"Mes clients sont tombés de leur chaise" : un couple de retraités découvre que le masque fang acheté 150 euros par un brocanteur, a été revendu 4 millions aux enchères
L'histoire avait bien commencé, mais elle se termine, mardi 31 octobre, devant le tribunal d'Alès. Il y a deux ans, un couple d'octogénaires vide sa maison de vacances située dans le Gard pour la mettre en vente. Au fond d'un cagibi poussiéreux, les retraités retrouvent alors un vieux masque africain hérité d'un ancêtre, gouverneur au Gabon.
Ils décident de s'en débarrasser et font appel à un brocanteur. Le prix de vente est de 150 euros. Sauf que quelques mois plus tard, ils découvrent dans le journal que ce masque - en fait rarissime - a été vendu aux enchères pour 4,2 millions d'euros. "Mes clients sont tombés de leur chaise", raconte à franceinfo l'avocat du couple, Me Frédéric Mansat-Jaffré. "Ce masque était dans un cagibi, fermé, il ne trônait pas dans la pièce principale. Mes clients n'y prêtaient pas plus attention que cela", poursuit l'avocat.
"Évidemment, si on avait su que ce masque avait des qualités si rares et si importantes, jamais la vente ne se serait déroulée dans ces conditions-là. Ils ont été spoliés, arnaqués."
Me Frédéric Mansat-Jaffréà franceinfo
Le brocanteur connaissait-il dès le départ la valeur réelle du masque ? Ce sera tout l'objet de l'audience qui se tient ce matin, puisqu'après avoir tenté de négocier, en vain, une compensation financière avec le brocanteur, le couple a décidé de déposer plainte contre lui. À défaut de pouvoir récupérer le masque, désormais entre les mains d'un riche collectionneur étranger, les retraités espèrent récolter les millions issus de la vente.
"Une insulte à notre peuple"
"Un cirque honteux" considère pour sa part le collectif Gabon Occitanie. "C'est une insulte à notre peuple. Aujourd'hui, ce masque est exhibé pour de l'argent alors que pour nous, c'est une âme qui n'a pas à être exposée et vendue comme du bétail ou comme un jouet", explique sa présidente Solange Boizeau.
Un masque utilisé lors de "rites secrets" de la communauté Ngil pour "rendre la justice", explique-t-elle. "Quand dans nos villages, il y avait des crimes ou des problèmes que les gens n'arrivaient pas à résoudre, on faisait appel au chef Ngil du village et ce masque venait rétablir la justice. Et à chaque fois, ce masque sortait de coins secrets du village pour interroger l'auteur du crime, c'était le masque pour rétablir la vérité", précise Solange Boizeau, qui réclame sa restitution au Gabon : "Ce masque n'était pas à vendre, il a été volé à l'époque de la colonisation."
"Des centaines de masques rituels se vendent tous les jours"
Mais pour l'avocat du collectionneur, désormais propriétaire du masque, parler de vol est totalement abusif. "L'association n'avance pas le moindre élément sur un quelconque vol", assure Me Yves-Bernard Debie. "Je remarque, ajoute l'avocat, que ces sujets ne viennent jamais que quand ces masques ont un prix important. Tous les jours, des centaines de masques rituels se vendent et il n'y a jamais la moindre contestation ni le moindre achat par ces associations." Quant à la légitimité pour le Gabon de réclamer cette œuvre, elle n'est pas justifiée estime l'avocat.
"Il faudrait alors que les œuvres de la Renaissance italienne ne soient qu'en Italie, et peut être mieux encore à Florence qui en était le berceau ? L'art appartient au monde et pas seulement au pays qui a vu naître cette œuvre."
Me Yves-Bernard Debieà franceinfo
Cette question pourrait à son tour faire l'objet d'une procédure judiciaire puisque l'association Gabon Occitanie, et l'État du Gabon disent avoir saisi la justice. Contactée par franceinfo, la vice-procureure d'Alès dit n'avoir reçu aucune plainte à ce jour. Ce "masque de la justice" qui aurait inspiré Picasso et Modigliani reste donc pour l'instant entre les mains de son dernier acquéreur. À ce jour seulement une dizaine de masques similaires a été recensée dans le monde.
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