Des sites de petites annonces gratuites, nouveaux repaires de la prostitution
Vivastreet, le deuxième site de petites annonces gratuites en France après LeBonCoin, est visé dans une plainte pour proxénétisme sur mineure. Certains sites d’annonces gratuites sont devenus de nouveaux territoires de la prostitution. Laetitia Saavedra a enquêté pour franceinfo.
Sur internet, derrière des petites annonces de massages ou de rencontres, se cachent parfois une activité illégale. VivaStreet est un site de petites annonces gratuites et se vante de rendre disponible "70 000 offres d'emploi sur toute la France". En 2011, son fondateur Yannick Pons, a été classé 465e fortune de France par le magazine Challenges, avec un chiffre d’affaires de 70 millions d’euros.
Mais, ce site abrite aussi des annonces payantes dont certaines sont passées par des prostituées parfois mineures. C'est le cas d'une jeune fille de 14 ans qui a posté une petite annonce pour se prostituer, dans la rubrique "adultes" et payante du site. Dans cette annonce, elle s’était présentée comme une "masseuse" de 20 ans. Ses parents, furieux contre le site internet, ont porté plainte, mercredi 16 novembre 2016, pour proxénétisme sur mineure.
L’adolescente a aujourd’hui 15 ans. Elle est en fugue depuis cinq mois, après avoir été déscolarisée et fait plusieurs tentatives de suicide. Avant de fuguer, elle a confié à ses parents qu’elle se prostituait et leur a montré son annonce sur VivaStreet disparue depuis.
Hausse de la prostitution de mineurs sur le web
Depuis plusieurs mois, les parents de la jeune fille font tout ce qu’ils peuvent pour la sortir de cette situation. Ils ont fait appel à un détective, ils ont saisi le Parquet et ont contacté plusieurs associations, toujours sans résultat. Furieux contre VivaStreet, ils ont finalement porté plainte pour proxénétisme sur mineure. "Je me dis qu'il faut en parler dans les médias pour que ça n'arrive pas à d'autres", explique le père en larmes. Selon lui, sa fille n’est pas la seule à se trouver dans cette situation.
À en croire son père, sa fille aurait rencontré un petit caïd qui ferait déjà travailler plusieurs escortes. Chacune toucherait ainsi 8 000 euros par mois. Dans un échange sur Facebook auquel le père de la jeune fille a eu accès, ce proxénète souhaiterait qu’elle le rejoigne. Pour cela, il lui donne des conseils, lui parle de l’annonce qu’il va déposer sur internet et lui demande "qu'elle soit propre, qu'elle se rase, qu'elle n'oublie pas sa jupe".
Effectivement, est apparu depuis plusieurs mois un nouveau phénomène de proxénétisme de cités, via des sites généralistes comme VivaStreet.
Des jeunes femmes souvent mineures, désocialisées, placées en foyer, sont exploitées dans des appartements, dans des zones hôtelières en périphérie des cités, en agglomération parisienne et dans le sud de la France
L’OCRTEH (office centrale pour la répression de la traite des êtres humains) observe une hausse de la prostitution des mineurs depuis deux ans. En 2014, 28 mineurs ont été identifiés comme des victimes de réseaux d’exploitation sexuelle, et 66 en 2015. Ces chiffres ne reflètent sans doute pas la réalité, qui est probablement supérieure.
Qui derrière les annonces de "massages" ?
Pour le savoir, un membre de l’équipe de Secrets d’Info s'est fait passer pour un visiteur lambda de ces sites d’annonces gratuites. Il a appelé une dizaine de femmes ayant posté des annonces de massages sur le site de VivaStreet. A chaque appel, il a eu ce genre de réponses : "La demi-heure c'est 100€, l'heure c'est 200€, je fais tout sauf la sodo et je reçois chez moi".
Pour vérifier si les visiteurs de ces sites sont des clients potentiels de prostitués, la journaliste Laetitia Saveedra a posté une annonce sur deux sites : VivaStreet, et Sugar Daddy, un site français qui propose à des hommes mûrs d’entretenir des jeunes femmes en manque d’argent. L' annonce se présentait comme ceci : "brunette sexy de 19 ans qui fait des massages et qui reçoit chez elle". En quelques jours, une centaine de réponses par mail. Des hommes demandant systématiquement quel était le tarif, les pratiques sexuelles et les disponibilités.
