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Simplification du vocabulaire juridique : "La démocratie, c’est que, quel que soit l’enjeu, on puisse comprendre la décision"

Avocat au barreau de Paris, Me Florian Borg avoue que lui-même a "souvent passé des heures à comprendre une phrase qui faisait dix à quinze lignes".

Article rédigé par franceinfo
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Le Conseil d'État, place du Palais Royal à Paris, 18 octobre 2018. (BERTRAND GUAY / AFP)

"Ultra petita", "irrépétible", "susvisé" : ces expressions vont disparaître du vocabulaire des cours administratives d’appel et des tribunaux administratifs au profit d'un "style direct". Les décisions rendues par la justice administrative doivent depuis mardi 1er janvier être plus simples à comprendre pour le justiciable, et "c’est un enjeu démocratique important", affirme mercredi 2 janvier sur franceinfo Me Florian Borg, avocat au barreau de Paris et président de la commission droit public du Syndicat des avocats de France.

Le Conseil d’État avait annoncé dans un communiqué le 10 décembre qu’à partir du 1er janvier, les phrases interminables et les expressions désuètes ou trop difficiles à comprendre seront bannies des décisions rendues par les juridictions administratives. "La démocratie, c’est que, quel que soit l’enjeu, on puisse comprendre la décision", commente Me Florian Borg.

franceinfo : La mise en place de ce vade-mecum pour simplifier les décisions administratives, est-ce anecdotique ou indispensable ?

Me Florian Borg : Ce n’est jamais anecdotique, parce que les termes employés sont toujours importants pour comprendre les décisions et accéder au droit. Plus une décision est claire, plus des gens vont la comprendre, pour eux, et pour tous ceux qui veulent se référer à une décision déjà prise dans des situations particulières. Nous-mêmes, avocats, avons souvent passé des heures à comprendre une phrase qui faisait dix à quinze lignes. Donc oui, c’est une bonne chose pour comprendre le droit. C’est un enjeu démocratique important. Globalement, les juristes sont toujours un peu réticents au changement, il faut du temps. Mais quand on lit le vade-mecum, quand on dit qu’il faut un paragraphe par idée, mettre des titres ou des sous-titres, faire des phrases courtes, on a l’impression qu’on est très loin dans le travail déjà appliqué par d’autres professions comme les journalistes. Cela met du temps chez les juristes, mais si ça arrive aujourd’hui, tant mieux.

Certains termes vont toujours pouvoir être utilisés, au nom d’une certaine élégance ?

J’y vois plus une question de précision que d'élégance, parce que la juridiction administrative a toujours été très précise. Ses décisions sont motivées, c’est-à-dire qu’elle explique toujours les raisons qui donnent la solution juridique et on ne peut pas prendre un terme pour un autre. Cela demande de comprendre certains termes. Mais en supprimer d’autres qui ne veulent plus rien dire ou qui sont totalement dépassés ou qui trouvent en français actuel d’autres synonymes, c’est une bonne chose.

Peut-on craindre une perte de rigueur ?

Il ne faudrait pas que cette réforme s’accompagne d’une simplification, voire du copier-coller de certaines motivations. Il y a une tendance forte sur les juridictions administratives, dans les contentieux de masse, en droit des étrangers ou sur les droits sociaux, de se dire qu’on va expédier les décisions. Déjà, aujourd’hui, on a un juge unique et on n’a plus d’explication de la motivation. Le risque, c’est que les rédactions soient trop courtes. Il ne faudrait pas que ce soit un argument pour réduire les décisions de justice pour ces contentieux-là. La démocratie, c’est que, quel que soit l’enjeu, on puisse comprendre la décision, que ce soit pour un euro ou que ce soit pour la construction d’un bâtiment important dans Paris. C’est une bonne décision, mais attention à ce qu’elle ne soit pas détournée.

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