Le Qatar préfère les PME aux banlieues
Promis par l'émirat en 2011, le fonds d'investissement de 50 millions d'euros destiné aux quartiers va être affecté aux entreprises et géré par "les autorités françaises". Au grand dam des élus.
"Le fonds a été détourné, on nous fait un hold-up", assène, amer, Kamel Hamza, en route pour faire signer sa pétition sur les marchés. Le président de l’Association nationale des élus locaux de la diversité (Aneld) ne veut rien lâcher : "Ces fonds étaient promis à la banlieue, ils doivent revenir à la banlieue !"
L'équivalent de 10 % du budget du ministère de la Ville en 2012
L’élu UMP de La Courneuve (Seine-Saint-Denis) oscille entre colère et incompréhension. En novembre 2011, il faisait partie de la dizaine d’élus français partis rencontrer les autorités qatariennes. Au retour, une annonce de l’ambassadeur du Qatar en France, Mohamed Al-Kuwari, le 5 décembre : l’émirat débloque un fonds d’investissements de 50 millions d’euros à destination de projets économiques portés par des habitants de banlieue. Une coquette somme, l'équivalent de 10 % du budget du ministère de la Ville en 2012 (550 millions d'euros), qui fait rêver dans les territoires défavorisés.
"Dès le début, c’était clair, à destination des banlieues et non communautaire", martèle maintenant Kamel Hamza. "Il y avait une promesse de fonds, même si on ne savait pas sous quelle forme exactement ce serait distribué", se souvient de son côté Majid El Jarroudi, le délégué général de l’Agence pour la diversité entrepreneuriale, qui se charge, entre autres, de faire remonter les besoins du terrain aux élus.
Polémique sur "un financement communautariste"
Mais l'annonce du Qatar provoque une polémique, qui prend de l’ampleur en février. De Marine Le Pen, qui dénonce "un financement communautariste" en faveur du "fondamentalisme musulman", à certains élus de gauche comme Claude Dilain, ancien maire de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), qui regrette "un abandon" de ces territoires par la République française.
Pour éviter que le fonds de 50 millions d'euros soit tout bonnement abandonné, il est gelé fin mars jusqu’à la fin des échéances électorales françaises. "On s’était mis d’accord pour repousser après les élections et pour trouver une entreprise française avec pignon sur rue, qui ferait le lien, choisirait les projets, rédigerait les contrats, tout", raconte Kamel Hamza, qui n’a plus de nouvelles : "silence radio, on ne me répond même pas".
Selon Le Parisien, qui révèle l’information, le fonds a finalement été réorienté à destination des PME, et sera géré conjointement par le Qatar et les autorités françaises. "Il y aura quelque chose avec les autorités compétentes françaises", assure un diplomate proche du dossier. "Tout est prêt, nous attendons des propositions du gouvernement français", détaille pour sa part Mohamed Al-Kuwari, l’ambassadeur du Qatar en France, dans le quotidien régional. "La réalité, c’est que ce fonds n’a jamais été une question de banlieue", veut même expliquer le diplomate, qui considère l’aspect "à destination des quartiers" comme une "interprétation".
"Pour les PME, il existe déjà une banque d’investissement..."
En fait, pour René Naba, journaliste spécialiste du monde arabe, ce revirement répond à deux logiques. D’abord, "l’opinion publique qatarienne elle-même doute de cet investissement : 'on ne sait pas qui gère quoi', 'on commence à avoir mauvaise réputation'". Ensuite, l’émirat pétrolier, proche de Nicolas Sarkozy durant son mandat, "doit rentrer dans les bonnes grâces des socialistes qu’ils ont longtemps négligés", décrypte René Naba, qui évoque "une modification très importante des relations entre la France et le Qatar".
Le sujet aurait été abordé lors de l’entretien entre François Hollande et le Premier ministre qatarien, Hamad Ben Jassem Al-Thani, le 7 juin 2012, mais le flou persiste. "Mes services n’ont pas encore engagé l’étude de cette proposition, qu’ils n’ont pas reçue par écrit", démine Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, interviewé par Le Parisien.
De son côté, Kamel Hamza fulmine, et souligne : "Pour les PME il y a déjà une banque d’investissement, OSEO. Pour les banlieues, il n’y a rien." Depuis l’annonce, son association, l'Aneld, a réuni plus de 400 dossiers. "Autant de personnes dans l’attente, dont certaines ont même engagé entre 1 000 et 3 000 euros pour faire des business plans, puisqu’on exigeait des dossiers sérieux", regrette l’élu. Il rappelle "les 48 heures passées par François Hollande en banlieue pendant la campagne et sa promesse de faire de la jeunesse une priorité".
"On spécule, mais personne ne sait vraiment ce qui s’est passé", tempère Majid-El-Jarroudi, délégué général de l’Adive, qui avait aussi rassemblé des dossiers. "L'initiative du Qatar est une initiative privée, donc ils font ce qu’ils veulent, mais je ne comprends pas que le gouvernement ne nous ait même pas consultés". Et de déplorer "l’espoir suscité" dans les quartiers. Un espoir déçu.
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