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Manifestation pro-palestinienne à Sarcelles : le procès de "casseurs" très ordinaires

Les personnes interpellées dimanche, en marge d'un rassemblement en soutien à la bande de Gaza qui a dérapé, ont été jugées en comparution immédiate, mardi. Des peines de prison ferme ont été prononcées.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Scène de guérilla urbaine, dimanche 20 juillet, à Sarcelles (Val-d'Oise), en marge d'une manifestation pro-palestinienne. (PIERRE ANDRIEU / AFP)

Ce n’est pas le procès des violences antisémites, ni même vraiment celui de véritables "casseurs" qui a eu lieu, mardi 22 juillet, au tribunal de grande instance de Pontoise (Val-d'Oise). Cinq personnes comparaissaient à l’issue de leur garde à vue, toutes arrêtées dimanche 20 juillet, en marge d'un rassemblement de soutien à la Palestine à Sarcelles qui a dégénéré. Le procureur le martèle : ce dont les cinq prévenus sont accusés, les uns après les autres, ce n’est pas d’avoir participé à une manifestation interdite par la préfecture. Leurs convictions quant au conflit israélo-palestinien ne sont pas non plus mises en cause.

Jets de bouteilles ou de canettes, port d'arme prohibée, vol de paquets de cigarettes lors d'un pillage : les faits reprochés représentent plutôt un éventail des violences et actes de vandalisme qui peuvent avoir lieu en marge d’une manifestation qui dérape. Quelques dizaines de jeunes s’en étaient en effet pris aux forces de l’ordre et aux commerces, s'attaquant notamment à une épicerie casher dans cette ville à la forte communauté juive. Un cocktail molotov avait aussi été lancé sur une synagogue.

Il assume avoir lancé des projectiles sur les CRS

Les deux premiers prévenus, deux frères, sont accusés d’être les auteurs d’un jet de bouteilles sur des policiers. Arrêtés à l’écart de la manifestation, ils expliquent qu’ils étaient sortis acheter du pain à la demande de leur mère, et se sont trouvés au mauvais endroit au mauvais moment. L’un d’eux portait un tee-shirt "Viva Palestine", qu'il dit avoir trouvé dans l’ascenseur et enfilé "pour le fun". "Si j'avais trouvé un tee-shirt avec marqué 'Venezuela' ou 'Grèce', je l’aurais mis aussi", se défend-il. Sans casiers judiciaires, les deux hommes sont condamnés à 3 mois prison ferme et 3 autres avec sursis. Ils dormiront le soir même en prison.

Le suivant est le seul a s’être trouvé au cœur des affrontements avec la police, même si, comme tous les autres, il dit ne pas s’être rendu à la manifestation : il n'était même pas au courant. "Ce n’est pas un idéologue", reconnaît le procureur, qui répétera, à propos de tous les prévenus, qu’il "ne faut pas leur faire endosser un costume trop grand". Le jeune homme de 21 ans explique être tombé sur les échauffourées entre casseurs et CRS alors qu’il rentrait à pied chez lui, à Garges-lès-Gonesse, à cause d’une panne de RER. Son avocat affirme qu’il a réagi après avoir reçu des gaz lacrymogènes. Le prévenu assume, en tout décontraction, avoir alors lancé des objets, dont une canette, en direction des policiers, par mimétisme. Deux d’entre-eux se sont portés parties civiles. Récidiviste, après de multiples faits de violences commis au sein d'un foyer pour mineurs, il écope de six mois de prison ferme, la plus lourde peine prononcée à ce jour dans les procès en marge des manifestations pro-palestiniennes. Une sanction "sévère, mais pas disproportionnée", juge son avocat qui ne croit pas que le tribunal ait voulu faire d’exemple.

"Comment peut-on être pour la paix en portant une arme ?"

Troisième dossier. C'est un homme de 28 ans qui comparaît. Père de famille à la situation stable malgré une condamnation en 2009, il a été interpellé après un contrôle de police sur le chemin de la manifestation, en possession d’un Taser et d’un keffieh palestinien, "pour le symbole". Informé du rassemblement sur les réseaux sociaux, il assure qu’il ne savait rien de l’interdiction. Il s’y rendait "pour soutenir les victimes des deux camps". Il dit d'ailleurs ne pas se sentir concerné par le conflit en lui-même. Son avocate décrit son enfance à Sarcelles, la "petite Jérusalem", et ses voisines juives qui échangeaient des gâteaux avec sa mère pour Kippour et l’Aïd. Reste que l’arme, qu’il dit porter au quotidien pour se défendre contre les agressions – "Il y en a beaucoup" dans le quartier de la gare de Sarcelles, explique-t-il – représente "un risque considérable", selon le procureur. "Je ne vois pas comment on peut être dans une dynamique de paix en étant porteur d’une arme", estime le magistrat. Le jeune homme est finalement condamné à 3 mois de prison ferme, une peine aménageable.

Le dernier prévenu comparaît pour "recel de vol". Sorti lui aussi pour acheter le pain, dit-il, cet "élève modèle" d’à peine 18 ans, tel que le décrit la présidente du tribunal, est resté dehors pour assister aux pillages des commerces du centre-ville de Sarcelles. "La même curiosité que ces automobilistes qui freinent sur l’autoroute pour regarder les accidents", décrit la défense. Des casseurs ont détruit le rideau de fer d’un tabac et en sortent les bras chargés de paquets de cigarettes. Le jeune prévenu en ramasse quatre sur le trottoir et s’enfuit en courant en compagnie de deux amis, mineurs. Tous les trois sont arrêtés quand ils croisent la route des policiers. Le procureur se lamente sur la rupture du lien social : en effet, le jeune et le propriétaire du tabac se connaissent bien car ils appartiennent tous deux à la communauté turque de Sarcelles. Il échappe à la prison au profit d'une peine alternative.

"Le procureur a suivi la volonté politique"

Reste que la salle d’audience du tribunal de grande instance apparaît bien grande pour ce jeune de 18 ans et ses quatre paquets de cigarettes. "Il fait une entrée fracassante dans le monde des adultes", ironise son avocate. Le conseil des deux premiers prévenus avait pointé du doigt, lors de sa plaidoirie, la présence des journalistes "venus rendre compte [des condamnations] que tout le monde attend".  Après la condamnation de ses clients, il dénonçait la volonté de répondre à l'émotion du tribunal. "Le procureur a suivi la volonté politique. Ce ne sont pas forcément des faits qui sont habituellement poursuivis. Les actes antisémites appelaient une réponse, mais je pense que le tribunal aurait pu faire la part des choses." 

Une chose est sûre : les cinq prévenus reconnus coupables ce 22 juillet, dont un seul se rendait à la manifestation, et dont la majorité avait un casier judiciaire vierge, ressemblaient sans doute peu aux responsables des scènes de guérilla urbaines qui avaient tant choqué dimanche.

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