Menaces, courriers farfelus... quand une caisse de retraite déraille complètement
La Cipav est une caisse de retraite de professions libérales. C'est surtout un cauchemar pour ses adhérents. La Cipav accumule en effet les erreurs. Les adhérents reçoivent des demandes incompréhensibles demandant des sommes injustifiées. Et les courriers s’accumulent dans cet organisme dont les employés ne savent plus où donner de la tête...
A Orléans, par exemple, on refuse de verser sa retraite à un adhérent parfaitement en règle : il l’attend depuis 14 mois. A Bordeaux, on demande 9 000 euros d’arriérés déjà payés à un autre affilié, qui ne sait plus quoi faire.
Mais il y a pire. Nicolas Mathieu est professeur des écoles. La Cipav lui a réclamé une somme astronomique, alors qu’il n’y est même pas affilié. "Un jour, j’ai reçu une lettre de la Cipav, organisme que je ne connaissais pas : elle me demandait de régler la somme de 200 000 euros. Deux semaines plus tard, j’ai reçu un recommandé de leurs avocats : là j’ai compris que ce n’était pas une blague. Maintenant j’en ris, mais, à l’époque, ça ne m’a vraiment pas fait rire du tout, surtout que l’affaire a duré plusieurs mois. Ce qui fait vraiment, peur, c’est que vous ne pouvez jamais contacter personne. Et puis, miraculeusement, j’ai reçu une lettre qui disait que mon dossier était clôturé."
Le cauchemar de milliers d’affiliés
Trois associations de victimes de la Cipav ont vu le jour. Geneviève Decrop gère l’une d’entre elles, SOS Cipav. Elle voit passer des affiliés qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. "On a des gens qui se mettent sous neuroleptiques ou qui prennent des somnifères. Ils reçoivent un courrier où on leur dit : 'Vous devez telle somme', et puis une semaine après la somme a changé. Ils ne savent plus à quel saint se vouer. La manière dont la Cipav ne répond pas, envoie l’huissier, hors de toute procédure autorisée, avec des lettres de menace... en fait c’est Kafka !"
Entre autres causes à ces erreurs, un système informatique défaillant, qu’on pourrait qualifier d’accident industriel, qui a été commandé sans passer d’appel d’offre… En toute illégalité. Un système informatique qui aura finalement couté 50 millions d’euros à la Cipav au lieu des 2 millions initialement prévus. Sans compter qu’il ne fonctionne pas et génère des courriers automatiques ubuesques.
L’avocat Dimitri Pincent, qui conseille les victimes de la Cipav, décrit quelques-uns de ces courriers farfelus reçus par ses clients : "On a des courriers qui ne sont absolument pas renseignés, c’est-à-dire que, dessus, on a l’identification du destinataire, une formule de politesse et c’est tout. Au début, ça fait rire l’adhérent mais quand il en reçoit deux ou trois comme ça, il rit jaune. Quelqu’un qui n’arrivait pas à faire valoir ses droits a reçu trois courriers de deux pages contenant uniquement des croix et des blancs. Il y a bien quelqu’un qui l’a mis sous enveloppe ! Il n’y a aucun contrôle, aucun garde-fou."
Un rapport au vitriol
Il a fallu attendre 2014 pour que la Cour des comptes décide de mettre son nez dans les affaires de la CIPAV, et rédige un rapport qui met à mal la direction et incendie la gestion de la caisse de retraite.
Cela débouche sur la condamnation de deux anciens directeurs et la nomination d’un nouveau patron issu des rangs de la sécurité sociale, Olivier Selmati. Il reconnaît l’ampleur de la tâche qu’il doit régler : "Quand je suis arrivé au service courrier il y avait dans des sacs 30 000 lettres qui n’étaient pas ouvertes. Alors, quand un adhérant appelait la plateforme, on lui disait que non, on n’avait pas reçu son courrier… Alors, il en renvoyait. Quinze jours après mon arrivée, j’ai demandé à cent salariés volontaires d’ouvrir les courriers. Nous avons également ouvert de nouvelles plateformes téléphoniques, mais il y a encore des axes d’amélioration."
Des axes d’amélioration : un euphémisme. La situation est tellement dégradée qu’on se demande si la Cipav va un jour venir à bout de ses problèmes. Selon Vanessa Leconte, la défenseure des droits en charge de la protection sociale, qui reçoit toujours autant de plaintes des affiliés de la caisse, il va falloir du temps, beaucoup de temps : "Les difficultés vont perdurer pendant plusieurs années, parce qu’on a de gros problèmes de recouvrement de cotisations, et les personnes concernées vont s’en rendre compte au moment de la liquidation de leur pension, peut-être dans deux, trois, dix ans… Le passif est tel qu’il faudra plusieurs années pour redresser l’organisme."
Récemment, la Cour des comptes est revenue mettre son nez dans les affaires de la Cipav : elle y enquête en ce moment même.
A LIRE AUSSI ►►► Une enquête d'Anne-Laure Chouin diffusée le vendredi 13 mai 2016 à 19h20 dans Secrets d'Info
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.