Ces mails de première prise de contact ont été envoyés via le site de VivaStreet. Par la suite, les échanges se sont faits par le biais de messageries personnelles, en dehors du site de Vivastreet. Sur SugarDaddy en revanche, la correspondance a pu se faire en intégralité sur l’espace de dialogue privé et instantané du site.
Est-il possible pour une mineure de trouver des "clients" ?
Laetitia Saveedra a cherché à vérifier s’il était possible pour une mineure d'avoir des"clients". Elle a donc répondu à une dizaine d’hommes qui l'avaient contactée par mail, écrivant qu'elle n'avait pas 19 ans mais 15 ans. Huit sur dix ont accepté : quatre sur VivaStreet, quatre sur SugarDaddy.
Elle a également répondu qu’une amie de 14 ans pouvait se joindre à sa prestation, la plupart ont alors fait une proposition ferme de rendez-vous, avec une date, un lieu. La journaliste a "cassé" les tarifs en proposant 80€ de l’heure. Un montant régulièrement revu à la baisse par les clients potentiels.
Lors des correspondances avec ces hommes, elle a eu droit au programme détaillé des pratiques sexuelles auxquelles il fallait se plier. Elle a également reçu la liste des sextoys qu’un vieux monsieur à la retraite voulait utiliser avant de les prendre en photo en lingerie fine. Un autre, fondateur d’une entreprise informatique, a même réfléchi à la "mensualiser" pour 1000€. Certains la relancent encore, mais elle a bien sûr coupé tout contact.
La prostitution sur mineur, un délit sévèrement puni
Ces hommes risquent trois ans de prison et 45.000 € d’amende. Selon le code pénal, quiconque sollicite, accepte ou obtient, en échange d'une rémunération, ou même d'une simple promesse de rémunération, des relations sexuelles avec un mineur peut être condamné.
Selon plusieurs spécialistes, la prostitution sur internet serait en progression depuis l’adoption de la loi sur la pénalisation des clients en avril dernier. Beaucoup de clients préfèreraient désormais trouver des prostituées sur internet plutôt que dans la rue, de peur de se faire arrêter en flagrant délit. De leur côté, de nombreuses prostituées ont confirmé à Secrets d'info avoir quitté la rue pour travailler en ligne.
Avant je travaillais au Bois de Boulogne, et quand la loi sur la pénalisation des clients a commencé, je suis passée sur internet
Stella, prostituée latino-américaine raconte : "Je travaille sur plusieurs sites, sur Vivastreet. Je ne précise pas sur mon annonce que je suis une prostituée mais masseuse. Et autour de moi, la majorité des prostituées utilisent VivaStreet."
Des clients en position de force
Ce déplacement de l’activité des prostituées semble les fragiliser. Car, paradoxalement, il est plus dangereux de travailler chez soi que dans la rue. Elles ne peuvent pas prévenir un collègue, ni appeler à l’aide, de peur d’alerter les voisins. De plus, les clients se sentent en position de force. Ils négocient les tarifs à la baisse et exigent des rapports sans préservatif.
Thierry Schaffauser, lui-même prostitué sur internet et co-fondateur du STRASS, le syndicat du travail sexuel, a observé une augmentation des agressions de prostituées depuis le vote de la loi au printemps 2016 : "Médecins du monde et le bus des femmes dans le programme "Tous en marche contre les violences", constatent qu'il y a beaucoup plus de signalements de faits de violences depuis la loi", indique-t-il. "En plus, quand on essaie de porter plainte, en général la police se dit que si c'est juste des menaces, à la rigueur on veut bien prendre une main courante, mais on ne va rien faire parce qu'il n'y a pas de faits avérés" ajoute le co-fondateur du syndicat du travail sexuel.
Comment prouver l'illégalité d'une annonce ?
Pour la police il est particulièrement difficile de fermer des sites dont les annonces n’ont rien d’illégal. Les prostituées ne se présentent pas comme telles, elles s’abritent derrière des propositions de massages sans faire aucune allusion à un tarif.
Si vous vous présentez comme quelqu'un de majeur, et vous ne proposez pas de tarification contre d'éventuels services sexuels, sur le principe, votre annonce n'est pas illégale
Il est difficile aussi de prendre en défaut les sites qui publient ces annonces de simple massage. "Certaines offres qui proposent uniquement de la rencontre peuvent peut-être cacher des offres sexuelles, mais on n'en est absolument pas certain. Il faut faire un travail de recoupement" souligne Jean-Marc Droguet, le patron de l’office central de répression de la traite des êtres humains.
