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Essais nucléaires français en Polynésie : "Les associations de victimes demandaient plus de l'Etat", estime un spécialiste

L'enseignant chercheur à l'université de Princeton reconnaît toutefois à Emmanuel Macron la "volonté de faire plus de transparence" sur le dossier des essais nucléaires en Polynésie.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Emmanuel Macron, à Papeete, le 27 juillet 2021. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Les associations de victimes demandaient plus de l'Etat", a estimé mercredi 28 juillet sur franceinfo Sébastien Philippe, enseignant chercheur à l'université de Princeton (États-Unis), à propos des essais nucléaires français réalisés en Polynésie de 1966 à 1996. Alors qu'Emmanuel Macron a déclaré à Papeete que la France avait "une dette" envers la Polynésie française, Sébastien Philippe a notamment regretté que la "demande de pardon" ne soit "pas venue" et qu'"un élargissement des indemnisations" n'ait pas été annoncé. 

franceinfo : Y'a-t-il, dans la prise de position d'Emmanuel Macron, quelque chose qui constitue un changement réel par rapport aux précédents chefs d'Etat ?

Sébastien Philippe : Oui. Déjà, on a vu la volonté de faire plus de transparence sur ce dossier, l'ouverture des archives sera, je l'espère, importante et en masse : aujourd'hui on n'a encore toujours pas accès à beaucoup d'informations. Le deuxième point très important, ce sont les mots du président concernant les essais, notamment aériens, de 1966 à 1974 : on ne peut vraiment pas dire qu'ils étaient propres. On a bien exposé les populations polynésiennes à des retombées atmosphériques à l'époque.

C'est ce qui ressort notamment de votre enquête, avec des dégâts et des utilisations absolument pas reconnus aujourd'hui. Lorsqu'Emmanuel Macron parle de "vérité" et de "transparence", cela voudra-t-il dire bousculer des décisions importantes ?

Nous avons montré dans notre enquête que plus de 90% de la population polynésienne de l'époque, donc 70 000 personnes, avait été exposée à des niveaux qui, aujourd'hui, si ces personnes venaient à développer certains cancers, leur permettrait de demander une indemnisation. Sur ce point-là, c'est pour moi une petite déception : on n'a pas discuté, vraiment, du problème des chiffres et de ces expositions-là. Mais on a hâte de pouvoir débattre de cela dans les semaines et les mois qui viennent, en espérant que le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires fasse table rase et re-réfléchisse à tous les critères et toutes les données qu'il utilise pour rendre ces décisions d'indemnisation. Aujourd'hui, on a encore au moins deux acteurs historiques sur le ministère des Armées et le Commissariat à l'énergie atomique. Emmanuel Macron a dit que les militaires n'avaient pas menti mais qu'il y avait eu des risques pris qui n'étaient pas mesurés, y compris par les militaires à l'époque. Bon, certains mensonges sont quand même très bien documentés aujourd'hui et depuis longtemps. Mais cela reste positif qu'il reconnaisse le fait qu'on n'ait pas vraiment réfléchi à tout quand on a conduit ces essais nucléaires et notamment à l'impact que ça a pu avoir sur les populations locales.

Quand Emmanuel Macron parle d'ouverture des archives sauf certaines parce que secret défense, implication forte, ça limite beaucoup ?

Toutes les archives sont probablement classées secret défense ou confidentielle défense, voire plus. Il est important qu'on déclassifie tout ça pour avoir une histoire partagée comme le président l'a dit, et pas à sens unique. Certaines archives, comme le plan des armes, ne seront certainement pas partagées avec qui que ce soit. Mais il y a beaucoup de documents qui seront utiles à la compréhension de ce qui a pu se passer, sur la connaissance des autorités, sur les événements et surtout pour enfin pouvoir faire une analyse complète des impacts environnementaux et sanitaires de ces essais, de manière transparente et indépendante.

On ne parle pas que d'Histoire : certes, les derniers essais nucléaires français dans cette région remontent à 1996, mais des impacts il y en a encore aujourd'hui avec des enfants, petits-enfants qui sont touchés, avec des maladies, des cancers. C'est aussi une histoire d'aujourd'hui? Est-ce que ce que dit Emmanuel Macron aujourd'hui résonne fortement en Polynésie française, notamment parmi les familles de victimes?

C'est une histoire d'aujourd'hui, pas forcément sur ce qu'on appelle les effets transgénérationnels. Ceux qui ont été le plus impactés étaient ceux qui étaient présents au moment des essais aériens. Beaucoup d'enfants à l'époque ont 40, 50, 60 ans aujourd'hui et vont avoir des pathologies et c'est à eux que je pense, notamment aux habitants des Tuamotu qui ont été fortement impactés avec des doses très importantes. Je pense que les associations de victimes, aujourd'hui, demandaient plus de l'Etat. Sur la demande de pardon, d'abord, qui n'est pas venue. Et sur un élargissement des indemnisations, ensuite, qui n'a pas encore été annoncé. Les prochaines batailles pour ces associations, ce sera face au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires puis peut-être des batailles juridiques dans les tribunaux administratifs.

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