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Hongrie : trois questions sur la loi interdisant "la promotion" de l'homosexualité auprès des mineurs

Le texte a été adopté mardi et "stigmatise davantage les personnes LGBTI", estime Amnesty International, qui dénonce "une loi homophobe et transphobe". L'UE va se pencher sur le sujet, mais le risque de sanctions de la Hongrie est limité.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 7min
Des personnes défilent avec leur drapeau arc-en-ciel, symbole de la communauté LGBT, à Budapest (Hongrie), le 6 juillet 2019. (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

Nouveau coup porté à la communauté LGBT+ (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexués) en Hongrie. Le Parlement hongrois a adopté, mardi 15 juin, un texte interdisant la "promotion" de l'homosexualité auprès des mineurs. Cette loi est critiquée par plusieurs ONG, ainsi que par les Etats-Unis, qui y voient une atteinte aux droits des minorités sexuelles en Hongrie. L'organisation Amnesty International dénonce ainsi, dans un communiqué, une loi "homophobe et transphobe" qui "stigmatise davantage les personnes LGBTI, les exposant à une discrimination accrue dans un environnement déjà hostile à leur égard"

La Hongrie, membre de l'Union européenne, avait déjà rendu l'adoption par les couples de même sexe impossible, et a interdit l'inscription du changement de sexe à l'état civil en décembre 2020. Franceinfo vous explique ce qui se joue derrière le vote de cette loi.

1Que contient ce texte de loi ?

Le texte adopté mardi 15 juin en Hongrie déclare que "la pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l'identité de genre, le changement de sexe et l'homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans". Les amendements en question ont été approuvés par 157 députés, dont ceux du parti nationaliste au pouvoir, le Fidesz, au cours d'une séance du Parlement retransmise en direct. L'opposition a boycotté le vote, à l'exception de la formation d'extrême droite Jobbik, qui a voté pour.

Selon plusieurs ONG, cette mesure va conduire à interdire des programmes éducatifs, des publicités, des livres ou des séries dans lesquels l'homosexualité est évoquée. Ainsi, des séries comme Friends ou des films comme Bridget Jones ou Billy Elliot pourraient être interdits aux mineurs.

Les associations de défense des droits LGBT+ redoutent que l'application de ce nouveau texte aggrave la discrimination envers les minorités sexuelles en Hongrie. "Le texte de la loi est, à dessein, très ambigu", souligne Zsolt Szekeres, représentant du comité Helsinki (HHC), une organisation de défense des droits humains. 

2Comment expliquer l'adoption de cette loi ?

Des critiques se sont vite élevées contre cette loi. A Washington, une porte-parole du département d'Etat a ainsi estimé que la loi hongroise établissait des restrictions qui "n'ont pas leur place dans une société démocratique""Cette loi entre dans la logique d'une guerre que mène la Hongrie contre la minorité LGBT, qui a commencé en 2010, lors de l'arrivée au pouvoir de Viktor Orban", le Premier ministre ultraconservateur, analyse auprès de franceinfo l'historien Matthieu Boisdron, rédacteur en chef adjoint du Courrier d'Europe Centrale. Avant 2010, la Hongrie était pourtant l'un des pays les plus progressistes d'Europe centrale : l'homosexualité y avait été dépénalisée dès le début des années 1960 et l'union civile entre conjoints de même sexe reconnue dès 1996.

Au fil des années, la législation contre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres s'est pourtant durcie. En décembre 2020, l'adoption par des couples de même sexe a été interdite et la notion traditionnelle de "genre" a été inscrite dans la Constitution. Cette dernière "stipule désormais que la mère doit être une femme et que le père doit être un homme", rappelle Matthieu Boisdron.

Plus tôt dans l'année, en mai, le Parlement avait voté un texte interdisant la reconnaissance de l'identité de genre des personnes transgenres et intersexuées à l'état civil en Hongrie. Il introduisait la notion de "sexe à la naissance" défini comme "le sexe biologique" dans la loi. "Cela a affecté les documents officiels tels que les cartes d'identité, les passeports et les permis de conduire des personnes transgenres", explique l'historien.

Selon lui, le Fidesz, qui gouverne en coalition avec un petit parti catholique conservateur (le KDNP), se pose de cette manière en défenseur de "la culture chrétienne". Viktor Orban a ainsi promis l'instauration d'une "nouvelle ère" culturelle visant à défendre ces valeurs traditionnelles. Et cette politique séduit "une grande partie" de la population, selon Matthieu Boisdron, "parce que le pays n'est pas passé par la période de libéralisation des mœurs des années 1970 qu'a connue l'Europe occidentale". Plus de 5 000 Hongrois ont tout de même manifesté, lundi, à Budapest contre le projet de loi, fustigeant les "cruelles campagnes politiques" du pouvoir.

3Comment réagit l'Union européenne, dont la Hongrie fait partie ?

La Hongrie est membre de l'Union européenne depuis 2004. Or la Charte des droits fondamentaux de l'UE interdit toute discrimination basée sur l'orientation sexuelle. Budapest est donc régulièrement accusée par Bruxelles d'atteintes à l'Etat de droit. D'autant que la Commission européenne a présenté, en novembre 2020, une stratégie destinée à lutter contre les discriminations et la haine envers les personnes LGBT+.

La Commission européenne a annoncé, mercredi, qu'elle était en train "d'analyser" le texte adopté mardi. Sur Twitter, sa présidente, Ursula von der Leyen, "très" préoccupée, a rappelé que "personne ne devrait faire l'objet d'une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle"
"Nous sommes en train d'analyser activement la législation qui a été adoptée", a déclaré une porte-parole de la Commission, Dana Spinant, interrogée lors du point de presse quotidien. "Ce que nous ferons va dépendre de ce que nous allons trouver. Nous devons regarder sur quels aspects et points la législation respecte ou ne respecte pas la législation européenne, les principes de l'UE ou la Charte des droits fondamentaux", a-t-elle ajouté, rejetant les accusations de timidité. 

Reste que, selon Matthieu Boisdron, "il n'y a pas vraiment de mécanisme qui permet de contraindre le gouvernement" hongrois. "L'Union européenne a évoqué l'idée de contraindre la Hongrie en lui octroyant moins de fonds européen dans le cadre du plan de relance, qui est conditionné à l'Etat de droit. Mais il est compliqué d'influer sur un gouvernement souverain", souligne-t-il. Depuis 2018, la Hongrie est d'ailleurs visée par une procédure – article 7 du traité – déclenchée par le Parlement européen pour "violation grave" des valeurs de l'UE. Mais cette procédure se trouve actuellement au point mort.

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