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Vidéo Violences carcérales : un ex-détenu porte plainte contre un surveillant de la maison d'arrêt des Hauts-de Seine

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Durée de la vidéo : 3 min
6media VIOLENCES CARCERALES LINHLAN JT V2 19/11
Violences carcérales : un détenu accuse un surveillant de l'avoir violemment frappé 6media VIOLENCES CARCERALES LINHLAN JT V2 19/11 (FRANCEINFO)
Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions

Un ancien détenu accuse un surveillant de lui avoir donné un coup de pied "gratuitement" dans sa cellule, sous le regard de ses collègues. L'agression se serait déroulée en novembre 2019. Franceinfo a reconstitué sa version des faits grâce aux images de vidéosurveillance.

Mouss* nous reçoit dans un petit appartement parisien, où il vit avec sa famille. Habitué des tribunaux, l'ex-détenu est passé du côté des plaignants. Il a porté plainte le 5 décembre 2019 contre plusieurs surveillants de la maison d'arrêt des Hauts-de-Seine. Il assure que l'un d'entre eux, Mickaël*, l'a frappé. 

Le 21 novembre 2019, Mouss sollicite un entretien pour demander à changer de cellule. Il ne s'entend pas avec son codétenu et souhaite être placé avec un ami. Le chef des surveillants, Mickaël, le rejoint dans une salle d'attente. Il aurait alors dit au détenu : "Soit tu rentres dans ta cellule de force, soit tu rentres calmement". Enervé, Mouss refuse d'obtempérer. La situation dégénère. "Il m'a attrapé. J'ai essayé de me débattre, mais sans donner de coups. Je sais très bien qu'on est en prison, donc on ne peut pas gagner", relate Mouss.  

Le chef des surveillants appelle du renfort. A 13h54, le détenu est escorté par un groupe de sept surveillants vers sa cellule. Sur des extraits de la vidéosurveillance, dont nous avons pu prendre connaissance, Mouss est porté par quatre agents dont Mickaël, qui le soulève par le tee-shirt. Mouss ne se débat pas, il retient son col par les deux mains pour éviter de s'étrangler. Son corps ne touche pas le sol. "Une prise en charge non professionnelle", peut-on lire dans un compte-rendu d'enquête du parquet de Nanterre.

Il m'a mis un coup de pied à la gueule.

Mouss, ex-détenu et plaignant

A 13h55, Mouss est déposé dans sa cellule. C'est à ce moment-là qu'il aurait été frappé, alors qu'il était encore à terre. "Ils m'ont jeté comme un chien. Il [Mickaël] est venu volontairement, il m'a mis un coup de pied à la gueule. Les autres surveillants, ils regardaient, ils étaient choqués. Comme si de rien n'était, ils ont fermé la porte, ils sont partis”. Son codétenu a assisté à la scène. Il donne la même version à la police : "Ils ont jeté mon co par terre, et direct le gradé lui a fait des écrasements de tête. Il l'a laissé en sang par terre".

Dans sa déposition, Mickaël conteste la version de Mouss. Il explique que le détenu lui a agrippé la jambe et qu'il aurait perdu l'équilibre, son pied allant heurter le visage du détenu. "Lui était peut-être dans un effet tunnel, et il l'a peut-être vécu comme tel. Je confirme l'avoir blessé mais je regrette, c'était totalement involontaire. A mon sens, c'est même lui qui est la cause de sa blessure, de la part de son attitude". Quant aux autres agents, certains déclarent n'avoir vu aucune blessure (volontaire ou involontaire), d'autres modifient le lieu où se serait déroulée la chute. 

La vidéosurveillance pour éclairer le contexte

Les caméras de vidéosurveillance donnent sur la coursive, mais pas sur l'intérieur des cellules. Si les vidéos ne permettent pas de lever le doute, elles permettent de comprendre le contexte de l'agression présumée. La cellule de Mouss est restée ouverte pendant plus d'une minute, laps de temps pendant lequel Mickaël se trouvait à l'intérieur, avec le détenu. Les six autres surveillants semblent regarder vers l'intérieur de la cellule, sans inquiétude. A un moment, Mickaël repousse de son pied droit quelque chose au sol, afin de pouvoir refermer la porte. 

Plus d'une demi-heure plus tard, au moment de la promenade, Mouss est envoyé à l'infirmerie par une surveillante. Il est transféré aux urgences de l'hôpital Max-Fourestier à Nanterre (Hauts-de-Seine), puis à la Fondation Rothschild, à Paris, pour un examen ophtalmologique. Il présente un traumatisme orbitaire gauche et une plaie au niveau de la paupière supérieure nécessitant une suture. L'unité médico-judiciaire lui prescrit dix jours d'ITT. 

