: Vrai ou faux Les peines planchers réclamées par des syndicats de police sont-elles efficaces ?
Ils souhaitent des peines "minimales", "incompressibles, "automatiques" et "systématiques" pour les agresseurs de policiers. Mais un dispositif de peines planchers, en vigueur en France de 2008 à 2014 pour lutter "contre la récidive des majeurs et des mineurs", a connu un bilan mitigé.
La mort du policier Eric Masson continue de raviver d'anciens débats. A la suite du drame survenu le 5 mai à Avignon (Vaucluse), de nombreux syndicats de police ont réclamé le rétablissement de peines planchers pour les délinquants qui s'en prennent aux membres des forces de l'ordre.
"On veut que des peines minimales et incompressibles soient appliquées aux agresseurs de policiers", a déclaré François Bersani, d'Unité SGP Police, mercredi 19 mai, lors de la manifestation de policiers devant l'Assemblée nationale, à Paris. "Des peines minimales exemplaires doivent être instaurées", a plaidé Fabien Vanhemelryck, du syndicat Alliance, lors de ce même rassemblement. Jean-Christophe Couvy, de SGP Police-FO, avait également déclaré, le 12 mai, souhaiter des peines "automatiques et systématiques dès lors qu'on s'attaque à des policiers".
Des personnalités politiques, à droite, ont formulé le même vœu, comme le maire de Nice, Christian Estrosi, et le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand. Mais les peines automatiques sont-elles vraiment efficaces ? Franceinfo revient sur les effets d'un tel dispositif.
Expérimentation entre 2007 et 2014
Le principe d'automaticité de certaines peines n'est pas totalement inconnu en France. Des peines planchers ont été appliquées entre 2007 et 2014 pour lutter "contre la récidive des majeurs et des mineurs". Portées par Nicolas Sarkozy, une loi a été promulguée dès l'été 2007. Ces mesures ont été ensuite abrogées sous la présidence de François Hollande avec la réforme pénale menée par Christiane Taubira.
Ces peines plancher ne concernaient pas spécifiquement les agressions ciblant des forces de l'ordre. Elles s'appliquaient dès la première récidive (donc à partir de la seconde condamnation) aux délits punis d'au moins trois ans d'emprisonnement. Elles touchaient aussi les auteurs non-récidivistes de certains délits de violences volontaires, comme les vols en réunion avec violence et avec arme. Les juges pouvaient toutefois y déroger en motivant expressément leur choix.
Aggravation de la surpopulation carcérale
Selon une étude d'impact publiée en 2013 (en PDF) par le ministère de la Justice, la loi de 2007 a entraîné "l’allongement de la durée moyenne des peines de prison ferme (en moyenne, évolution de 8,2 mois à 11,3 mois d’emprisonnement ferme)". Entre 2008 et 2011, avec l'application des peines plancher, 4 000 années de prison supplémentaires ont été prononcées chaque année par les tribunaux français.
Une "partie importante" de "l'inflation carcérale" vient de la loi du 10 août 2007, avait affirmé Jean-Paul Jean, avocat général à la Cour de cassation et professeur associé à l'université de Poitiers, lors de conférence de consensus sur la prévention de la récidive, en 2013. Les peines plancher avaient entraîné mécaniquement davantage d'incarcérations, engorgeant les prisons françaises déjà bondées. La France comptait, en 2013, 66 572 personnes détenues pour 56 992 places opérationnelles, rapporte le site officiel de l'administration française.
Difficultés lors des sorties de prison
Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature, explique à franceinfo que cette augmentation de la surpopulation carcérale a compliqué le travail de l'administration pénitentiaire, des services d'insertion et de probation et des juges d'application des peines sur la préparation de la sortie des personnes incarcérées.
Or, les sorties sans soutien, aussi appelées "sorties sèches", sont liées à davantage de récidives, a rappelé le Groupe national de concertation prison (qui rassemble plusieurs associations impliquées dans le milieu carcéral), en 2019, lors des 26e Journées nationales prison (en PDF). C'est aussi ce qu'avait montré, entre autres, cette étude de 2011. Concrètement, lorsqu'il sort de prison, l'ancien détenu doit trouver ou retrouver un logement, un emploi, ou s'inscrire dans une formation professionnelle, et tenter de reprendre des relations apaisées avec sa famille ou son entourage si jamais la condamnation les concerne ou les implique. Lorsqu'il n'a pas de soutien, cette insertion est plus difficile.
Quelques années après la loi du 10 août 2007, la surpopulation des prisons était telle que les juges ont fini par massivement déroger au dispositif car "le système était en train d'imploser", selon Sarah Massoud. En 2010, "les peines minimales sont retenues dans 38% des cas éligibles", relevait le ministère de la Justice dans son bulletin d’information statistique (en PDF). De plus, les disparités étaient grandes selon les territoires. Sur la période 2007-2012, le taux d'application des peines plancher était de 28,8 % pour la Cour d’appel de Paris, 55,2% pour celle d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) et jusqu’à 68,9 % à Fort-de-France (Martinique), relevait le think tank Terra Nova (proche du PS).
"Inutile" pour les crimes, "résultat paradoxal" pour les délits
Le dispositif des peines planchers s'est avéré "inutile" en matière de crime, avait estimé l'avocat général Jean-Paul Jean dans un entretien au Monde en 2013. Avant cette loi, les récidivistes étaient "sanctionnés plus sévèrement", relevait ce magistrat qui avait dressé un bilan de la loi de 2007 lors de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, en 2013.
"En matière de délits, la loi a eu un résultat paradoxal : plus les infractions sont légères, plus les peines minimales sont appliquées", avait-il ajouté. Et de poursuivre : "Elaboré pour lutter contre la récidive d'actes graves, le dispositif des peines minimales s'est donc appliqué essentiellement aux 'petites' infractions répétitives."
De façon générale, durcir la réponse pénale, notamment à travers la mise en place de peines planchers, s'avère inefficace, selon le sociologue Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la délinquance. Il l'avait démontré, en 2007, dans une méta-analyse d'études disponibles en Europe et en Amérique du Nord. "Les politiques favorisant un recours à des punitions plus importantes ne garantissent ni une diminution de la délinquance ni une moindre récidive de la part des individus concernés", déclarait le chercheur dans Le Monde. "Plusieurs études, parmi les plus précises, montrent même un effet inverse à celui recherché en matière de récidive : celle-ci tend à augmenter sous l’effet des sanctions plus sévères", avait-il également écrit.
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