Cependant, Dorothée Branche, l’avocate spécialiste des nouvelles technologies, considère qu’il existe des failles juridiques. "Les photos de la plupart de ces annonces sont on ne peut plus suggestives", indique-t-elle. "Une jeune femme dans des positions clairement sexuelles donne une idée des prestations qu'elle est susceptible d'offrir", ajoute Dorothée Branche. "C'est en contradiction totale avec les conditions d'utilisation du site de Vivastreet, qui prévoit explicitement que les annonces auxquelles seront jointes des photos suggestives ou sexys, seront systématiquement modérées."
La modération des petites annonces en question
Contactée à plusieurs reprises par nos soins, le patron de VivaStreet n’a pas souhaité répondre à nos questions. L’avocate de la société, Maître Anne Alcaraz, affirme qu’il n’y a "aucune tolérance de la part de VivaStreet s’agissant de prestations sexuelles tarifées." Elle rappelle aussi que "les modérateurs du site contrôlent toutes les annonces manuellement avant leur publication, et suppriment systématiquement celles qui ne répondraient pas aux interdictions rappelées dans les conditions d’utilisation de VivaStreet".
Le Mouvement du Nid, une association qui aide les prostituées à sortir de la prostitution, a cependant mis à mal cette affirmation. Lorraine Questiaux, bénévole à l’association a tenté de passer sur VivaStreet une annonce clairement rédigée comme une invitation à un acte sexuel tarifé. "Cette annonce a été modérée dans les 15 minutes par Vivastreet : les termes 'rémunération et 'relation intime' ont été supprimés, raconte Lorraine Questiaux, mais l'annonce a bien été postée sur le site donc accessible aux clients. Ce qui signifie que Vivastreet connat très bien l'intention de la personne qui poste l'annonce, à savoir se prostituer, mais qu'elle opère une modification pour se protéger juridiquement".
Des grosses sommes d'argent en jeu
Les annonces de massage pourraient rapporter beaucoup d’argent. Même si la rubrique Erotica du site Vivastreet (l'une des rares du site à être payante), ne représente que 1 % du volume des annonces traitées, le volume d’argent qu’elle représente n'est sans doute pas négligeable selon nos calculs. En effet, le prix d’une annonce varie entre 110 et 500€ pour 1 mois, en fonction de la visibilité souhaitée. Comme il y a en moyenne 7000 annonces de ce type par jour, cela peut rapporter entre 8 et 42 millions d’euros en une année. Et cette manne, issue pour partie d’une prostitution qui ne dit pas son nom serait en augmentation. Laurent Mélito, sociologue et l’un des meilleurs spécialistes français de la prostitution sur internet, confirme que "cette activité, qui a pris son essor à la fin des années 1990, est en évolution exponentielle".
Selon un rapport du ministère de l’Intérieur datant de 2014, le rapport Ourgaud, le chiffre d’affaires de la prostitution sur internet est évalué à 540 millions d’euros par an, soit la moitié du chiffre d’affaire global de toutes les formes de prostitution. Une partie de cet argent irait donc dans les caisses de certains de ces sites de petites annonces gratuites. Une partie seulement, car il existe aussi des sites d’escorts, pour la plupart basés à l’étranger. C'est pour cette raison que le député Guy Geoffroy demande à ce qu’on mette fin à ce qu’il appelle "une hypocrisie".
Une lutte inefficace
Face à ces annonces masquées, la police et la justice semblent impuissantes. Pourtant, un rapport parlementaire sur la prostitution rédigé en 2011 fait état d’un partenariat entre l’OCRETH et VivaStreet.
Mais son efficacité est très discutée. "Vivastreet comme d'autres, va complètement à l'encontre de ce qu'il avait feint d'accepter dans ce dialogue, cet échange, ce partenariat dont on nous avait parlé en 2011", souligne Guy Geoffroy, député Les Républicains et auteur du rapport parlementaire. Et il ajoute : "Ca fait maintenant 5 ans. Ils laissent faire, et ils gagnent beaucoup d'argent."
C'est du proxénétisme sous une forme nouvelle, contre laquelle il va falloir combattre
L’avocate de VivaStreet, Maître Alcaraz a précisé par mail à Secrets d'info que Vivastreet n’est qu’un hébergeur, et qu’il n’est donc pas responsable du contenu généré par les internautes. Et enfin, que le site serait confronté, selon elle, aux mêmes difficultés que peuvent rencontrer Facebook, Instagram et Twitter, à savoir des annonces pouvant avoir un caractère ambigu. Contacté également à plusieurs reprises, Sugar Daddy n'a pas répondu.
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