Une condamnation pour des faits similaires en 2015

Le chef des surveillants doit être jugé pour "violence aggravée par deux circonstances suivie d'incapacité supérieure à huit jours". Les circonstances aggravantes : la violence a été exercée par un agent dépositaire de l'autorité publique dans un local public. Cinq autres agents seront jugés pour "abstention volontaire d'empêcher un crime ou un délit contre l'intégrité d'une personne". Mickaël avait déjà été condamné pour des faits similaires en 2015. Il avait donné un coup de poing à un détenu. La violence a pu être établie grâce aux images de vidéosurveillance. S'il y a bien récidive, il encourt 14 ans de prison et 200 000 euros d'amende. L'affaire sera jugée le 15 avril 2021 devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

Pour l'avocate de Mouss, Emilie Bérengier, les démarches judiciaires ont été compliquées. Elle n'a pu rencontrer son client que dix jours après l'agression présumée. L'avocate a demandé à la directrice de l'établissement pénitentiaire la conservation des vidéosurveillances, sans recevoir de réponse. "J'ai saisi une entité qui s'appelle Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Ils ont eu plus de poids que moi". En effet, la demande aboutit. "Je crois avoir eu le bon réflexe parce que sinon, nous n'aurions peut-être pas eu de vidéosurveillance", estime-t-elle.

L'avocate du prévenu entend demander la relaxe de son client. Elle n'a pas souhaité répondre à nos questions. Pour comprendre les origines de ces violences en milieu carcéral, franceinfo a rencontré Philippe Kuhn, surveillant pénitentiaire à la maison d'arrêt de Seine-Saint-Denis et secrétaire général adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillant(e)s (SPS). Il nous accueille dans son local syndical. 

Il y a 99,5% des agents qui font bien leur travail.

Philippe Kuhn, secrétaire général adjoint du Syndicat pénitentiaire des surveillant(e)s

à franceinfo

"Il est vrai que dans notre profession, on a des collègues qui peuvent arriver à déraper, concède-t-il, mais il faut voir aussi le contexte". "Il y a 99,5% des agents qui font bien leur travail. Pour comparer, on voit qu'il y a des collègues policiers qui dérapent sur certaines manifestations, et ce n'est pas pour ça qu'il faut juger toute une profession'. 

Philippe Kuhn préfère attirer l'attention sur les agressions de détenus envers des surveillants. L'administration pénitentiaire (AP) a recensé, en 2018, 4 314 agressions physiques contre des agents, ainsi que 8 883 actes d'agression physique entre détenus.

Des conditions de travail difficiles pour les agents

"La surpopulation carcérale est un des contextes qui font que c'est très difficile, explique-t-il. Si demain, on vous met à trois dans une cellule à trois dans une cellule de 9 mètres carrés, ça va générer des tensions !" Pour le syndicaliste, le métier de surveillant n'est pas fait pour tout le monde : "Vous avez des détenus qui sont particulièrement violents et agressifs, qui sont habitués aux conditions de détention. Ils savent très bien qu'on a une population de jeunes agents, parfois très jeunes, donc ils essaient de mettre un peu de pression psychologique envers les surveillants". 

Le surveillant déplore aussi les lacunes dans le recrutement des agents. C'est que le métier attire peu. Le ministère de la Justice a même lancé cet automne une campagne pour recruter 850 candidats. Philippe Kuhn affirme qu'aujourd’hui, des candidats sont acceptés "à trois de moyenne" au concours. Certains ne passeraient pas d'entretien psychologique afin d'évaluer s'ils sont compatibles avec le métier. 

Un rapport sur les violences envers les détenus

Entre 2017 et 2019, l'Observatoire international des prisons (section française) a reçu près de 200 appels ou courriers de détenus déclarant avoir été violentés par des personnels pénitentiaires. Pour l'association, ces signalements ne seraient "que la partie émergée de l'iceberg".

Dans un rapport publié en juin 2019, l'OIP dénonce un système qui permet à des violences de perdurer. Des violences qui, selon le rapport, surviennent à l'abri des caméras de vidéosurveillance et sans témoins. Cette enquête mentionne également le risque de représailles pour ceux qui souhaiteraient les dénoncer, qu'ils soient détenus ou agents pénitentiaires. L'association précise toutefois que ces violences sont le fait d'une minorité.

* Les prénoms ont été modifiés

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