Lutte anti-djihad : des mentors pour déradicaliser les jeunes
Ces mentors sont répartis en deux équipes, dans le cadre de cette expérience pilote lancée dans le département des Alpes-Maritimes. Ces deux équipes travaillent dans deux associations, chacune avec sa propre vision. Les mentors sont tous des psychologues, dans l'association ARPAS, et accordent une grande place aux parents des jeunes radicalisés, des parents souvent démunis. Dans l'équipe de l'association Entr'Autres, il y a à la fois des psychanalystes et des psychologues, mais aussi un chercheur spécialiste du Moyen Orient, et un imam. Au fil des séances, ils tentent ensemble de désendoctriner des jeunes âgés de 16 ans en moyenne. Parmi ces jeunes, il y a autant de filles que de garçons. La plupart sont scolarisés, mais se sentent en échec, se disent humiliés, et se trouvent inutiles dans la société.
Plusieurs de ces jeunes ont été interpellés par la police alors qu'ils étaient sur le point de fuguer pour la Syrie. Il est important de rappeler que dans les Alpes-Maritimes, il y a eu près de 120 tentatives de départ pour le djihad en un an - c'est l'un des records en France-, et l'on sait que plusieurs dizaines de jeunes ont été embrigadés par le Franco-Sénégalais, Omar Omsen, qui avait grandi dans des quartiers sensibles de Nice, qui fut longtemps considéré comme le principal recruteur de Français pour le compte du Front Al Nosra, la branche syrienne d'Al Qaïda. Omar Omsen a été donné pour mort en Syrie, cet été, mais son ombre semble toujours planer sur les jeunes des Alpes-Maritimes, toujours influencés par les fameuses vidéos de propagande d'Omsen.
"Vous êtes au courant que le christianisme n’existe plus ?"
Face aux mentors, ces jeunes apparaissent d'abord préoccupés par la religion, témoigne Amélie Boukhobza, psychologue clinicienne et psychanalyste dans l'équipe de l'association Entr' Autres. "La première question systématique qu’on rencontre avec tous les jeunes, c’est est-ce que vous êtes musulmane ? Si je leur dis non, ils me répondent 'vous y viendrez' ". Parmi ces jeunes focalisés sur l’islam radical, certains viennent de familles de confession musulmane mais absolument pas radicales, d’autres de familles catholiques aisées. Dans certaines séances avec les mentors, ils font donc face à un imam, qui leur explique qu'ils peuvent vivre leur religion musulmane en France, et n'ont pas besoin d'aller faire leur hijra -l'émigration en terre musulmane – en Syrie. Brigitte Juy-Erbibou, psychanalyste et co-fondatrice de Entr'Autres, explique qu’il n’est néanmoins pas facile de faire entendre un contre-discours. "On a rencontré des jeunes avec un discours extrêmement fanatisé, même très incohérent parfois, avec des cas qui nous paraissaient plutôt proches de la psychiatrie. On a pu avoir des jeunes qui nous ont dit : mais quand même, vous êtes au courant que le christianisme n’existe plus ? Là, on se rend compte qu’il y a une ignorance ".
La déradicalisation, un phénomène long et difficile
Au bout de six mois de travail de déradicalisation avec certains jeunes, le département des Alpes-Maritimes vient de renouveler l’expérience du mentorat, percevant des soubresauts positifs, dans le cas de certains jeunes. Mais il faut encore du temps, estime le psychanalyste Patrick Amoyel, lui aussi co-fondateur de Entr'Autres, à la tête de l’équipe de mentors. "Car le problème, c’est qu’entre les séances, les jeunes sont travaillés par les recruteurs, par les prédicateurs, qui nous cassent complètement le travail, dans la mesure où ils vont les réembrigader dans l’autre sens. Très concrètement, on sent qu’ils commencent à être ébranlés par le travail psychique et idéologique, mais la fois d’après, ils reviennent en disant vous êtes des agents de la police, vous êtes des agents de l’Occident, donc on n’a rien à vous dire".
Patrick Amoyel livrera aujourd’hui son témoignage aux différents ministres qui vont se réunir à Beauvau pour tenter de prévenir et de guérir plus efficacement ce phénomène de radicalisation, qui commence même à toucher des enfants. Très récemment à Nice, des petits frères de 10 ou 11 ans ont affiché fièrement des photos de leurs grands frères combattant en Syrie, kalachnikov à la main.
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