquelle Boris Boillon est présenté comme le "James Bond de la diplomatie" qui fait jaser. Au quotidien, à Tunis, il se fait plus petit. "Il a longtemps vécu terré à l’ambassade, meurtri par les réactions de la rue", écrit Paris Match. Il a l'impression "de payer à lui seul toutes les fautes de la France". Son épouse Anne, également diplomate, vit alors avec leurs deux filles en Jordanie.

L'expérience tunisienne a usé le golden-boy. "Boris Boillon n’attend qu’une chose, c’est son départ ; il veut partir et ce n’est pas sûr qu’il veuille rester dans la diplomatie", confie un responsable tunisien à Mediapart en juin 2012. Il quitte son poste en août, "totalement carbonisé", alors que François Hollande vient d'arriver à l'Elysée. Certains diplomates le jugent pourtant "compétent et dynamique", "sympa et intelligent", mais son style le "fragilise"

De retour à Paris, il crée une société de conseil, Spartago, active notamment en Irak. Après son arrestation en 2013, Boris Boillon, devenu entre-temps résident belge, selon Le Monde, explique aux enquêteurs que l'argent liquide, qui éveille leurs soupçons, vient de ses activités en Irak, "dans le cadre d’un contrat lié à la construction d’un complexe sportif (...) comprenant notamment le stade de Thiqar, d’une capacité de 30 000 places, et un hôtel quatre étoiles". Il justifie ce règlement en espèces par la fragilité du système bancaire irakien et assure transporter la somme en Belgique afin d'y ouvrir une filiale de Spartago.

"Preneur de notes, pas très glorieux"

L'enquête n'a pas confirmé l'origine des sommes transportées. Et compte tenu du rôle joué par Boris Boillon dans les relations franco-libyennes sous Nicolas Sarkozy, "nombreux sont ceux qui se sont demandé si cet argent ne venait pas du colonel Mouammar Kadhafi", écrit Le Monde. S'il n'est pas mis en cause dans l'enquête sur le financement de la campagne présidentielle de l'ex-chef d'Etat en 2007, son nom apparaît en raison de sa participation à plusieurs voyages de la délégation française en Libye, selon un témoin cité par l'AFP. En tant qu’ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon a aussi contribué, selon une note de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), également citée par Le Monde, à l’exfiltration de Bechir Saleh, ancien directeur de cabinet du colonel Kadhafi, "soupçonné de détenir les secrets des relations financières franco-libyennes".

Ces soupçons n'ont pas empêché Boris Boillon d'être réintégré, à sa demande, au ministère des Affaires étrangères en 2016, après quatre années dans le privé. Envoyé "en renfort", auprès de la délégation française aux Nations unies à New York, début novembre 2016, Boris Boillon se fait plus discret. "Preneur de notes après avoir été ambassadeur, pas très glorieux", persifle un de ses collègues auprès du Figaro.

Le retour à l'anonymat est de courte durée. Le 21 novembre, le parquet de Paris le fait citer devant le tribunal correctionnel de Paris afin d’être jugé. Quelques jours plus tard, "compte tenu des derniers développements de la procédure judiciaire, le ministère des Affaires étrangères a décidé d'interrompre immédiatement sa mission à New York et de procéder à son rappel en vue d'une mesure de suspension", écrit le Quai d'Orsay, dans un communiqué. Sera-t-il radié ? Sur ce point, le Quai d’Orsay répondit à RTL que Boris Boillon ne pouvait être ni sanctionné ni radié, s'il n'est pas condamné. La situation pourrait maintenant évoluer.

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